Affrètements douteux, conteneurs mal gérés... Rapport accablant de l'IGF sur la CNAN-Nord El Watan le 14.11.12 La filiale assure le transport maritime de marchandises vers l'Europe du Nord, l'Espagne, la Méditerranée orientale et les USA. Alors que l'instruction judiciaire autour de la gestion du groupe CNAN se poursuit, un rapport des plus accablants sur la gestion de CNAN-Nord, la seule filiale étatique, vient d'être remis par l'Inspection générale des finances (IGF) aux autorités. Dans ce document, il est fait état de «nombreuses insuffisances, carences et anomalies touchant aussi bien l'organisation que le fonctionnement» de cette filiale créée en octobre 2003 pour assurer le transport maritime de marchandises en lignes régulières desservant l'Europe du Nord, l'Espagne, la Méditerranée orientale et les USA. La situation est «favorisée» par l'«absence de procédures internes de gestion» et un «défaut de mise en place de structures de contrôle de gestion et de l'audit interne». L'IGF note qu'en matière de gestion des arrêts techniques de quatre navires (Ibn Khaldoun, El Djorf, Ibn Sina et Djurdjura) il y a lieu de relever que les marchés de réparation ont été «conclus suite à des consultations restreintes, sans aucune concurrence». Ainsi, le contrat relatif à la réparation d'El Djorf se caractérise par plusieurs anomalies : «Négociations avec le partenaire retenu menées anormalement et à titre individuel par le directeur de l'armement technique (...), montant final des travaux arrêté après négociation (1,170 million d'euros) supérieur à celui de l'offre (1,113 million d'euros), alors que ladite négociation devait viser la baisse des prix proposés (...), retard de 32 jours dans le délai de réalisation sans que soient appliquées les pénalités de retard prévues, absence de police d'assurance, responsabilité établie par le chantier retenu San Giorgio Del Porto.» L'IGF juge «opaques et approximatives» les conditions dans lesquelles cette opération a été «conclue et exécutée». Les mêmes remarques concernent le navire Ibn Sina II : «Le montant final des travaux après négociation a été arrêté à 1,533 million d'euros, alors que celui de l'offre était de 1,331 million d'euros (...). De plus, les factures relatives aux prestations effectuées ne font pas ressortir le détail des travaux et elles ont fait l'objet de demandes de paiement antérieurement aux échéances fixées contractuellement.» Effectués par l'Erenav, les travaux de réparation du MV Djurdjura ont été «accordés de gré à gré pour un montant de 143,610 millions de dinars sans que le chantier ne soit préalablement consulté». L'offre a été reçue, selon l'IGF, après l'ouverture des plis. Les travaux de réparation du Ibn Khaldoun ont été, quant à eux, confiés au portugais Grupo Portugal pour un montant de 1,492 million d'euros, une somme «nettement supérieure à celle de la soumission qui est de 1,158 million d'euros». Parmi les offres, souligne l'IGF, c'est celle du chantier Ondessos «qui était la moins disante et non pas Grupo Portugal, qui a enregistré un retard de livraison de 20 jours, sans que des pénalités de 6000 dollars/jour ne lui soient appliquées tel que précisé par le contrat (...). Deux mois avant la signature du PV de réception définitive, des avaries ont été signalées à bord du navire et au lieu de les faire prendre en charge par le chantier dans le cadre de la garantie, les dirigeants ont transféré la totalité du paiement sans réserves. Les travaux seront par la suite confiés à l'Erenav de Béjaïa sur la base d'un contrat de gré à gré, pour un montant de 13,790 millions de dinars, sans répercuter cette somme sur le chantier portugais (...)». – L'IGF constate que les travaux d'escale (maintenance courante des navires) sont confiés pour la plupart à l'entreprise privée de droit algérien, sur simples bons de commande, en précisant qu'ils représentent une ardoise «conséquente, dont une partie reste bloquée du fait du refus de son paiement par la nouvelle direction au motif que les prestations étaient surfacturées». Gestion anarchique des conteneurs Le rapport met en exergue de nombreuses anomalies en matière de location (sans limite de durée) de conteneurs auprès de deux sociétés anglaise et américaine. Celles-ci «imposent un nombre précis de conteneurs à restituer mensuellement, même si la filiale en a besoin». Ainsi, l'examen des paiements arrêtés à fin 2011 fait état de «139 conteneurs non exploités depuis 2007 et non restitués, qui continuent à faire l'objet de paiement et 40 autres transportant de la marchandise prohibée saisis entre 2004 et 2005 au port d'Alger, et