Le succès de la Révolution algérienne a été possible grâce aux grands sacrifices du peuple algérien et le consensus que les nationalistes, toutes tendances confondues, ont réussi à réaliser, autour des objectifs assignés à la lute de libération nationale. Ce consensus a été préservé jalousement jusqu'à la libération du pays du joug colonial, malgré les difficultés internes et externes rencontrées. Face à l'épreuve du pouvoir, le Congrès de Tripoli en 1962, a échoué à définir les fondements de l'Etat algérien renaissant et à dégager une direction nationale éclairée capable de s'atteler à l'édification du jeune Etat sur la base des principes et valeurs démocratiques universelles contenus dans la déclaration de Novembre. Cet échec a sonné le glas du consensus révolutionnaire et a livré le pays aux luttes intestines pour la prise du pouvoir, entre compagnons d'armes et frères de combats. Le pouvoir qui s'était autoproclamé était de nature verticale et autoritaire. Il avait bâti sa force et consolidé ses assises sur l'institution militaire et le parti unique qui avaient monopolisé l'activité politique nationale, au nom de la légitimité historique et révolutionnaire. Lesquelles institutions étaient devenues des pépinières dont lesquelles le pouvoir puisait des cadres placés aux postes de responsabilité et qui étaient devenus ses obligés. Le contexte historique, sous-régional et international de l'époque, dominé par les convoitises, les visées expansionnistes, les luttes d'influences, ainsi que la confrontation idéologique , dont notre pays n'était pas épargné, avait favorisé le renforcement des assises du pouvoir en place, grâce au large soutien d'une population imbibée de nationalisme et fière d'avoir arraché son indépendance. Cette démarche, autoritaire et populiste, a conduit, au fil des années, à l'instauration d'un régime clanique sacralisé dont la face institutionnelle apparente est l'institution présidentielle, qui concentre tous les pouvoirs en réduisant les institutions de l'Etat au rôle de caisse de résonnance. Le chef de l'Etat, élu par une élection- désignation, devenait la cheville ouvrière du système et le passage obligé du processus décisionnel. En se perpétuant, cette pratique a empêché le pays de se doter d'institutions de gouvernance authentiques, capables de lui permettre de profiter pleinement de toutes ses potentialités, humaines et matérielles. Le capital-confiance, véritable pacte social fondé, sur la « légitimité révolutionnaire et historique » a été progressivement érodé. En devenant un fond de commerce pour le maintien au pouvoir, cette forme de légitimité a cédé la place à l'allégeance et au clientélisme. Le fossé entre gouvernants et gouvernés s'est donc élargi, au point de désintéresser et même de dépiter la grande majorité des citoyens de la chose politique et du service public. L'étouffement, sinon l'écrasement de toute voix d'essence démocratique avait dissuadé l'élite de s'engager dans la lutte politique au quotidien ce qui avait démobilisé la société et empêché l'émergence d'une opposition légitime, crédible et structurée. Ainsi, le pouvoir n'a pas contribué à l'enrichissement de la vie politique nationale. Il l'a plutôt entravée et compromise, empêchant la constitution de grands partis politiques et une société civile, avec à leur tête, des hommes et des femmes capables de concourir, dans le respect des obligations et le sens des responsabilités qu'imposent la charge élective et la mission de service public. Celles-ci devant être acquises dans la transparence et l'équité sur la base de la compétence, des idées et des programmes, et assumées comme un sacerdoce, avec conviction, courage et esprit d'abnégation. Aujourd'hui, le sentiment nationaliste est encore vivace. La sagesse acquise dans les difficultés et les épreuves endurées, les luttes pacifiques au nom d'un idéal démocratique menées par une avant-garde éclairée ont contribué à la maturité politique du peuple algérien. Dans un contexte sous-régional et arabe, perturbé et incertain incitant au pire, notre peuple est, fort heureusement, resté maitre de lui-même et a fait preuve de lucidité et de retenu, hormis les expressions de colère et de mécontentement légitimes