dimanche, 13 octobre 2013 12:07 Match piraté Quand l'ENTV consacre « le droit » au vol Riad Mustapha Fassi L'ENTV, télévision publique algérienne, va sûrement entrer dans l'Histoire. Et quelle Histoire ! Celle du brigandage à hautes fréquences. Samedi soir, l'ex-RTA a donc, et devant la planète entière, volé les images du match Burkina Faso-Algérie qualificatif à la Coupe du monde de football de 2014. Un vol assumé publiquement. L'ENTV a « protégé le droit des téléspectateurs algériens de voir évoluer son équipe nationale en dehors de son territoire », a expliqué son DG dans une déclaration à TSA. « Les détenteurs de ces droits (Al Jazeera, ndlr) auraient dû sous-licencier à la télévision algérienne, conformément à la pratique universelle, les droits de diffusion terrestre », a-t-il ajouté. Si aucun accord n'a été trouvé avec Al Jazeera Sports, détenteur exclusif de ses droits au nom d'accords signés depuis des années, pourquoi alors retransmettre la rencontre sur la chaîne terrestre qui est également diffusée par satellite ? « Les négociations qui se sont poursuivies samedi entre les deux parties n'ont pas abouti », a ajouté l'ENTV sans autres précisions. Il y a donc manifestement un problème : pourquoi négocier la transmission d'une rencontre d'une telle importance à la dernière minute ? Tewfik Khelladi et ses collaborateurs du service commercial, savent bien que l'ENTV, à l'instar de la plupart des chaînes publiques du continent, n'a plus l'exclusivité de certains matchs de football en Afrique, depuis des années. Pourquoi donc crier au loup et jouer à la victime ? Al Jazeera Sports est devenu un grand groupe du marché de l'image sportive à l'échelle mondiale. La force commerciale et technique du groupe qatari a même bousculé les autres intervenants du marché notamment en Europe, à l'image du géant français Canal +. Al Jazeera Sports a des droits sur plusieurs matchs européens et asiatiques. Mais en Europe, et même en Asie, personne n'a dénoncé une pratique devenue universelle, car c'est bien la loi de la concurrence. En Algérie et au nom d'un chauvinisme patriotique mal placé, on s'est attaqué à Al Jazeera et au Qatar, au lieu d'ouvrir un débat sur la dramatique gestion de l'ENTV et sur l'acte de vol d'images, unique dans les annales de la télévision contemporaine. Comment une chaîne d'Etat peut-elle commettre un tel acte et l'assumer ? En plus de poursuites pénales, l'ENTV risque « un débarquement » pur et simple de tous les satellites (La terrestre est diffusée sur Nilesat). C'est que dans le monde d'aujourd'hui, il y a des règles et des lois qu'il faut respecter. Que l'ENTV veuille consacrer « le droit » au vol, c'est presque permis dans un pays où la justice n'a aucune indépendance et où il n'existe aucun contrôle des dépenses publiques. Que l'ENTV, qui a humilié les Algériens par son acte irresponsable et honteux, accepte de payer les conséquences ! Si les responsables de l'ENTV ont reçu des ordres politiques pour agir de la sorte, c'est encore plus grave. L'ENTV était absente lorsque les groupes mondiaux de télévisions se partageaient le marché africain et européen de l'image. Elle n'a qu'a en vouloir à elle-même et à un Etat incapable de suivre la marche du monde, de s'adapter aux normes médiatiques actuelles. L'Algérie est le seul pays au monde qui considère ses chaînes privées comme des chaînes étrangères sur son propre territoire. Le seul pays au monde à imposer des règles policières d'un autre âge pour accréditer des correspondants étrangers. L'Algérie est parmi les derniers Etats au monde à avoir encore un monopole total sur les fréquences (radios et télévision). Le projet de loi sur l'ouverture de l'audiovisuel traîne d'un bureau à un autre depuis au moins deux ans. Un texte qui ne libère que partiellement le champ audiovisuel et crée beaucoup de nouvelles entraves. C'est qu'en Algérie, on n'arrive toujours pas à comprendre, au sens large du terme, l'importance des médias, des satellites et des images. Aujourd'hui, acheter un satellite est plus rentable qu'acheter un chasseur bombardier. A Alger, on refuse d'accepter cette réalité.