En charge de l'affaire Sonatrach, le juge de la 8e chambre près le tribunal de Sidi M'hamed demande un complément d'enquête sur Réda Hameche, ancien chef de cabinet de l'ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Méziane, et sur Nouria Méliani, la responsable du bureau d'études privé CAD. Dans les conclusions de son enquête complémentaire remises à la chambre d'accusation près la cour d'Alger, il justifie sa demande par les nouveaux faits apparus à la lumière des commissions rogatoires. C'est à la faveur des réponses contenues dans les commissions rogatoires adressées au doyen des juges du tribunal parisien (France) que le juge de la 8e chambre près le tribunal d'Alger a demandé une enquête approfondie sur Réda Hameche, ancien chef de cabinet de Mohamed Méziane, mais aussi proche collaborateur de Chakib Khelil, l'ancien ministre de l'Energie. Cette chambre, faut-il le rappeler, avait déjà examiné les premières conclusions de l'instruction qui faisaient état de la correctionnalisation du dossier et de l'annulation des poursuites au profit de trois prévenus. Cependant, la chambre d'accusation a ordonné un complément d'enquête sur les biens détenus en Algérie et à l'étranger par l'ensemble des prévenus afin de vérifier s'il n'y a pas eu de délit de blanchiment d'argent. Deux commissions rogatoires (le 31 janvier 2010 et le 30 décembre 2010), dont une adressée au doyen des juges du tribunal parisien, ont été délivrées. Des demandes de saisie des biens détenus éventuellement en France ont été également formulées. Ce n'est que le 17 juillet 2012 que les réponses ont été obtenues, les saisies opérées et le gel de certains comptes effectués. A la faveur des nouveaux éléments apportés par le juge français, le magistrat a procédé à l'audition des prévenus durant la période comprise entre le 29 juillet et le 6 août derniers. Résultats : de nouveaux faits sont apparus dans le dossier de rénovation de l'immeuble de Sonatrach à Ghermoul (Alger) et pour lequel sont poursuivis Nouria Méliani, la responsable du bureau d'études CAD bénéficiaire du marché ; Mohamed Sanhadji, directeur central de l'exécutif à Sonatrach ; Abdelwahab Abdelaziz, qui était son adjoint et également au département commercial de la compagnie. Contre ces deux cadres, le juge avait retenu les charges de «passation de contrat en violation avec la législation des marchés publics dans le but de donner des avantages injustifiés». Des inculpations retenues également contre Méliani, et ce, en plus du délit «d'augmentation injustifiée des prix». Ainsi, dans ses conclusions, le juge fait état de «faits avérés» de deux transferts de fonds du compte de la directrice du bureau d'études vers ceux de Réda Hameche et son épouse domiciliés en France, ainsi que l'octroi à cet ancien homme de confiance de Chakib Khelil, d'un véhicule de marque Mercedes (toujours en France). Le magistrat revient sur le marché d'un montant de 4,530 milliards de dinars que le bureau d'études a obtenu «sans respecter la réglementation, notamment les dispositions de la R15». Réalisé à 50% seulement, ce marché ainsi que d'autres auraient été attribués à CAD grâce à l'aide que lui a apportée Réda Hameche, ajoutant que ce dernier est également intervenu pour lui faire régler des factures en suspens au niveau de la compagnie. Le magistrat indique par ailleurs que les états de mouvement des comptes de la directrice de CAD, transmis dans le cadre de la commission rogatoire, font état de nombreux virements (en devises), notamment entre 2008 et fin 2001, que la prévenue n'aurait pas pu justifier. Le magistrat instructeur soupçonne la directrice de faire dans «le blanchiment d'argent vu l'importance des montants» virés et des biens immobiliers acquis à l'étranger. De ce fait, il a recommandé une enquête approfondie sur le dossier CAD et sa patronne ainsi que sur Réda Hameche étant donné qu'il était limité (dans son enquête) par les questions (de la chambre d'accusation). Quatre sociétés, dont Saipem et Funkwerk, poursuivies En fait, le nom de Réda Hameche n'a pas été cité uniquement par Nouria Méliani, mais également par certains cadres dirigeants poursuivis, et par Mohamed Méziane, ex-PDG de Sonatrach. Dans ses déclarations au juge d'instruction, ce dernier avait clairement expliqué que tout acte de gestion qu'il accomplissait passait par Réda Hameche, sur lequel il aurait précisé n'avoir aucune autorité