motivés par la mal vie et les difficultés que rencontrent les citoyens au quotidien. Ce sens aigu des responsabilités et de discernement auquel s'ajoute le renouvellement des générations, capables de prendre en main les destinées du pays incite, les détenteurs du pouvoir à faire montre d'écoute et de disponibilité , face aux aspirations largement exprimées de manière pacifique et d'y répondre avec lucidité politique, perspicacité et sens des responsabilités afin d'éviter au pays de nouveaux dérapages et un surcroit de malheurs. L'évolution des systèmes de gouvernance et de communication de par le monde, y compris dans certains pays du tiers monde qui ont réussi à émerger et à échapper à la tentation du système oligarchique, exigent que les appels, dans notre pays, pour le changement du mode de gouvernance doivent être bien compris et entendus, dans l'intérêt de tous. Force de constater, aujourd'hui, que ni les revendications pacifiques ou violentes que le pays a enduré, ni les changements destructeurs qu'ont connu certains pays proches de nous, n'ont suffit pour dissuader les tenants du pouvoir de s'écarter de la voie clanique et clientéliste dans la conduite des affaires du pays , pour s'engager résolument dans la voie des réformes politiques tant attendues, plusieurs fois annoncées et chaque fois différées. Depuis les évènements tragiques d'octobre 1988 et la décennie noire qui a endeuillé tout un peuple, le pays n'en finit pas de parachever sa transition politique vers un système démocratique dans lequel la souveraineté revient au peuple à travers des institutions librement élues. Plusieurs opportunités ont été manquées pour engager et achever les réformes politiques, économiques et culturelles tant souhaitées par le peuple algérien. Le destin de l'Algérie ne devrait plus dépendre de l'issue des guéguerres et des luttes intestines entre factions au pouvoir et autour du choix de la personnalité qui sera cooptée pour diriger le pays pour un mandat de cinq ans, mandat que nous savons d'avance renouvelable, selon les circonstances et les rapports des forces en présence. L'exemple du Président Liamine ZEROUAL qui a écourté la durée de la période de transition, pour laquelle il a été désigné, ainsi que celle du mandat présidentiel, pour lequel il a été massivement élu, est considérée, dans un système monopolistique, comme une ineptie sinon une hérésie. Le Président ZEROUAL voulait, certainement, donner l'exemple en passant la main, après avoir réhabilité les institutions de l'Etat, endigué la crise et lancé le processus conduisant à la réconciliation nationale, tout en jetant les fondements d'une pratique politique démocratique. En agissant ainsi, il a cru, un moment, avoir parachevé l'édifice institutionnel d'un 'Etat moderne. Il a inscrit à son actif la règle constitutionnelle de l'alternance au pouvoir qui a été adoptée par référendum populaire, pour qu'elle soit remise en cause, en dehors du respecter du principe du parallélisme des formes, s'agissant d'une disposition constitutionnelle importante. L'œuvre de réhabilitation de l'Etat accomplie en si peu de temps, moins de cinq ans, dans un contexte politique, économique et social des plus difficile et un environnement international des plus hostile , avait besoin, seulement, d'être consolidée et approfondie. Le peuple algérien assiste, médusé et désorienté durant la campagne électorale qui s'achève, à toutes sortes de manœuvres et de manipulations tendant à perpétuer l'ordre établi par le recours aux mêmes méthodes et aux mêmes procédés usés et dépassés qui ne peuvent plus convaincre pour rallier une population fatiguée et désabusée. Le tout couvert par une agitation médiatique propagandiste des plus stériles, qui ne respecte ni les règles de l'éthique politique, ni les règles du savoir vivre ensemble et encore moins la grandeur de notre pays et son histoire glorieuse. Les discours démagogiques, populistes et creux qui sont crachés à la face des citoyens visent à l'évidence à détourner l'attention de l'opinion publique des débats sérieux et enrichissants et des préoccupations réelles auxquelles est confrontée la population. Cette élection présidentielle, pour un quatrième mandat, est perçue par l'immense