Noël Mamère Député de Gironde Publié le 14/01/2013 à 12h19 Des soldats français, à N'Djamena, embarquent pour Bamako, le 11 janvier 2013 (Richard Nicolas-Nelson/AP/SIPA) François Hollande a pris une décision d'une extrême gravité, seul dans le palais de l'Elysée, sans avoir préalablement consulté le Parlement, comme la gauche s'y était pourtant engagée. Les raisons qu'il a données pour décréter l'intervention sont connues. Les groupes qui occupent le Nord-Mali sont des fascistes et des fanatiques, doublés de trafiquants, qui font subir à la population malienne des violences inacceptables. Ils doivent être chassés. La décision a été prise dans le cadre de la résolution 2085 de l'ONU, selon une interprétation discutable du droit international, et malgré un désaccord très clair entre la France et le reste du monde sur le tempo : * la France qui voulait intervenir le plus rapidement possible ; * de nombreux pays, dont les Etats-Unis et l'Algérie, qui ont toujours joué un rôle ambigu dans cette région, souhaitaient temporiser pour créer les conditions politiques de la reconquête du Nord. Quelle politique africaine pour la gauche ? Mais la question n'est plus là. Elle n'est même plus celle des otages Français, passés par profits et pertes de cette intervention précipitée et isolée. La seule question qui vaille aujourd'hui est bien : quelle est la politique africaine de la gauche au pouvoir ? Va-t-elle poursuivre dans son rôle de gendarme de l'Afrique, comme nous le faisons depuis 150 ans ou créera-t-elle les conditions pour que les Africains prennent en main leur destin ? Depuis les 50 ans d'indépendance des quatorze pays africains francophones, on ne compte pas moins de 50 interventions militaires françaises pour défendre les dictatures, nos expatriés et nos intérêts. Depuis quelques années, ces interventions se font au nom du droit d'ingérence et des droits de l'Homme. Malgré toutes les déclarations de notre gouvernement sur la fin de la Françafrique, cette dernière intervention se situe dans la continuité d'une politique que nous dénonçons depuis longtemps. Succès militaires, défaites politiques Toutes les interventions militaires de ces dernières années (par exemple, en Afghanistan, en Irak et en Libye) se sont conclues par des succès militaires dans un premier temps, aussitôt suivis par des défaites politiques, et ce pour une simple raison : on ne remplace pas la volonté souveraine d'un peuple. Lorsque l'Etat est démantelé, il faut le reconstruire, lorsque l'unité d'un peuple est brisée, il faut la rétablir, lorsque l'armée est décomposée, il faut la rassembler, la former, lui redonner le moral. C'est cette décomposition de la nation malienne qui est advenue ces derniers mois. Et ce, en grande partie, à cause de l'intervention française en Libye. La politique de Nicolas Sarkozy a entraîné le retour de centaines de Touaregs surarmés, désœuvrés et prêts à se jeter dans une aventure avec les djihadistes. Parallèlement, la France n'a pas aidé le Mali à se défendre ; elle a abandonné le Président Amani Toumani Touré (ATT), tout seul dans la tempête qui se préparait. A deux mois de la fin de son mandat et de la transition politique, il ne pouvait même plus payer ses militaires qui se sont révoltés et ont entraîné l'effondrement de l'Etat malien. Pétrole, uranium, terres cultivables… Oui, il faut en finir avec les groupes djihadistes, mais c'est au peuple malien de le faire, avec l'aide de la communauté internationale. La guerre par procuration va renforcer la dépendance à moyen terme et ne créera pas le sursaut moral nécessaire, même si, aujourd'hui, une très grande majorité des Maliens se sent soulagée et applaudit l'intervention française. Je ne suis pas un pacifiste bêlant ; je me suis prononcé pour l'interposition des troupes françaises en Côte d'Ivoire pendant dix années, afin de protéger les ivoiriens d'un nouveau Rwanda. Mais nous ne sommes pas dans ce contexte. Les quelques