Pour une paix durable au Moyen-Orient Afin d'agir pour un débat utile sur la paix durable au Moyen Orient il faut mener deux combats. Le premier consiste à refuser de mener des politiques d'Etat qui nient la dignité des peuples du Moyen-Orient et leur accès à la prospérité, aux droits sociaux des peuples et la justice ; l'échec là est de la responsabilité interne soutenue par les logiques internationales qui refusent, pour des intérêts économiques, d'étayer les libertés. Cette exigence est en général pourtant revendiquée et appuyée indiscutablement par la base populaire de l'ensemble des peuples du Moyen Orient : ils n'oublient pas le traitement méprisant de l'occident qui nie son existence. Le second est la fascination de l'islam qui caractérise la pensée politique à l'intérieur et depuis 2001 en Europe. Cette idéologie a envahi par une vague fondamentaliste qui se répand partout le monde arabe ; celui-ci n'a pas supporté la succession de ses échecs. Elle s'inscrit depuis dix ans au moins dans le débat citoyen social et politique. Cette maladie annihile toute opinion, quelque soit le sujet traité. Tout débat se transforme en échange d'exégèses, d'appel à la théologie et à la tradition. Une lourde chape de conformisme marque la rue. La difficulté vient de ce que la majorité populaire soutient activement ou passivement cette fascination qui se traduit concrètement par le blocage général de l'action politique hostile dans notre période. Nous découvrons aussi que l'Europe a pris le pli du prêche qui devient prioritaire : la liberté est alors exclue dans le débat. L'incapacité de l'islamisme Ce blocage du mouvement d'émancipation est déterminant culturellement et nul courant politique n'arrive objectivement à s'y opposer alors que l'islamisme moderne manifeste de différentes manières sonincapacité politique de produire l'émancipation populaire et la paix. Ce mouvement prégnant est revendiqué sans référence au grand mouvement de réformes musulmanes (1) aujourd'hui clôturé, aux politiques nationalistes(2) en échec. Le remplacement visible créé par ce vide est celui des visions radicales jugées salafistes mais majoritairement de source wahhabite (représentée par l'Arabie Saoudite) ou de l'interprétation de la pensée de Seid Kotb (légitimée en l'Egypte). Le blocage vient de ce qu'il parait négatif et non réel de réfléchir politiquement à partir de la philosophie, de l'histoire ou de l'économie et hors des jugements religieux. Nous savons que cette fascination de l'islam s'explique par de grandes défaites successives, démembrement de l'empire ottoman, décision coloniale de création de l'Etat d'Israël, déroute militaire en 1967 en Egypte,(3) et la suite directement américaine et trop longue à citer jusqu'à ce jour. Dans cette suite, l'Occident se mêle directement pour organiser une propagande systématique et qualifier les milices combattantes animées par l'Arabie Saoudite et manipulées contre le communisme de « moudjahiddine » (4). Ce qui frappe aujourd'hui aussi c'est que cette « fascination » est bien entretenue médiatiquement et par la science des experts de toute catégorie ; elle est devenue, depuis que le terrorisme s'est étendu contre les Etats arabes puis contre leurs alliés européens, la pensée unique, là où les grandes puissances et le néocapitalisme développent les inégalités et les migrations des peuples marginalisés, là où Israël empêche délibérément toute paix pour lire le Moyen Orient. La fascination de l'islam de sens wahhabite s'affiche comme une « réislamisation » de peuples (qui ne l'étaient sans doute pas depuis des siècles ?) ; elle est entretenue en boucle par la télévision, le livre, les experts vantant les miracles saoudien et qatari contre toute politique de pensée collective et publique arabe. Il faut reconnaitre qu'elle réussit à tuer dans l'œuf ou à bien cacher la pensée libératrice qui comme elle l'a montré pour « le printemps arabe » ne dort pourtant pas. Dans le cas où le peuple, mal encadré (5), se soulève, c'est la grande répression contre les déclassés, les pauvres, poussés à l'extrémisme et au terrorisme pour mieux les réduire et produire de nouvelles élites soumises. Il vaut plutôt mieux – pour l'idéologie mise en place par l'alliance avec les USA – que les sociétés ne soient perçues que du point de vue religieux. Evidement pour des gens dépouillés, cette idéologie valorise les gens sans dignité car elle encourage l'enfermement et l'inflation de la bigoterie et du totalitarisme qui s'abat en priorité sur les femmes et