Il y a 55 ans, l'alliance paras-ultras permet le retour du général de Gaulle au pouvoir. Dans l'histoire contemporaine, il y a certaines dates qui changent véritablement le cours d'une nation. Celle du 13 mai 1958 marque de façon indélébile l'histoire de la France. Elle est d'autant plus importante dans la mesure où elle prend à contre-pied ceux qui veulent empêcher l'évolution des autres peuples. Par ailleurs, bien que revendication de l'indépendance soit irréversible, car dès novembre 1954 l'objectif des initiateurs de la lutte armée était la libération du pays, le changement de régime politique en France va indubitablement influer sur la suite de la guerre d'Algérie. En fait, la faiblesse de la IVème République, face notamment au chantage permanent du lobby colonial, ne permet pas d'envisager une solution équitable du conflit algérien. Bien que l'événement relève de la politique franco-française, il n'en reste pas moins que le sort de l'Algérie était l'enjeu principal. Pour étayer cette thèse, Alger n'est-il pas le point de départ de la contestation ? Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a 55 ans, l'alliance entre les paras et les ultras parvient à achever le régime grabataire des partis. De toute évidence, bien que les différents présidents de Conseil aient offert tous les moyens à l'armée en vue d'écraser la révolution algérienne, le lobby colonial, à mesure que l'indépendance de l'Algérie devient inéluctable, s'affole. Pour annihiler l'espoir de tout un peuple, le lobby cherche désormais à placer l'homme de son choix à la tête de l'Etat français. Tout de même, force est de reconnaître que le climat politique, marqué par instabilité politique, leur est favorable. De plus, à la fragilité des institutions de la IVème République, les ultras disposent d'un soutien de taille, en l'occurrence celui de l'armée. Bien que son rôle consiste à protéger la République, son engagement dans les guerres, d'Indochine d'abord et d'Algérie ensuite, l'éloigne de la métropole, estime Yves Courrière, dans « l'heure des colonels ». Dans ce cas, l'alliance des colons avec l'armée ne peut conduire qu'à la chute de la IVème République. En plus, comme le souligne si bien Michel Winock, dans « l'agonie de la IVème République », bien avant le 13 mai 1958, l'armée disposait de tous les pouvoirs en Algérie. À deux reprises, lors du rapt aérien, le 22 octobre 1956, de la délégation extérieure du FLN et lors de l'expédition punitive contre le village de Sakhiet Sidi Youcef, le 8 février 1958, le commandement militaire n'a pas jugé nécessaire d'aviser le gouvernement. Quant aux colons, bien avant ces deux événements, ils avaient humilié le président du Conseil, Guy Mollet, lors de la journée des tomates. Ce jour-là, ils avaient réussi à empêcher la nomination du général Catroux comme gouverneur de l'Algérie. Du coup, après la chute du gouvernement Félix Gaillard, le 15 avril 1958, les ultras et les paras mettent au point leur plan machiavélique. Désormais, ils ne veulent plus influencer la politique de Paris, mais ils veulent jouer les premiers rôles. Pour ce faire, ils cherchent une tête d'affiche leur faisant défaut. Néanmoins, pour des raisons différentes de celles animant les deux groupes, les gaullistes saisissent la balle au bond en y intégrant la contestation. Leur but est de permettre le retour du général de Gaulle aux Affaires. Quoi qu'il en soit, bien que leur poids politique soit insignifiant en 1958 [ils ont obtenu 585764 voix aux élections législatives du 2 janvier 1956, soit 2,6% de suffrages exprimés], les gaullistes jouent sur le prestige de l'homme du 18 juin. Ainsi, le 13 mai 1958, l'alliance entre les ultras, les paras et les gaullistes est définitivement scellée. Lors de la formation du comité de salut public (CSP), les gaullistes sont représentés par Léon Delbecque. Présidé par le général Massu, ce comité exige la formation d'un gouvernement dirigé par le général de Gaulle. En dépit de l'investiture, le 14 mai à 2 heures du matin, du nouveau président du Conseil, Pierre Pflimlin, par 273 voix contre 124, les contestataires ne désarment pas. Le 16 mai, le président du CSP envoie un message au président de la République, René Coty, dans lequel il l'incite à faire appel au général de Gaulle. « Toute autre solution est génératrice de deuils, de misère et désespoir », avertit le général Massu. Cependant, la disposition du général de Gaulle à assumer les responsabilités de la nation accélère les événements. Mêlant les tractations politiques (la rencontre à Saint-Cloud entre De Gaulle et Pierre Pflimlin le 27 mai 1958) et le chantage au coup d'Etat (la préparation du plan militaire, appelé « Résurrection », en vue de renverser tout autre gouvernement), le général de Gaulle est investi par le parlement le 1er juin 1958. Tout compte fait, entre ceux qui qualifient le retour de Gaulle aux Affaires de coup d'Etat, à l'instar de Mendès France, et ceux qui évoquent le vote des députés –faut-il signaler par ailleurs que sans le chantage, ces derniers n'auraient pas voté pour le général de Gaulle –, l'historien Michel Winock qualifie ce retour du général de Gaulle au pouvoir de «coup d'Etat de velours ». En somme, sans afficher ses véritables intentions, le général de Gaulle joue, dans le premier temps, la prudence. Trois jours après son investiture, il se rend à Alger. Du balcon du gouvernement général, il déclare avoir compris ce qui s'est passé à Alger. D'emblée, le général s'assigne pour mission de renforcer son pouvoir. Bien qu'il ne remette pas en cause le principe de détruire la révolution algérienne, le plus célèbre des hommes politiques français ne croit pas non plus à la seule solution militaire. À ce titre, le rappel en métropole des généraux qui ont permis son retour au pouvoir s'inscrit immanquablement dans la logique de privilégier une solution politique. Enfin, bien que les intérêts français soient défendus jusqu'à l'ultime round de la négociation, grâce à la fermeté du général de Gaulle, la solution de paix devient enfin une idée effective. Et c'est dans ce sens que cette date est importante pour l'Algérie. Elle est d'autant plus importante que la résolution du conflit n'avait aucune chance sous le régime des partis. Ait Benali Boubekeur