Les accords d'Evian interviennent six ans après l'échec des premières négociations secrètes, entamées le 10 avril 1956 au Caire. De toute évidence, l'éloignement des positions –une autonomie interne assortie de mesures restrictives et une reconnaissance préalable de l'indépendance de l'Algérie –renvoie le règlement du conflit aux calendes grecques. En tout cas, quoi que l'on puisse épiloguer sur le courage des politiques français, sous la IVeme République, le dernier mot revient au lobby colonial. Dans une étude fort documentée, l'éminent historien, Charles Robert Ageron, résume la politique de Guy Mollet comme suit : « l'ordre de la main droite et la négociation de la main gauche. » Du coup, « l'affirmation de Ben Bella selon laquelle on était en octobre 1956 très près d'un accord identique à celui qui serait conclu 5 ans et demi après, à Evian », ne tient pas la route. Quoi qu'il en soit, bien que chaque acteur aille de sa propre version, la réalité est sans concession. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les vraies négociations ne commencent qu'après la reprise en main de l'institution militaire par le général de Gaulle. D'après Charles Robert Agreon, en reprenant la formule du général Delavignette, « si l'Algérie n'était pas la dernière chance de la France, pour beaucoup d'officiers elle était à coup sûr la dernière chance de l'armée française. » En tout état de cause, bien que le général de Gaulle réussisse à rappeler, en décembre 1959, le plus représentatif de la ligne dure, en l'occurrence le général Jacques Massu, il ne se précipite pas, pour autant, à ouvrir les négociations. Et quand il s'engage dans cette voie, comme c'est le cas à partir de juin 1960, son intransigeance répond, selon Charles Robert Ageron, à une stratégie bien réfléchie. Selon l'éminent historien, « de Gaulle dut durcir le ton, rassurer l'armée et, par exemple, rendre inopérante la rencontre de Melun. La réponse est pourtant claire : les pourparlers de Melun n'ont pas été engagés en juin 1960 pour réussir, mais pour échouer. » Cependant, après le référendum du 8 janvier 1961, où les Français de métropole donnent le blanc-seing à la politique du général de Gaulle, le processus de négociation s'accélère. En dépit des velléités du général de Gaulle de choisir ses propres interlocuteurs –en misant notamment sur la création d'une troisième force –, il se résout finalement à négocier avec le véritable représentant du peuple algérien, le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne). Et, qui plus est, après la fin du chantage sur l'appartenance du Sahara à l'Algérie, le conflit franco-algérien se dénoue. En revanche, bien que les objectifs de la révolution soient atteints –l'indépendance politique et économique de l'Algérie –, les antirévolutionnaires montent au créneau. En fait, au moment où les négociateurs algériens se démènent pour arracher davantage de concessions à la France, Houari Boumediene et ses amis manœuvrent dans les coulisses en vue de priver le peuple algérien de sa victoire. En s'opposant aux accords de paix et ne voulant pas intégrer l'intérieur du pays pour se battre, ils affûtent leurs armes pour l'unique bataille qui a un sens à leurs yeux : la prise du pouvoir. Résultat des courses : les Algériens perdent leur indépendance avant même d'en avoir savouré le gout. Enfin, malgré leur discours anticolonialiste, les putschistes ne dirigent pas leur action contre l'ancienne puissance coloniale, mais contre le peuple algérien. « Quant au second pari, celui d'une coopération entre Etats, qui allait se développer et se préciser par quelque 72 accords ou conventions particulières de 1962 à 1969 inclus, on ne peut pas dire avec le recul de l'histoire qu'il ait été perdu. Le fait d'avoir réussi, au sortir d'une langue guerre meurtrière, non seulement à se réconcilier, mais à considérer l'ennemi d'hier comme le partenaire privilégié d'aujourd'hui et de demain, devrait même être reconnu comme un succès diplomatique », conclut l'éminent historien. Mais, là où le bât blesse, c'est que les véritables représentants du peuple algérien ont été écartés sous prétexte fallacieux de vouloir un rapprochement avec la France. Cela prouve, si besoin est, que les vainqueurs de la crise de l'été 1962 ne sont pas aussi nationalistes qu'on a voulu nous le faire croire. Ait Benali Boubekeur * facebook * twitter