les jeunes. Il suffira à la politique américano-saoudienne de faire les cocktails appropriés qui bloquent la pensée politique. L'insécabilité, une fable dans la réalité devient une preuve aux mains de la réaction pour agrandir les différences et justifier les guerres. Réislamisation et colonisation L'observation est générale : la « réislamisation » se conjugue avec la colonisation des Etats, sans ménagement, car la mondialisation veille pour ramener cette paix et pas une qui conteste. Il est assurément justifié de dire que l'Occident néolibéral préfère avoir affaire à un califat médiéval intolérant imbibé de wahhabisme qu'à un dictateur arabe séculaire qui refuse de se prosterner devant l'autel du néolibéralisme. Il est tout autant justifié d'ajouter que ceux qui arment les décapiteurs et coupeurs de gorges du Front al-Nosra, c'est-à-dire Al-Qaïda en Syrie, ou de EIIS/EIIL/Da'ech, sont essentiellement des Saoudiens, qui constituent aussi les plus grands importateurs d'armes de la planète, qu'ils achètent surtout des USA, mais aussi de la France et du Royaume-Uni. C'est qu'au même titre que le proto Al-Qaïda original financé par la CIA, qui a vu le jour dans les années 1980 à Peshawar, EIIS/EIIL/Da'ech, remplit un seul et unique objectif géopolitique. Pour faire court, l'Occident civilisé, de pair avec des vassaux tels que les pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG), a soutenu la branche d'Al-Qaïda en Syrie pour déstabiliser Damas, même si le Pentagone avait prévu l'issue horrible de cette stratégie, à savoir l'émergence de EIIS/EIIL/Da'ech. Que le rapport de la DIA ne mentionne pas que le gouvernement des USA a créé de toutes pièces EIIS/EIIL/Da'ech ou qu'il favorise le Front al-Nosra en Syrie ou le faux califat en Irak est sans importance. L'élément essentiel, c'est que le gouvernement des USA n'a absolument rien fait pour empêcher la maison des Saoud, ses sbires du CCG de soutenir l'opposition syrienne et d'assouvir ainsi leur désir brûlant de faciliter l'émergence d'un Etat sécessionniste salafiste dans l'est de la Syrie et de l'autre côté de la frontière, en territoire irakien. Il n'est donc pas surprenant que la destruction planifiée offre l'excuse parfaite au complexe militaro-industriel des USA pour tirer des milliards de dollars de la vente de plus d'armes encore à la maison des Saoud, aux autres sbires du CCG, à Israël et à l'Irak. Comme nous le savons tous, il est évidemment beaucoup plus facile de subvertir et d'écraser la Libye ou la Syrie que la Russie ou la Chine (ou même l'Iran à vrai dire). N'empêche que l'Empire du Chaos doit maintenant se dépatouiller pour faire face (ou faire bonne figure) devant ce retour d'ascenseur généré par sa tactique de diviser pour mieux régner. La chute de Ramadi montre à l'évidence que la véritable puissance qui lutte contre EIIS/EIIL/Da'ech en Irak ce ne sont pas les USA, mais l'Iran. Les milices chiites sont d'ailleurs déjà en train d'être incorporées dans les forces de sécurité irakiennes. Dans la réalité l'idéologie dominante ne supporte que deux réalités : l'islamo-saoudienne et la néolibérale corrompue. Dans les deux cas, les peuples qui ne voyaient pas la différence, au bout d'un moment (de plus en plus court) trompés, se révoltent et, sans projet, plongent dans la violence. Nous le vivons en direct en Irak, en Syrie, au Yemen, en Lybie, à Bahreïn en Egypte et nul ne dort rassuré ailleurs... Les discordes sont majeures, les Etats se désagrègent et avec eux les services publics. Le débat devient alors conflictuel et complexe dans une lourde atmosphère d'intimidation. Et pourtant il faut s'en sortir, en comptant sur les propres forces arabes, pour sauver enfants, femmes et hommes. Ce serait un grand rêve aujourd'hui de sortir de ce piège où les deux faux antagonistes présentés sont l'Arabie Saoudite pour le fondamentalisme et les USA pour la modernité la lumière et le progrès, deux antagonistes qui sont le même pouvoir au niveau mondial. Nous devons au moins leur tourner le dos, oublier les radicalismes idéologiques hors sociétés qui n'ont rien de réel, afin de faire avancer pensée religieuse et pensée politique collective. C'est à l'épanouissement de cette renaissance que nous appelons et que pour notre part nous n'avons cessé de travailler pour notre part depuis le sanglant échec algérien de 1991. Immédiatement, il importe de développer une large mobilisation pour dénoncer les formulations tendancieuses sur « l'arabo-islamisme » qui signifie que nous avons le monopole de la vérité