majorité des citoyens, mécontents et en colère, comme un non évènement, à cause des desseins inavoués qui lui ont été assignés et les conditions dans lesquelles elle se déroule, desseins disqualifiant moralement et politiquement pour leurs auteurs et dégradants pour le pays . Cette propension à vouloir le pouvoir et à le conserver, en dépit de tout et de tous, qui s'accompagne de dépassements ostentatoires graves et parfois insultants, risque fort de saper les fondements de la cohésion et de l'unité nationales, de compromettre l'avenir du pays en l'exposant à tous les dangers qui l'entourent . Cette pratique s'écarte des règles de la bonne gouvernance et ignore les pulsations profondes des masses populaires, leurs aspirations et revendications légitimes. Elle fait fi des mêmes causes qui avaient conduit au vote sanction de 1991 et la tragédie nationale qui en est résulté. Cette tragédie, faut- il le rappeler, a coûté au pays de lourds sacrifices, en pertes humaines et matérielles inestimables, en douleurs et en souffrances inconsolables, tout en compromettent son développement et en ternissant son image dans le monde. Si le pays a pu sortir de cette épreuve douloureuse, c'est grâce à l'engagement et à la mobilisation volontaire des patriotes inconditionnels, ainsi que grâce à la sagesse et à la perspicacité des uns et des autres qui ont su transcender leurs intérêts particuliers ou partisans. Cette tragédie dont nous continuons à subir les conséquences et à en panser les blessures est, aujourd'hui, fort heureusement derrière nous. Mais en avons-nous tiré tous les enseignements ? La frustration et la colère populaires grandissantes, chaque jour davantage, prouvent qu'il n'en est rien. Cette situation devrait inquiéter et interpeller les tenants du pouvoir, les candidats à la magistrature suprême, ainsi que tous les partis politiques, les acteurs de la société civile et tous les citoyens sincèrement préoccupés et concernés par le présent et l'avenir de leur pays qui n'est pas à l'abri des dangers qui le guettent, faut-il le souligner. Après plus de cinquante ans du recouvrement de la souveraineté nationale, grâce à une lutte de libération nationale héroïque et plus d'une décennie noire qui a failli ébranler les fondements de l'Etat algérien, est-il raisonnable, sage et patriotique d'enferrer le destin de toute une Nation au sort d'un homme, qu'elle qu'il soit, ou d'un clan? Le peuple algérien a de nouveau rendez-vous avec son histoire. Il ne devrait pas manquer cette opportunité en mettant à profit les leçons du passé. Des voix patriotes, des plus qualifiées et des plus sages, s'élèvent ici et là, pour souligner la nécessité du changement et pour tirer la sonnette d'alarme quant aux risques gravissimes auxquels peut conduire la situation absurde que nous vivons, après tant de combats et de sacrifices pour l'émergence, de manière pacifique, d'un pouvoir d'essence authentiquement populaire. La voix de la sagesse et celle de la primauté de l'intérêt du pays, mis au-dessus de tout, doivent prévaloir, dans le traitement avec lucidité, courage et esprit d'abnégation tous les problèmes nationaux. La stabilité et la sécurité du pays ne peuvent être garantis que par l'engagement résolu, sans plus tarder, pour la mise en œuvre des règles démocratiques universelles de bonne gouvernance. Un mode de gestions des affaires publiques au seul service de la collectivité nationale, exercé par des institutions authentiques « qui survivent aux hommes », comptables de leurs actions et dont les règles fondatrices, adoptées par référendum populaire, doivent être intangibles. Un Etat de droit qui respecte les libertés individuelles et collectives, la séparation et l'équilibre des pouvoirs, l'indépendance de la Justice, le respect de la liberté d'entreprendre, la création de commissions parlementaires d'enquêtes et une haute autorité indépendante de contrôle des médias publics et privés. C'est par une véritable praxis sur nous-mêmes, que notre sort individuel et national sera transformé et nos conditions de vie améliorées, car « Dieu ne modifie rien en un peuple avant que celui-ci ne change ce qui est en lui » (Sourate Arraad, verset 11). Quels que soient les conditions dans