Le Quotidien d'Oran «C'est un plaisir fade et nuisible d'avoir affaire à des gens qui nous admirent et fassent place». Montaigne Et maintenant, que va-t-il se passer ? Les commentateurs nationaux se sont longuement attardés, à juste raison, sur le discours prononcé par le chef de l'Etat devant tous les maires du pays et leurs très nombreuses «tutelles». L'exercice exécuté par M. Bouteflika, une première, a évidemment de quoi laisser perplexe, sinon dubitatif, le citoyen lambda sachant que c'est la dernière ligne droite à la fin de deux mandats épinglés avec virulence par le premier magistrat. Effectivement depuis son investiture en 1999, celui-ci est responsable en validant des politiques économique, sociale, culturelle, éducative, sportive et en désignant ceux qui appliquent ces politiques, donc son programme. On peut lui reconnaître une franchise qui disqualifie la gouvernance depuis 1999, mais sans aller au bout d'une logique que doit induire l'autocritique pratiquée devant tout le pays, pour arriver à «la dissolution» d'un système en échec. Et maintenant, que va-t-il se passer? L'arrivée de quelques «vampires» étrangers qui se contentent, selon M. Bouteflika, d'exporter des bénéfices en vendant de la quincaillerie, de l'eau mélangée à du sucre, une téléphonie mobile parmi la plus chère du continent et très souvent sans le service de messagerie incorporé automatiquement, des voitures aux normes «spécifiques» à l'Algérie, remet en cause frontalement des privatisations obscures, à la hussarde. Ces dernières, et surtout la manière avec laquelle elle se font dernières, et surtout la manière avec laquelle elles se font, donnent du grain à moudre à Mme Hanoune du PT et aux entrepreneurs nationaux qui n'ont jamais cessé de faire des propositions restées lettre morte, ou juste bonnes à alimenter la presse privée, alors que des décisions stratégiques, aujourd'hui sévèrement condamnées par le Président, sont prises depuis des années. Les dégâts sont importants, de grande ampleur, mais «personne n'est responsable». Et c'est là une autre spécificité, un autre paradoxe algériens alors que le premier responsable évoque «une révision radicale de plusieurs choses». Lesquelles? Avant un constat d'échec, grandeur nature, il a été procédé à un seul changement, celui de chef du gouvernement. Mais est-ce que la solution ne résiderait que dans le remplacement d'un seul homme, dont le successeur incarnerait à lui seul une profonde réforme de tout un système justement mis en place dès 1999? A l'évidence non, puisque c'est l'ensemble du système d'un pouvoir qui a pris de mauvais chemins et des options contre productives. Des experts et des hommes politiques, tenus à la marge, des analystes bien de chez nous, des chercheurs et des universitaires aussi algériens que les ministres, par fournées entières depuis une décennie, ont mis en cause la gouvernance, le repli du pouvoir sur lui-même, les fermetures dignes d'un régime communiste malgré la floraison de partis «uniques» et d'associations supplétives qui sortent du bois, celui de la subvention, à chaque élection, pour battre le tambour et chanter «Oyez, oyez, braves gens». On peut même supposer que les écrits et les déclarations de l'opposition et de la société civile non embrigadée sont arrivés au niveau de M. Bouteflika et qu'ils ont servi à l'architecture du réquisitoire impitoyable qu'il a développé devant les maires et les administrations qui régentent de très loin les collectivités locales. Il s'est même trouvé un haut responsable qui a renvoyé au Président (encore!) d'éventuelles sanctions contre des maires FFS qui ont boycotté la rencontre. On revient à la case départ, l'opposition n'a pas le droit de s'opposer, sous peine de «sanctions» administratives contre les élus du peuple. Le jour même du verdict sans appel prononcé par le premier magistrat. La preuve est faite, encore une fois, qu'il s'agit d'une panne du système, dépassé par la société et les mutations du monde. Et il faut sans cesse le répéter: les plus grandes économies, les meilleures universités, les plus grandes découvertes dans tous les domaines s'épanouissent dans les pays les plus démocratiques où le maire de la capitale est plus important que trois ou quatre secrétaires d'Etat. A maintes reprises, la corruption, qui met en jeu des sommes colossales, la déliquescence de l'Etat qui n'est ni craint ni respecté, la fuite des cadres et des jeunes, ont été dénoncées, écrites noir sur blanc dans la presse privée, mais lorsque des sanctions ne frappent que des cinquièmes couteaux et quelques gros moutons sacrifiés pour que d'autres prennent le relais des prêts jamais remboursés, personne ne croit en la justice. Les graves jugements portés par le Président illustrent, par ailleurs, l'absence d'un programme mûrement réfléchi et largement débattu par les partis, les experts, la société, les élus, etc. La consanguinité pour réfléchir, élaborer, décider et faire appliquer a donné les résultats désastreux qui provoquent les émeutes, la harga, des détournements incroyables, le mépris sinon la haine envers tout ce qui vient du haut. Les diagnostics délivrés depuis des années, repris dans leur totalité par M. Bouteflika qui a été jusqu'à la salle de cinéma qui relève du privé, et non de la «restauration» (marché) étatique, impliquent désormais un changement de cap politique et non seulement des réformes de management. Le consensus national est incontournable pour de vrais changements. L'alliance présidentielle, hétéroclite, ne tient plus la route en ce siècle. Construite sur les débris de l'ex-FIS et l'atomisation du FLN sur un schéma dépassé, l'alliance est illisible. On a pensé mixer un parti nationaliste (le FLN), toujours empêché d'être de son siècle, un groupement dit islamiste (dans un pays musulman!) alors que ce type de courant perd partout du terrain, y compris en Turquie, au profit de sectes terroristes dont la seule idéologie est la violence, et enfin une jeune formation dite moderniste, cependant bien encadrée par ses deux alliés. Chacun de ces trois partis n'a pas le droit de contracter des alliances à l'extérieur d'un cercle en béton et, à eux trois, ils sont incapables de fédérer pour construire un front national intérieur patriotique, pas «nationaliste», algérien, pas islamiste dès lors que l'écrasante majorité de la population revendique un islam sans coloration politique. Ouvrir des chemins vers l'opposition, les élites et la société avant d'élaborer dans la solitude l'avenir du pays, serait la conclusion logique du diagnostic. Mais il y a fort à parier que dans le champ politique, rien ne changera. Les formations de l'échec continueront à gouverner, seules.