et qu'alors nous sommes prêts à affronter les autres musulmans. Ce sont là des débats doctoraux stériles et dangereux ; il est plus réel d' avancer les débats sur les vrais problèmes quotidiens des sociétés. Nous sommes pour le moins gênés par ces débats idéologiques devenus curieusement très européens dans l'écriture et les médias sur les divisions et les fractures entre musulmans, la cassure irréparable avec la chrétienneté et le judaïsme et tout ce qui importe en réalité peu aux peuples du monde arabe. Les confusions intellectuelles que produisent ces faux débats font perdre le temps précieux en appelant à nous ramener à la période initiale exceptionnelle de l'Islam tout en fermant les yeux sur la domination des rentiers, la brutalité des polices parallèles, la soumission au colonialisme sous son visage nouveau qui finissent plutôt et beaucoup plus surement par l'immobilisation « millénariste » de la pensée politique. Le soutien financier wahhabite alimenté par les ressources pétrolières est objectivement l'allié permanent de l'Angleterre et de New York, enfermant les arabes dans une attitude schizophrénique figée. Cette propagande est aussi la clé qui explique l'oubli de l'histoire variée et riche du courant réformiste du début du dernier siècle et de succès populaire du nationalisme ne serait-ce que dans sa lutte anticoloniale. La « réislamisation » implique enfin l'enfermement dans l'interprétation séparée de la réalité et idéologique du religieux et son enfermement dans le refus de la séparation du spirituel et du temporel, le rejet anti laïque, la multiplication des normes d'habillement (pour les femmes)... Les facteurs de la crise La crise actuelle fait partie des préoccupations concrètes ; plusieurs facteurs la caractérisent : L'incapacité de penser la politique du point de vue des gens et des théories ; L'absence de vision sociale juste des conditions de progrès (école, santé, solidarité, fiscalité)… Nous préférons à l'inverse des débats religieux, nous battre contre les « mafias rentières » policières et dictatoriales qui inondent le monde arabe comme classes internes déterminantes, facteur d'injustice et de blocage du progrès. Pour cela, la priorité va à mettre en place les conditions de la construction d'Etats justes et solides qui libèrent leurs peuples de l'humiliation de la mondialisation. Ces Etats doivent être populaires pour respecter la citoyenneté des pauvres et développer des services publics nécessaires à la consommation de masse. Dans cette entreprise la régionalisation est vitale. Nous devons faire attention à nous écarter du piège de la schizophrénie tissé par l'alliance saoudo-américaine et entrer pacifique ment avec notre propre potentiel culturel dans le débat pacifique hors des passions des pouvoirs. Nous débarrasser de la propagande ancrée dans les « classes » moyennes qui fait l'apologie de l'absence d'Etat et d'encouragement du marché de biens publics, faire tomber les politiques économiques néopatrimonialistes par des politiques populaires d'émancipation, Ouvrir la voie de la liberté et de l'accès à une citoyenneté arabe mettant en danger les intérêts des puissances financières rentières qui utilisent abondamment la manipulation du religieux. Le problème d'Israël D'autre part, soyons concrets ; on ne peut mesurer le déséquilibre et l'affaiblissement subi par le monde arabe sans signaler fortement le facteur de la politique de l'Etat d'Israël ; lorsque nous soulevons cette question nous ne devons pas oublier qu'il s'agit en premier lieu d'un enjeu arabe concernant tous les pays, et d'un enjeu international qui refuse de considérer la réalité des injustices permises par l'Etat d'Israël. Ceci relève d'une réalité fondamentale qu'on ne peut nier s'agissant du sentiment des jeunes arabes en particulier. Travailler à lever ces déséquilibres c'est résister en priorité à cette injustice humaine fondamentale vis-à-vis de la Palestine dans l'ensemble du champ qui la concerne et c'est une priorité stratégique pour éviter la désunion et toutes les dérives et graves maladies, dont la radicalisation religieuse est un facteur déterminant. Ghazi Hi douci Juin 2015 Peintures de Michaël Sorne 1- Du début du siècle, 2- Des indépendances à la mort de Nasser 3- Voir le très important dernier livre de Georges Corm, « Contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècle, La Découverte,? 2015 » 4- Voir El Djazira 5- Il serait utile d'analyser la catastrophique évolution des courants de gauche ces trente dernières années...