centaines de djihadistes étaient à des dizaines de kilomètres de Mopti, elle-même à des centaines de kilomètres de Bamako. Le président malien a appelé au secours son homologue français parce que, comme son Premier ministre quelques semaines auparavant, il était menacé pour son incurie par son propre peuple. Il ne faut pas se cacher la réalité, nous avons des intérêts stratégiques dans cette grande région du Mali : pétrole, uranium, ressources énormes en eau souterraine, terres cultivables...Tout cela est convoité par les multinationales françaises, qataries, américaines... Sans oublier la plate-forme aéroportuaire de Tassalit (près de Kidal), utile pour surveiller et contrôler toute la région du Sahel, la Méditerranée, la mer Rouge. Quel est notre objectif de guerre ? Aujourd'hui, c'est tout le Sahel qui est déstabilisé, et pas seulement le Mali. Il ne faudrait pas que, dans une logique de dominos, après le Mali, précipité dans sa chute par l'intervention française en Libye, le Niger, le Burkina ou d'autres pays soient victimes de cette « cancérisation » de la région due au jeu trouble des grandes puissances et des groupes djihadistes. Mais maintenant que le vin est tiré, il faut le boire. C'est pourquoi, cette intervention doit être limitée, encadrée, que les buts de guerre soient clairement définis : veut-on repousser les groupes djihadistes ou réoccuper l'ensemble du Nord ? Il faut le dire clairement. Parce que, si la seconde solution est le vrai but de cette guerre, alors, ce ne seront pas deux semaines de conquêtes faciles, mais une guerre longue et coûteuse. Crise humanitaire La bataille dans le désert, c'est comme une bataille maritime : vous pouvez contrôler les villes, qui sont des îles-oasis, sans rien tenir du tout. L'Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique), le Mujao(Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), et Ansar Eddine savent faire cette guerre. Si les forces spéciales françaises ont le niveau suffisant pour s'opposer à leurs exactions, ce n'est pas le cas des troupes africaines. Il faut le savoir. Cette intervention devra donc être pérenne. L'enlisement de la France aussi. Et c'est ainsi qu'elle prend le risque d'aggraver l'insécurité et d'engendrer une crise humanitaire encore plus importante dans l'ensemble du pays. Elle peut : * radicaliser les communautés ethniques ; * favoriser le développement du terrorisme et des prises d'otage ; * et, enfin, entraîner l'ensemble de la région dans un conflit multiforme. On a donc raison de se poser des questions, de discuter, de débattre, de demander ce qui se passera ensuite, quel projet de développement la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), l'Union Africaine et l'Union européenne mettront en place pour que le Mali reconstitue son Etat, que le Sahel ne devienne pas une zone de libre circulation de la drogue, des armes et trafics en tout genre. « Gauchafrique » On a vu ce qui est advenu du gendarme américain au Moyen-Orient ; il ne faudrait pas que le retour du gendarme français en Afrique francophone subisse le même sort. Faute de s'être posé ces questions depuis près de 100 ans, on bâillonne les dissidents au nom de l'unité nationale. Chaque gouvernement fait taire les voix minoritaires. Puis quelques dizaines d'années plus tard, on réalise que l'on s'est trompé. On fait de grandes déclarations sur les mutins de Craonne, sur Vichy, sur la torture en Algérie, sur Sétif ou le 17 octobre, sur la Françafrique. Ceux qui ont eu le courage d'interpeller le pouvoir sont morts et enterrés depuis longtemps. Peu m'importe que Jean François Copé ou Marine Le Pen soutiennent le gouvernement dans cette affaire, que seules quelques voix dérangeantes se fassent entendre dans le consensus actuel. Je ne voudrais pas que, cette fois encore, faute d'avoir eu le débat public indispensable sur la guerre ou la paix, sur la vie ou la mort, on dise qu'à la Françafrique a succédé la Gauchafrique.