Les manifestations du 11 décembre 1960 furent un «référendum populaire» pour l'indépendance de l'Algérie que les historiens avaient qualifié de «véritable Dien Bien Fu psychologique». Le peuple algérien, ce jour-là, est sorti dans les principales villes d'Algérie pour contrecarrer le plan du général Charles de Gaulle visant à imposer une solution «octroyée» dans le cadre d'une décentralisation de l'administration coloniale avec une «autonomie» des territoires algériens, sous son fameux slogan de «l'Algérie algérienne». Dans un entretien à l'APS, l'ancien directeur du journal El Moudjahid pendant la guerre de Libération nationale et porte-parole de la délégation algérienne à Evian, Rédha Malek, a affirmé que les manifestations du 11 Décembre ont constitué un tournant «décisif» dans la lutte pour l'indépendance du pays, en ce sens qu'elles avaient permis au Front de libération nationale (FLN) d'isoler la France sur la scène internationale. Il s'agit, pour lui, d'un «véritable référendum populaire» pour l'indépendance de l'Algérie qui avait stoppé les visées de de Gaulle, dans le sens où ces évènements lui avaient fait comprendre que la «victoire militaire» contre l'Armée de libération nationale (ALN), vite scandée par le général Challe, suite à son plan militaire pour «écraser les maquis», ne pouvait être transformée en «victoire politique». Les répercussions de ce «référendum populaire» se feront immédiatement sentir sur le plan international et même auprès de l'opinion publique française. Le défunt Belkacem Krim avait lancé, dès l'explosion populaire à Alger, qu'il était temps que «le cri de Belcourt retentisse à Manhattan (New York, ONU)». Il va le vérifier une semaine après, à l'occasion de la 15e session de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ONU), au cours de laquelle une résolution «très forte» reconnaissant le droit à l'autodétermination et à l'indépendance du peuple algérien et reconnaissant la nécessité de négociations algéro-françaises, pour trouver une solution pacifique sur la base de l'intégrité territoriale, a été adoptée le 20 décembre 1960. Aussitôt après les manifestations, de Gaulle, qualifié par M. Malek de «pragmatique», avait demandé de stopper le processus de réorganisation des services publics en Algérie. Pour l'ancien porte-parole de la délégation algérienne à Evian, il s'agit là d'un «recul» du général de Gaulle dans sa politique coloniale en Algérie. Prenant acte de la «leçon» du 11 décembre 1960, le président de la République française organise, le 8 janvier 1961, un référendum sur l'autodétermination en Algérie, une possibilité qu'il avait évoquée pour la première fois le 16 septembre 1959. C'est dans ce contexte que le processus de négociations fut lancé avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), reconnu lors des négociations d'Evian, un an après les manifestations du 11 décembre, comme l'unique représentant légitime du peuple algérien. Les intentions de De Gaulle La presse étrangère (américaine, anglaise, française, italienne), qui était présente en Algérie, lors de ces événements, avait contribué, selon lui, à cette victoire, en informant l'opinion publique internationale du déroulement des manifestations dans les moindres détails. Parallèlement au succès diplomatique enregistré sur le plan international par le FLN, grâce aux manifestations du 11 décembre, la France, par la même occasion, a été obligée de revoir «fondamentalement» sa politique coloniale en Algérie, a-t-il ajouté. «Lorsque de Gaulle est venu au pouvoir en 1958, il est venu avec l'idée de frapper dur sur le plan militaire. Il a envoyé le général Challe qui est venu avec un plan de liquidation de l'armée de libération nationale (ALN)», a rappelé M. Malek. Suite à plusieurs grandes opérations militaires «meurtrières», a-t-il encore indiqué, le général Challe avait publiquement déclaré que «la guerre est terminée. Nous avons gagné