Un geste qui concrétise pleinement la crise de confiance entre les… Avant de voter, je demande aux électeurs de relire les paroles de Mirabeau : «Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins, ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit.» Mais si les citoyens ne s'expriment pas, s'ils ne veulent, ou ne peuvent, se faire entendre, s'ils se laissent faire par les bluffeurs et les recycleurs de la dictature, ils risquent de voir l'âne de «sidi manaâraf» (un âne inconnu) comme représentant. L'âne qui se faisait passer pour le lion de Sidi M'hamed et circulait dans les douars afin de séduire les a ahuris par sa stupide «baraka». L'image animale est un concept représentatif de la politique aux Etats-Unis. L'âne est l'emblème du parti démocrate ; l'éléphant symbolise le parti républicain. Thomas Nast, un caricaturiste de la politique américaine, fut le premier à introduire les animaux comme symboles politiques. Dans notre zoo politique, nous avons des crocodiles, des aigles, des serpents, des taureaux et des crapauds. Nous pouvons les utiliser comme emblèmes aux prochaines législatives. Je laisse le soin au lecteur de placer chaque animal dans le courant politique qu'il représente. Des grenouilles dominées par un crocodile, un aigle et un serpent ploutocrates se révoltent pour instaurer la liberté et la démocratie dans leur étang. La ploutocratie est bien définie par Ernest Renan. Il appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l'on ne peut rien faire sans être riche, où l'objet principal de l'ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s'évaluent généralement par la fortune. Bien que le vote soit le seul indicateur de l'implication citoyenne d'une population, en Algérie, une grande partie de la population reste muette en s'abstenant de voter. Les grenouilles représentent ce que les responsables des législatives organisées par le gouvernement Ghozali appelaient la majorité silencieuse qui ne vote pas. Certains pensent que notre malheur vient de ce silence politique, et que l'adage : «Qui ne dit mot consent» ne s'applique pas dans la politique algérienne. L'Algérie née en 1962 est adulte puisqu'elle a cinquante ans. Elle sait faire la distinction entre un politicien ploutocrate crocodile, à sa grande gueule garnie de dents aiguisées par les mensonges, et un politicien de type serpent, qui siffle avant de mordre sa proie. Il reconnaît que l'aigle aime surprendre sa proie, et nous informe que le taureau a souvent peur des coassements des grenouilles, ce bruit lui rappelle sa noyade politique dans leur étang. Un jeune Algérien s'étonne de la situation et dit : «Aucune démocratie dans le monde n'a vu un député aigle élu par le peuple démissionner de son poste pour postuler au poste de président d'une autre institution.» Conscient du présent, il imagine et nous raconte comment les législatives vont se dérouler chez les grenouilles. Pour ce jeune, André Gide a bien dit à Biskra : «Pas d'autre bruit que le coassement rythmé des grenouilles.» Il complète l'idée d'André à sa manière et dit : «En mai, pas d'autre bruit que le coassement rythmé des grenouilles. Ce bruit va étouffer les vagissements du crocodile, stopper le sifflement du serpent, affaiblir la trompette de l'aigle et asphyxier le beuglement du taureau.» Voilà comment il imagine la politique chez nous. Des grenouilles vivaient tranquillement dans un étang ; elles se sentaient souvent mal à l'aise quand l'argent liquide et les vents des lobbies troublaient l'étang. Quand l'eau est calme, les grenouilles sentent la politique des clans ploutocrates. L'odeur malsaine réagit sur la mentalité des grenouilles et bloque la logique dans le raisonnement. Comme une drogue, cette odeur leur fait perdre la manière de réfléchir et les oblige à ne pas avancer dans le temps. Inconscientes de leur volonté et de leur puissance politique, elles demandèrent à un crocodile de leur nommer un candidat aux prochaines législatives. Il doit leur apprendre comment s'exprimer démocratiquement quand la bouche est pleine d'eau. Le crocodile, habitué à ce genre de théâtre chez les pauvres grenouilles, se moqua de ce vœu trop comique. Ne pouvant agir seul dans un étang bien partagé, il raconta cette histoire «grenouillée» à son ami l'aigle. L'aigle et le crocodile étaient dans le même lobby politique, mais la