Le régime algérien est composé depuis l'époque de Ben Bella de différents groupes civils et militaires qui ont goûté aux délices du pouvoir et à tous les avantages qu'il procure et qui ont compris avec le temps que leur survie dépend de leur capacité à coopérer les uns avec les autres et à se soutenir mutuellement face à leurs ennemis – le peuple et les véritables opposants, c'est-à-dire tous ceux et toutes celles qui remettent en question leur pouvoir et leur légitimité. Quelque soient leurs différends, ils finissent toujours par les aplanir et à trouver un terrain d'entente. Et au cas où l'un deux s'avise à jouer au plus malin et faire cavalier seul, ils font pression sur lui avec les dossiers qu'ils détiennent ou l'éliminent carrément, si la solution douce ne donne pas de résultats. Ce sont là les méthodes de la mafia et le pouvoir algérien est un pouvoir mafieux. Il serait donc vain de chercher à opposer boutef et belkhadem à toufiq et ouyahia. Ils sont tous sur le même bateau et ils sont condamnés à rester solidaires jusqu'à ce que le danger extérieur – un soulèvement populaire, par exemple – devienne imparable et que chacun cherche à ce moment-là son salut pas ses propres moyens, en négociant une solution pour lui-même au détriment des autres. Alors, pourquoi boutef a-t-il fait tant de bruit au sujet de ces élections-farce qui ont servi à plébisciter le FLN et le RND pour cinq autres années, allant jusqu'à comparer la date du 10 mai 2012 au 1er novembre 1954? Avait-il en tête un autre plan que celui établi par son alter ego, le chef du DRS? Souhaitait-il donc un résultat différent, comme, par exemple, un parlement dominé par une majorité autre que la clique FLN-RND, c'est-à-dire islamistes et FFS? La mafia au pouvoir aurait donc pris le risque de laisser le peuple élire une majorité réellement représentative qui, forte de la légitimité des urnes, aurait bien pu mettre en branle un processus d'assainissement en profondeur et se serait mise à nettoyer les écuries d'Augias du régime, qui commencent à sentir terriblement mauvais, vu la pourriture qui s'y est accumulée depuis 50 ans. Cela est hautement improbable. Ce qui est beaucoup plus probable, c'est que boutef a tout simplement exécuté sa part du contrat et joué son rôle de « Président civil qui s'oppose à l'Armée et au DRS », comme d'habitude. Il aurait pu se débarrasser de la pesante protection de ses tuteurs galonnés au début de son mandat, en s'appuyant sur le peuple. Il ne l'a pas fait. Aujourd'hui, il a 13 ans de plus au compteur – on ne fait pas à 75 ans ce qu'on n'a pas pu faire à 62 – et il arrive à peine à se traîner de la table au fauteuil et du fauteuil au lit. Il y a fort à parier qu'il ne fait plus la politique du pays et qu'il se contente de faire ce qu'« on » lui demande de faire, car s'il se rebiffe, il risque de voir son « décès suite à une longue maladie » survenir plus tôt que prévu. On ne trahit pas la mafia impunément… boutef a joué son rôle et il a réussi à vendre ces élections de la dernière chance à une partie du peuple algérien, au FFS et aux puissances étrangères. Comme toujours, le régime algérien n'a aucune stratégie – si c'était le cas, il se mettrait à faire vraiment de la politique – mais il navigue à vue, se contentant de gagner du temps et de se défendre contre le danger du moment par tous les moyens dont il dispose – mangeoire, manipulation, bourrage des urnes, et, bien entendu, coup d'état, torture, déportations, assassinats et guerre civile, quand la situation l'exige. Il se dit toujours : « Passons l'obstacle par tous les moyens, nous verrons après… » C'est ainsi que le pouvoir algérien fonctionne depuis la mort de son géniteur et premier chef, le colonel Boumediene. C'est ainsi qu'ont été décidés, tour à tour, la nomination de Chadli, l'ouverture de février 89, puis la « démission » de Chadli et le putsch de janvier 92, la solution Boudiaf et l'assassinat de ce dernier, la désignation de Zeroual, la création du RND, la désignation de boutef, etc., etc. A chaque fois, les hommes forts du moment imposent la solution qui permet la survie du régime, quitte à se débarrasser de quelques gêneurs ou à déclencher une guerre civile. Cette solution n'est jamais le résultat d'une stratégie à long terme – le seul objectif stratégique étant le maintien du système mafieux –, mais une improvisation. Il en est ainsi de la politique menée par le pouvoir algérien depuis la fuite de Benali. boutef fait partie de la solution improvisée et s'il s'avise de ruer dans les brancards, il connaîtra le sort de feu Mohammed Boudiaf. La situation est donc sous contrôle et les décideurs de l'ombre, ayant joué leur coup, vont voir quel sera la réaction des adversaires potentiels du moment. Mais qui sont ces adversaires? Voilà la grande inconnue. Un Mourad D'hina, un Tareq Mammeri, un Noureddine Belmouhoub, un Abdelkader Kherba, etc., sont infiniment plus dangereux aux yeux de la mafia au pouvoir qu'une Louisa, un Boudjerra ou un Djaballah – opposants bien cadrés et déjà domestiqués – , car l'étincelle qui mettra le feu aux poudres viendra de la rue, cette rue porteuse de tous les dangers, en cette ère de soulèvements populaires et autres mouvements d'indignés que monsieur-tout-le-monde peut suivre en direct sur sa télé dans les coins les plus reculés de la planète. Elle ne viendra pas des partis politiques – FFS compris –, largement dépassés par la dynamique populaire et incapables de la comprendre. Le peuple algérien n'est pas moins politisé ni plus léthargique que le peuple libyen. Pourtant, lorsque la première étincelle a mis le feu aux poudres en Libye, le mouvement ne s'est arrêté qu'après la mort de Kadhafi et la dispersion de ceux parmi les membres de sa famille et de sa « cour » qui n'ont pas connu son sort. Ni son armée, ni son pétrole n'ont pu sauver la mafia libyenne, car les peuples finissent toujours par avoir le dernier mot, lorsqu'ils décident de passer à l'action (les peuples et non les dirigeants des partis politiques fascinés par le pouvoir, comme ce fut le cas pour le FIS en 91). Le jeu ne fait que commencer et la partie promet d'être haute en rebondissements et en imprévus.