militairement» contre le FLN/ALN. De son côté, Charles de Gaulle avait engagé des discussions avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), à Melun en juin 1961, une rencontre qui s'est terminée sur un «échec». «En réalité, de Gaulle voulait imposer à l'Algérie et au GPRA un cessez-le-feu. Melun a été un échec pour de Gaulle. Pour nous, ça été positif dans la mesure où l'on savait que cela n'allait pas marcher. Melun a permis d'affirmer la représentativité du GPRA vis-à-vis de la France», a expliqué M. Malek. Selon le porte-parole de la délégation algérienne aux négociations d'Evian, «l'échec» de Melun a fait réfléchir de Gaulle : «Il a essayé de parler de l'Algérie algérienne, laissant entendre que l'Algérie allait être plus au moins autonome, alors que c'était une formule néocolonialiste qu'il voulait, il faut le dire, imposer», a-t-il dit. L'idée du général, a indiqué M. Malek était la suivante : «Puisque Challe dit que nous avions gagné militairement, on va tout simplement faire une décentralisation de l'administration en Algérie et installer un exécutif provisoire qui sera une sorte de gouvernement local sans beaucoup de prérogatives et qui sera associé à la France.» Les manifestations du 11 décembre ont eu lieu à l'occasion de la visite de Charles de Gaulle en Algérie. «Il était venu lancer la politique de l'Algérie algérienne sous le nom de la réorganisation des services publics», a-t-il encore rappelé. Les milliers de gens, hommes, femmes et enfants, qui sont sortis dans les rues des principales villes du pays (Alger, Blida, Annaba, Tlemcen) aux cris de «vivre l'indépendance, vivre le GPRA», avaient empêché de Gaulle d'effectuer sa visite dans ces villes et d'imposer sa nouvelle conception des choses. «Les manifestations du 11 décembre avaient donné une leçon terrible au général», a estimé M. Malek. «C'était sa dernière visite en Algérie», a-t-il ajouté. Les Français s'étaient en majorité (75%) prononcés en faveur de l'autodétermination des Algériens à l'occasion de ce référendum. «A partir de là, il (de Gaulle) s'est lancé dans les vrais négociations avec le GPRA. La première rencontre sérieuse, depuis 1954, a eu lieu à Lucerne (Suisse) en février 1961 juste après le fameux référendum», a souligné M. Malek. Une année après la rencontre de Lucerne, suite à des négociations longues et difficiles alors que la lutte continue sur le terrain, le GPRA et la France signent les Accords d'Evian qui, après le référendum de juillet 1962, mettaient fin à une guerre de Libération de sept ans et demi et à une occupation française de 132 ans. Témoignage Les manifestations du 11 décembre 1960 avaient pour objectif de «contrecarrer» celles des partisans du général de Gaulle et réorganiser la Zone autonome d'Alger (ZAA), destructurée durant la bataille d'Alger en 1957, a affirmé l'un des responsables du réseau «El Malik» du Front de libération nationale (FLN), Larbi Alilat. Retraçant l'historique des évènements du 11 décembre 1960, M. Alilat a indiqué, dans un entretien accordé à l'APS, que «Bettouche Belkacem et Benslimane Youcef, deux responsables du réseau «El Malik», avaient contacté les militants d'Alger du FLN pour les amener à infiltrer les manifestations pro-gauliste, et d'en changer les slogans». A l'origine, le Mouvement pour la communauté (MPC), proche des milieux gaullistes, avait commencé, à partir du début décembre, à organiser des manifestations de soutien au plan d'autodétermination du général de Gaule, en scandant «vive l'Algérie-algérienne» et «vive de Gaulle», a-t-il rappelé. Un groupe de militants, notamment Bara Mohand, Bettouche Belkacem, Benslimane Youcef et Larbi Alilat avaient décidé, au cours d'une réunion tenue à la rue de la Liberté (Alger), de retourner les évènements en faveur de la cause nationale, en infiltrant les rangs des manifestants et en scandant de nouveaux slogans, tels que «vive le FLN», «vive Ferhat Abbas». «Les manifestations