philosophie des clans veut la division pour mieux contrôler l'étang. L'aigle, oiseau très expérimenté dans la création de conflits et fouteur de discorde là où il plane, proposa au crocodile un plan d'action commun. Il lui demanda de ramener la carcasse d'un crocodile pour la nommer représentante politique chez les grenouilles. Le crocodile trouva une carcasse d'un vieux frère mort entre les deux guerres. Il ramena sa carcasse et demanda à l'aigle de la transporter chez les grenouilles. L'aigle ne se déplaça pas gratuitement, il exigea une somme d'argent bien camouflée dans un sac poubelle pour accomplir cette mission. Du haut, il jeta la carcasse dans l'étang. L'aigle connaissait parfaitement la mentalité des grenouilles, il savait que chez les crapauds une chose tombant du ciel est sacrée et porte bonheur. La chute de la carcasse faisait un bruit terrible et créa des ondes semblables à une bombe atomique qui troubla l'étang. Les grenouilles, assourdies par le bruit de ce sacré chef, gardèrent grand silence pour exprimer leur obéissance au ciel clément. Après ce fracas, la carcasse flottait calmement sur l'eau et ne leur donnait plus de tracas. Les grenouilles s'habituèrent très vite à ce squelette sans âme et sans action. Elles sautaient sur ses os et l'utilisaient comme balançoire pour exprimer leur joie. Elles attendirent longtemps pour voir une action ou un changement dans l'étang. Le temps passait, la carcasse flottait, mais aucune amélioration de la situation dans leur étang. Un jeune crapaud fait rappeler aux grenouilles l'adage africain : «Une grosse grume reste un siècle dans l'eau, elle ne devient jamais crocodile.» Les idées du crapaud illuminèrent les esprits des grenouilles. Elles se moquèrent de cette carcasse et se manifestèrent contre ce chef escarpolette venant de la terre des mangeurs de crapauds. Pour une fois, elles se mettent d'accord et s'exprimèrent avec courage et liberté dans l'eau. Elles demandèrent au crocodile un changement immédiat. Le crocodile écouta les grenouilles et nomma un serpent pour les représenter pendant un certain temps. Contre cette nomination, le crocodile demanda au serpent de payer une somme d'argent pour accéder à ce poste bien payant. Coïncidence ou calcul, le crocodile récupéra l'argent payé à l'aigle pour le transport et la mission. Chez les ploutocrates, rien ne se perd, tout se récupère. Ce chef avait action et bons sifflements. Il aimait avoir deux grenouilles à chaque repas. Le serpent jouissait de ce boulot et le trouva bien intéressant. Les grenouilles tourmentées par l'attaque de ce nouveau maître demandèrent au crocodile un autre changement. Le crocodile refusa cette demande. Depuis ce temps, on n'entend plus d'autre bruit que le coassement rythmé des grenouilles dénonçant la ploutocratie dans l'étang. Un taureau se désaltérait dans l'étang, il observa la carcasse tomber du ciel, entendit le sifflement du serpent au moment où il dévorait ses proies. Il saisit l'occasion et se proposa comme représentant. Pour se faire connaître, il laissa tomber 100 DA dans l'étang. Les grenouilles ne sont pas dupes. Elles se rappellent sa noyade dans leur étang. Le même crapaud répond au taureau. J'ai bien vu vos cornes sur les 100 DA et j'ai bien entendu votre appel : «Les candidats qui veulent figurer sur une liste doivent émettre sur le compte bancaire du parti des sommes oscillant entre 100 et 500 millions de centimes, afin de financer la campagne électorale.» Désolé, vous ne pouvez pas acheter nos voix ! Les grenouilles seront représentées par un crapaud cette fois. Les grenouilles applaudirent la témérité de ce jeune crapaud et le nommèrent candidat. Pour exprimer sa joie il chanta : «Les taureaux s'ennuient le 10 mai.» Conclusion : dans un pays où l'argent n'a point d'odeur, où la politique n'a plus de mérite, où l'éducation se cherche une valeur, l'avenir est sans doute incertain. L'expérience des années 1980, les souffrances de l'ère de la décadence et ses scandales après 1988 et la corruption des aigles venus d'Amérique pour gérer notre énergie de malheur ne doivent plus exister si nous voulons vivre en paix dans une Algérie forte. Une Algérie nouvelle où la force du pouvoir est équilibrée par le bien-être des faibles sous la justice et la fraternité de tous. Omar Chaalal : professeur associé en génie des procédés