Vous vous souvenez sans doute de ce jeune homme immobile, recouvert de compresses, allongé sur un matelas à même le sol. Mais surtout de ses paroles, prononcées péniblement entre deux sanglots. «On ne me rendra jamais ce que j'ai perdu, ma petite fille. Même devant la justice, j'étais un accusé, pas une victime. Et tout ça pourquoi ? Parce que je n'ai pas de fric, pas de piston, parce que je n'ai rien.» France 24 avait, en 2009, consacré un reportage à Mohamed Goucem, âgé à l'époque de 27 ans. Dimanche dernier, il a succombé à ses brûlures à l'hôpital de Douéra à Alger. Le 29 octobre 2009, pour protester contre l'expulsion de sa maison, à Chlef, il s'était aspergé d'essence, lui, sa femme et sa petite fille de trois ans. Cette dernière décédera après trois mois d'hospitalisation. Le terrain sur lequel se trouvait son habitation d'à peine 4 mètres carrés devait être récupéré, selon le maire, pour un projet public. Un policier venu les évacuer avait alors utilisé contre Mohamed son pistolet tazer, provoquant une étincelle qui avait mis le feu à ses vêtements et ceux de sa femme et de sa fille. «Quand je me suis présenté devant le maire, avait-il dit à France 24, c'était pour qu'il se rende compte de l'injustice que je subissais, de ce qu'il m'avait fait.» Dans le reportage, on voyait aussi Ahmed, son père, maçon, qui avait tout laissé tomber pour s'occuper de son fils et lui faire faire les exercices nécessaires chaque jour pour lui éviter les escarres, parler du sacrifice financier que représentaient les soins, l'achat des médicaments pour soulager la douleur, le traitement pour lutter contre les infections, les compresses pour apaiser la peau brûlée. Et sa femme, Nawel, regrettait aussi, impuissante : «Personne n'est venu s'enquérir de notre situation. Même le maire n'a pas daigné lui ramener un médecin, lui proposer une prise en charge.» Dans un communiqué adressé à la presse, le bureau de wilaya de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme s'incline devant la mémoire des victimes et s'interroge sur les causes et les responsabilités dans ce drame. Ahmed Yechkour, Mélanie Matarese