lesquelles ce scrutin se déroulera, en espérant qu'elles soient conformes à la légalité et à l'équité, et les résultats auxquels il aboutira, le sens des responsabilités et du devoir à l'égard de notre peuple et de notre pays imposent la retenue et la sagesse dans le traitement des difficultés qui pourraient surgir. Toutes les forces patriotiques institutionnelles, partisanes, associatives ou individuelles devraient transcender leurs divergences et leurs préoccupations spécifiques dans le traitement de la situation qui se présentera à eux, avec un sens politique aigu et perspicacité pour que des décisions justes et efficaces soient prises pour faire face à toute alternative. Chacun doit œuvrer pour que toutes les énergies et toutes les bonnes volontés s'unissent au sein d' un mouvement d'ensemble pacifique porté par un élan fort et déterminé pour que le changement souhaité s'accomplisse pacifiquement , dans le respect des règles de liberté et de démocratie.. Les dangers à conjurer sont réels et très graves. Le pays est guetté, soit par l'approfondissement du découragement, la démobilisation et l'indiscipline déjà très perceptibles dans nos villes et villages, soit par l'anarchie, la désobéissance civile et l'insécurité permanente, autant de causes avérées de déstabilisation des fondements des Etats. La majorité de l'électorat dont la quasi-totalité est née après l'indépendance, est aujourd'hui à la recherche d'une voie de sortie honorable et pacifique à la situation de blocage que vit le pays. Elle fait montre de patience et de retenue devant les menées et basses manœuvres de divisions, de provocations et de régression. Elle appelle à la mobilisation citoyenne et unitaire, sans exclusive, qui tournera le dos à tout esprit partisan, clanique, tribal ou régionaliste. Il est , par conséquent, urgent et salutaire pour que ces appels soient compris et entendus par tous et que tous les citoyens, intègres et patriotes, qui constituent au demeurant la majorité de notre peuple , se mobilisent et s'engagent de manière solidaire pour l'instauration de manière pacifique d'un système de gouvernance qui soit l'émanation d'une volonté populaire réelle. Cet engagement et cette mobilisation unitaire, au service du seul intérêt général, est le meilleur moyen pour que ce rendez-vous avec notre histoire soit l'opportunité décisive pour la réalisation de manière pacifique du changement tant souhaité par l'immense majorité de notre peuple. Ce sursaut citoyen et rassembleur doit s'inscrire dans la durée et dans le respect des valeurs démocratiques, des idées et des programmes des uns et des autres. Il est de nature à canaliser tous les mécontentements, en extirpant les germes de la discorde, du déchirement et de la division qui commencent à s'infiltrer dans le corps social national, résultats d'une longue et mauvaise gouvernance qui a atteint ses limites. Il épargnera, ainsi, à notre pays des débordements et des dérapages périlleux qui pourraient mettre en danger, sa stabilité sa sécurité et son unité. Il est, enfin, la seule issue réaliste, raisonnable et efficace à même de garantir le recouvrement de la souveraineté populaire et la mise en place d'institutions réellement démocratiques, capables de mobiliser toutes les énergies et les potentialités nationales au service d'un développement généralisé et durable. Est-il trop demandé aux uns et aux autres, d'œuvrer ensemble, pour que notre pays retrouve enfin la paix, la sérénité et la véritable concorde et réconciliation dont il a tant besoin, ainsi que le chemin du développement et du progrès humain réel qu'il mérite. Ce grand pays qui fut l'exemple et le modèle à suivre pour beaucoup de peuples épris de paix, de justice et de liberté mérite cet effort de la part de ses citoyens. Les potentialités immenses, humaines et matérielles, que recèle notre beau pays, offrent à chaque citoyen une chance pour vivre dans la dignité, la paix, la sécurité et le confort, pour peu que les principes et les valeurs qui ont scellés l'unité du front nationaliste artisan de la Révolution du 1er Novembre 54, soient recouvrées et mis en avant au-dessus de toute autre considération. Gloire à nos valeureux Martyrs MIHOUBI El Mihoub [email protected]