Slimane Hamitouche est le neveu d'un disparu. Depuis 1998, il fait partie des jeunes activistes qui luttent pour connaitre la Vérité sur le sort des disparu(e)s de la sale guerre et parmi eux son oncle maternel. Il est de tous les sit-in des familles de disparu(e)s et il a fréquenté pratiquement tous les commissariats d'Alger en tant que détenu après chaque rassemblement. Aujourd'hui, à l'occasion du 10e anniversaire de la « Charte de l'impunité », la Coordination nationale des familles de disparu(e)s avait décidé d'organiser un rassemblement pacifique à la Grande Poste d'Alger pour dénoncer cette Charte de la honte et pour réclamer Vérité et Justice. Slimane fait partie de cette coordination. Il raconte le cauchemar qu'il a vécu ce matin avec ses compatriotes lors de la répression sauvage qui s'est abattue sur eux. Nous étions en tant que membres de la coordination, une quinzaine, femmes et hommes, au niveau de la Place Audin, nous dirigeant vers la Grande Poste. Soudain, nous fumes assaillis par une trentaine de policiers, en civil et en tenue. Apparemment, des policiers en civil nous avaient suivis depuis le haut de la rue Didouche et nous avaient signalés à leurs collègues stationnés à Audin. Devant ces renforts, nous avons constitué une véritable barrière humaine pour résister. Et nous avons commencé à lancer des slogans : « Kassaman marana habssine, hatta ebanou el makhtoufines », « Ya Tartag ya Seffah, bi kadhiyate el makhtoufines ma tartah » , « barakat, barakat, mel hogra barakat ». Nous fumes rejoints par d'autres familles de disparus qui étaient au niveau de la Grande Poste. Alors commença la bastonnade (coups de poings et coups de pieds). Plusieurs manifestants furent malmenés, trainés sur le sol et embarqués de force vers les camions et les Caddys de la police pour être emmenés vers les commissariats. Des insultes et des blasphèmes fusaient de la bouche de ces policiers, et ce malgré la présence de mères et épouses de disparus. Je fus entrainé de force avec une pluie de coups de poings et de pieds vers un camion avec un autre citoyen Ahmed Taani, non-voyant et nous fumes enfermés dedans. L'un des policiers m'insulta en proférant des grossièretés contre ma mère (grossièretés que je ne peux répéter ici). Au moment où on nous a enfermé dans le camion, je voyais des policières foncer sur les mères et épouses de disparus avec une violence inouïe. Wassila Benlatreche fut violemment entrainée vers un autre fourgon. Le gilet qu'elle portait avec la photo de son frère disparu lui fut arraché et jeté dans le camion. Saker Naïma, Fergani, Oughlissi Farida, Chambazi Hakima, Benkheznadji Lamia, Bouabdallah Chafia et Nateche Fatiha, parmi tant d'autres, furent embarquées par la police. Quant aux jeunes Yacine Khaldi, Fateh Madhi, Ahmed Gacem, Issami Sofiane et Abdelwab, ainsi que d'autres dont j'ai oublié le nom, furent embarqués à leur tour pour être dispatchés sur plusieurs commissariats. On m'emmena ainsi que Ahmed le non voyant, au commissariat de la Rue Didouche Mourad, situé en face de l'Hôtel « Suisse ». Dès l'entrée au commissariat je fus accueilli par des coups de poing au dos et des coups de pied d'un policier en tenue. Un autre policier en civil, sortant d'un bureau m'accueillit par des blasphèmes (Dine Rabak et autres obscénités). Il ordonna au policier en tenue de me neutraliser par des menottes en m'attachant les poignets à une barre de fer de telle manière que je ne pouvais pas me protéger des coups. Il commença alors à me gifler puis à me donner des coups de poing au ventre alors que j'étais bloqué par les 2 menottes, ne pouvant réagir. Je suis resté près de 2 heures menotté à la barre de fer. Puis vint une dame officier qui ordonna aux policiers de nous transférer au commissariat de la Place du 1er mai, face à l'hôpital Mustapha. Arrivés à ce commissariat, l'officier local refusa de nous prendre et nous fumes ainsi jetés à nouveau dans le fourgon pour retourner au commissariat de Didouche. Vers 13h 15, on nous dirigea vers l'hôpital Mustapha pour un examen en médecine légale. J'ai montré les traces des menottes aux poignets et des gifles au visage et au cou, au médecin. Vers 15h, on nous libéra. Les mères et épouses de disparus, au nombre de 3 ou 4, emmenées au commissariat de la Place du 1er mai ont été libérées vers 16h. Wassila Benlatreche, Lamia Benkheznadji et Bouabdallah Chafia qui étaient au commissariat de Scala (El Biar) puis au commissariat de Sidi Yopucef furent libérées vers 18h. Ainsi va la réconciliation à l'algérienne, la réconciliation de la bastonnade et des insultes ! Témoignage recueilli par la Cellule des Droits de l'Homme du CCD Alger le 29 septembre 2015