avaient commencé le 10 décembre et elles étaient planifiées initialement en faveur de Charles de Gaulle, pour approuver sa politique en Algérie», a-t-il expliqué, indiquant que «pendant 4 jours le MPC faisait sortir les gens, qui ne pouvaient pas refuser». «Avec la constitution du réseau El Malik, nous avons pu infiltrer les manifestations et les retourner en notre faveur», a soutenu M. Alilat à ce propos. «Quand ils sont arrivés (MPC) à Alger le 10 décembre, la manifestation était extraordinaire. Nous n'avons pas accepté cela, le Front de libération national (FLN) n'a pas interdit de manifester, il a juste déconseillé d'y participer», a-t-il cependant affirmé. Le réseau El Malik a été constitué, vers la fin juillet 1960, à sa tête Bara Mohand, Bettouche Belkacem et Larbi Alilat. Il avait pour mission de contrecarrer les manifestations des partisans du général de Gaulle et de reconstituer ainsi que réorganiser la Zone autonome d'Alger, sérieusement décimée durant la Bataille d'Alger en 1957. Le réseau El Malik dépendait étroitement de la Wilaya IV historique, par le truchement de Belkacem Bettouche, qui était en relation avec la Wilaya IV, bien avant la constitution du réseau. «Nous nous sommes rencontrés lors d'une réunion informelle, dans un lieu situé à Belcourt (actuellement Mohamed-Belouizdad) et nous avions décidé de faire quelque chose, pour empêcher cela», a-t-il précisé. «Nous étions une vingtaine de militants réunis dans la maison de Roudjali Ahmed pour créer ce réseau. Le but de la réunion n'était pas d'organiser des manifestations, mais c'était de placer à la tête du réseau un groupe qui va essayer de reconstituer la ZAA. Ensuite, nous avions envoyé un rapport aux Wilayas III et IV historiques pour qu'il parvienne au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA)», a raconté M. Alilat qui a précisé que les militants avaient demandé au GPRA de les autoriser à travailler avec ce titre. M. Alilat a affirmé que les évènements avaient démarré du quartier de Belcourt, avant qu'ils ne fassent tâche d'huile dans d'autres quartiers d'Alger, en dépit du blocus des éléments de l'armée coloniale, qui avaient essayé par tous les moyens d'empêcher «nos militants d'exprimer leur colère». Faisant le bilan de ses manifestations, qui ont duré trois jours, M. Alilat a indiqué «qu'il y avait beaucoup de morts et de nombreux blessés», ajoutant que «l'armée coloniale n'avait pas fait dans la dentelle, en tirant aveuglément sur la foule». Les Pieds-noirs avaient tiré sur la foule, selon lui, «sans pour autant décourager les manifestants», a-t-il dit. Les principaux acquis de ces évènements, a ajouté M. Alilat, étaient que le MPC avait été rebaptisé pour devenir le mouvement pour la coopération, signifiant ainsi «que de Gaulle avait fait un grand pas vers nous». Au plan international, ces évènements étaient le prélude aux négociations entre le FLN et la France, qui allaient déboucher sur l'Indépendance de l'Algérie en 1962. «Les événements ont donné une force extraordinaire à Krim Belkacem qui représentait l'Algérie à l'ONU. Krim avait dit alors qu'il fallait que le cri de Belcourt retentisse à Manhattan (Etats-Unis)», a-t-il confié. Pour lui ces événements étaient incontestablement le début de la fin des «ultras» de la colonisation. «Les ultras étaient estomaqués. S'il y a bien des gens qui avaient eu peur c'était bien les Français. Quand ils ont vu la manifestation du 11 décembre, ils avaient compris que ça n'allait pas bien pour eux», a-t-il expliqué. Larbi Alilat est né en 1922. Il a adhéré au Parti du peuple algérien (PPA), alors qu'il avait, tout juste, 17 ans. Il rejoint les rangs de l'Armée de libération nationale dès le déclenchement de la Révolution, en novembre 1954, dans la région de la Soummam (Petite Kabylie). Arrêté en 1956, il sera placé sous mandat de dépôt, avant d'être libéré en 1960, pour constituer quelques temps après le réseau El Malik.