disciplinaire. Mandaté par le ministre de l'Energie, Chakib Khelil, il était informé de tout et donnait des consignes verbales pour tous les marchés qui l'intéressaient. Il jouissait d'une grande autorité au point où si certains vice-présidents lui refusaient une consigne, ces derniers étaient tout de suite rappelés à l'ordre par le ministre. L'ex-PDG a précisé que son bureau était au même étage que celui de Hameche et, de ce fait, toute personne qui le sollicitait devait inévitablement passer par lui. Autant de révélations qui ont poussé le juge à recommander, dans son rapport remis à la chambre d'accusation, une enquête approfondie sur cet ancien homme de confiance de Chakib Khelil. Le dossier sera remis aux avocats durant la semaine qui suit les cinq jours francs de cette remise. La chambre devra statuer sur les recommandations du magistrat instructeur et sur les décisions qu'il avait notifiées dans son ordonnance de renvoi (devant la chambre d'accusation) du 26 septembre 2011. Celle-ci comporte la correctionnalisation de l'affaire et la qualification des faits retenus contre les 18 prévenus cités dans le dossier. Le magistrat a annulé les poursuites contre trois prévenus – Hassani Mustapha (directeur activité amont), Cheikh Mustapha (activité amont), Yahia Messaoud (activité amont) – et réduit les charges de plusieurs autres. Ainsi, Mohamed Méziane a bénéficié de la suppression des délits d'«association de malfaiteurs, participation dans dilapidation de deniers publics et trafic d'influence» pour être poursuivi pour neuf chefs d'inculpation dont «passation de contrat en violation avec la loi dans le but d'octroyer des avantages injustifiés, corruption, dilapidation de deniers publics, abus de fonction, conflit d'intérêt et blanchiment d'argent». Trois charges – «dilapidation de deniers publics», «passation de contrat en violation avec la loi sur les marchés publics dans le but d'octroyer des avantages injustifiés» et «abus de fonction» – ont été retenues contre Belkacem Boumediene, alors que contre Ali Al Smaïl Mohamed Réda, le patron de la société Contel et du holding Contel-Funkwerk, le magistrat a retenu les faits de «participation à passation de contrat en violation de la réglementation dans l'objectif de bénéficier d'avantages injustifiés, d'augmentation des prix, de corruption et de blanchiment d'argent». Pour ce qui est des deux frères Méziane, Bachir Fawzi et Mohamed Réda, le juge a qualifié les faits qui leur sont reprochés de «complicité dans passation de contrat en violation de la réglementation», d'«abus de fonction de blanchiment d'argent». Contre Lhachemi Meghaoui, ancien PDG du CPA, travaillant pour le compte de Funkwerk, et son fils Lyes, le magistrat a retenu les délits de «complicité dans passation de marché en violation de la loi et blanchiment d'argent». Quatre sociétés – Contel-Funkwerk, Contel Algérie et Funkwerk Biletac, et Saipem Contracting Algérie – sont poursuivies en tant que personnes morales pour «corruption, augmentations injustifiées des prix et participation à passation de marché en violation de la loi». Le juge a aussi retenu les charges de «complicité de passation de contrat en violation avec la loi dans le but d'octroyer des avantages injustifiés, tentative de dilapidation de deniers publics» contre Aït Al Hocine Mouloud (directeur technique des activités commerciales), Rahal Chawki (vice-président chargé de l'activité commerciale) et Benamar Zenasni (chargé de l'activité transport par canalisation). Parmi les mis en cause, sept sont sous contrôle judiciaire (Mohamed Méziane, Chawki Rahal, Hassani Mustapha, Cheikh Mustapha, Yahia Messaoud, Mohamed Chawki Rahal, Abdelwahab Abdelaziz, Mouloud Aït Al Hocine) ; huit autres (Meziane Mohamed Reda et Méziane Fawzi, Benamar Zenasni, Belkacem Boumediène, Hachemi Meghaoui, son fils Yazid et Al Smaïl Mohamed Réda) sont en détention provisoire. Face à ces nouveaux faits, quelle position adoptera la chambre d'accusation ? Va-t-elle suivre le juge d'instruction dans toutes ses décisions, que ce soit pour la correctionnalisation du dossier, la qualification des faits et surtout l'ouverture d'une enquête complémentaire sur le rôle qu'aurait pu jouer Réda Hameche dans l'octroi des marchés objets du scandale ? On n'en sait rien. Sa réponse est très attendue, même si les prévenus bénéficient toujours de la présomption d'innocence. Salima Tlemçani