Fella Bouredji La même peine pour deux hommes que tout sépare. Six mois de prison avec sursis, une sentence mi-figue mi-raisin, que la justice algérienne, instrumentalisée par le pouvoir exécutif, sort du tiroir dès qu'un procès est un peu sensible, histoire de trancher sans trancher. Yacine Zaid le militant des droits de l'homme malmené par la police et Said Lamrani le harceleur sexuel dans un organisme d'Etat, sont ainsi mis dans le même sac. Le harceleur du système, harcelé par la police Les affaires qui ont mené ces deux hommes face aux juges sont plus que sensibles. L'un est âgé de 41 ans, l'autre en a presque le double: 76. Ils ont tous deux été jugés durant ce mois d'octobre: le plus vieux a été poursuivi parce que des travailleuses ont osé dénoncer le harceleur sexuel qu'il a toujours été. Au plus jeune, qui lui est un harceleur du système, lui même harcelé par la police, on reproche de dénoncer toutes sortes d'atteintes aux droits de l'Homme. Deux algériens face à une justice inextricable et malveillante pour l'un, douce et conciliante pour l'autre. Le premier s'appelle Yacine Zaid, 41 ans, responsable de la ligue algérienne des droits de l'homme à Laghouat, dans le sud du pays. Arrêté le 1er octobre 2012 ( C'est loin d'être une première pour lui), Yacine a été menacé, intimidé et ensuite frappé par la police ( certificat médical faisant foi) pour être ensuite inculpé pour outrage à agent de l'ordre. Un procès kafkaien qui secouera la blogosphère algérienne et fera réagir la presse étrangère et plusieurs organisations internationales de défense des droits de l'homme et même des députés européens. Yacine, comme il le répète souvent, « a foutu sa vie en l'air pour se battre contre l'injustice et pour garder sa dignité intacte ». Plus le système le harcèle, plus l'homme gagne en sympathie aux yeux de la population. Une raison de plus de vouloir sa tête. La justice aurait pu l'emprisonner suivant sa logique répressive, sans foi ni loi mais non. Elle se contente, le 8 Octobre 2012, de lui coller une amende et une peine de 6 mois de prison avec sursis. La justice algérienne a déjà démontré qu'elle était capable du pire alors pourquoi pas une peine maximale pour Yacine Zaid ? Parce que la menace est supérieure à l'acte, dit-on. Le harceleur sexuel protégé par la justice Qu'en est-il de notre second homme, Said lamrani, directeur d'une filiale de la télévision d'Etat, septuagénaire détesté par les femmes? Six mois de prison avec sursis également mais pas pour les mêmes raisons. L'homme, à la tête d'une chaîne de télé a semble-t-il la main baladeuse, la langue pendue, et le regard lascif depuis plus de 20 ans. Une de ses employées avait osé le montrer du doigt, il y a plus d'une décennie, mais l'affaire avait été vite étouffée. L'homme se targuait déjà d'être un proche du président Bouteflika. Il aurait des relations influentes. Les trois employées de la télévision algérienne qui ont déposé plainte contre lui en Aout 2011 ont résisté à beaucoup de pressions avant d'aller devant le juge. Son procès a été reporté deux fois avant que la sentence ne tombe. La loi prévoit des peines allant jusqu'à un an de prison ferme pour les personnes poursuivies pour harcèlement sexuel au travail. Le 14 octobre 2012, la justice le condamne à 6 mois de prison avec sursis. Pour l'intimider et lui faire peur comme pour Yacine Zaid? Non, juste pour lui éviter la prison. Six mois de prison avec sursis pour les deux hommes dans deux affaires différentes. Une même sentence qui met les deux hommes sur le même pied d'estale face à la justice. Il y a comme quelque chose qui ne tourne pas rond: Le harceleur sexuel gagne une retraite anticipée sans passer par la case « prison ». Le harceleur du système, harcelé par la police, revient à la case « départ » avec la peur de relancer les dés de la contestation. La justice aux ordres a bien fait son travail. Le militant devrait peut être penser à harceler sexuellement la justice pour la mettre de son côté... Sauf que la justice n'a pas de sexe, ni d'âme et résiste parfaitement aux pressions populaires. La justice algérienne n'a même pas de justice d'ailleurs. Fella Bouredji