aucune réaction de l'entreprise n'a été enregistrée hormis pour 8 d'entre eux en location, qui n'ont été déclarés en perte totale qu'à partir de 2010». Il est fait état également de 26 autres conteneurs acquis à Houston (USA) sur les comptes des agents de consignation «ne disposant pas de pièces justificatives» et 6 autres, achetés par la CNAN America et Isa Anvers, se trouvent dans le même cas. La filiale assure aussi la location de 117 autres conteneurs saisis depuis septembre 2011 à Annaba. Durant l'exercice de 2008-2011, la majorité des chantiers de réparation des conteneurs retenus par la filiale sont étrangers, alors que les entreprises nationales offrent les mêmes prestations à des coûts inférieurs. Ces réparations sont prises en charge par des agents consignataires de la compagnie «sur ses recettes en devises alors que l'initiative relève de la direction générale de la compagnie». L'IGF constate aussi des «irrégularités» dans les contrats signés par la filiale Isa Anvers avec Cims International, pour expertiser les conteneurs à Anvers et Hambourg, et la société Amr, pour les réparer. «Des écarts entre les tarifs appliqués à Anvers et ceux pratiqués à Hambourg sont constatés en dépit du fait que les prestations sont de même nature et effectuées par les mêmes prestataires sur la base de tarifs fermes et non révisables.» Graves anomalies dans la gestion des comptes escale : L'IGF indique que les comptes escale de la filiale «ne sont soumis à aucun contrôle au point où y sont inscrits de la part des agents consignataires, des opérations qui ne sont endossées à aucune justification». En ce qui concerne les dépenses et les recettes des comptes escale (parts étrangers) à savoir Isa Anvers, il est noté «une différence dans le traitement des opérations de saisie d'un navire affrété et d'un autre appartenant à la CNAN. Pour le Tichy, chaque escale induit un versement unilatéral par l'agent Isa d'un montant de 300 euros, dit bonus de saisie, débité du compte escale. Une action en totale contradiction avec les clauses de la charte partie arrêtée avec l'armateur du navire qui se fait payer en plus de la location d'affrètement un montant mensuel de 1500 euros. Cependant, pour les navires CNAN-Nord, des opérations de saisie sont systématiques et des factures dépassant la juste mesure sont débitées sur chaque compte escale du navire. Ainsi, les dépenses mensuelles de saisie du navire affrété (Tichy) atteignent les 1800 euros alors que celles de la CNAN 8000 euros». Revenant sur le volet relatif aux facturation au niveau des ports d'Anvers et de Hambourg, l'IGF met en exergue de nombreux griefs parmi lesquels «la prise en charge par CNAN-Nord des comptes escale de Nashco Algérie relatifs aux amendes en douanes infligées aux navires au niveau des ports algériens sans pour autant prendre les dispositions pour répercuter ces montants sur Isa Anvers, en partie responsable de ces infractions, mais également des factures inexpliquées relatives aux frais de manutention débitées sur le compte escale de Isa alors qu'elles sont à la charge du client», précisant que les mêmes pratiques ont été constatées au port de Hambourg. L'affrètement douteux du Tichy et du Beautrophy : L'affrètement de deux navires, le Tichy et le Beautrophy, laisse apparaître de nombreuses anomalies. Pour le Tichy, l'inspection affirme : «Abstraction faite des conditions irrégulières et douteuses dans lesquelles ce navire a été affrété pour une période de 3 ans pour un montant de 3700 euros/jour, soit un coût global de 9,5 millions d'euros (...), il est étrange de noter l'absence dans le contrat de toute clause contractuelle préventive destinée à protéger l'entreprise affréteuse contre le cas de déficit continuel ou de risque quelconque. L'affrètement de ce navire a dégagé des déficits très importants occasionnant 239 722 398,95 DA entre 2009 et 2010.» Pour ce qui est du navire Beautrophy, l'IGF fait remarquer «l'absence de nombreux documents comptables essentiels» et précise que la négociation relative à cette opération a été menée à Anvers par le directeur général de la compagnie et l'agent hollandais Boekmans, pour un loyer de 9500 dollars/jour. Le financement de la transaction par la filiale est «en violation de la réglementation parce que sans autorisation préalable du ministère des Finances, la loi interdit l'utilisation des recettes encaissées à l'étranger pour le financement d'une quelconque opération». Selon l'IGF, un virement de 67 349,13 euros, correspondant aux 15 premiers jours d'affrètement, a été effectué d'Espagne par l'agent Transcoma vers l'agent Isa Belgique.