Professeur d'histoire et de sociologie politique L'université algérienne va de plus en plus mal, et cumule année après année, quantité de problèmes graves dont les plus saillants, les plus visibles à l'œil nu, sont les conduites inciviles qui se muent le plus souvent en violence tant verbales que physiques à l'encontre d'autrui. Ces violences dont l'université est devenue depuis plusieurs années le siège ne sont pas étrangères aux tensions et aux violences qui traversent de part en part la société algérienne, tant politique que civile, violences qui semblent prendre leurs racines profondes dans la perte des repères traditionnels que fondent naguère le respect du voisinage, des Anciens[1] et d'autrui, mais aussi dans l'effacement de plus en plus marquée de la figure de l'autorité de l'Etat, effacement qui fait dire à beaucoup de nos concitoyens consciencieux, que notre Etat n'inspire désormais plus de crainte ni de respect en raison de la longanimité dont il ferait preuve envers ceux et celles qui enfreignent le droit et bafouent la dignité humaine. Violences diffuses et réelles, peurs et agressions physiques se multiplient dans l'enceinte de l'Université de M'sila. A ce propos, M'sila et son Université ne dérogent point à la règle générale. Comme le reste du pays, elles sont affligées de quantité de maux dont la violence manifeste en est la traduction fidèle. Cette ville ne détient pas le monopole de la violence nationale, tant s'en faut, mais son université se distingue cependant de ses homologues par quelque traits dont le plus flagrant est le désir d'une quantité importante de ses étudiants de réussir leur scolarité sans fournir le moindre effort. Obtenir des notes élevées par le bais de négociation, de marchandage ou de pression dès lors même que l'on n'a pas assisté à un seul cours ou TD l'année durant, tel est l'objectif que certains étudiants visent pour faire « monter » leur année ! Si les marchandages et pressions s'avèrent inopérants, ces éternels étudiants affiliés aux organisations syndicales fantoches recourent à la violence et aux agressions physiques à l'encontre de leurs enseignants. Des étudiants aux comportements délinquants Les auteurs des agressions dont nous allons décrire les actes ne sont pas toujours, comme on peut s'y attendre, des voyous des quartiers dits « dangereux », comme la cité des 500 logements , ou celle du vieux Ichbiliya (Ichbiliya al qadimâ),ou de celle de Hay el Badr ( cité de l'Aurore) ou de la Rocade, et surtout de celles des alentours du Pôle universitaire où les consommateurs des comprimées « bleus »( psychotropes) sont légion, où l'usage des armes blanches n'est pas rares entre bandes rivales ; les auteurs de ces délits sont paradoxalement des étudiants et surtout ceux affiliés à certaines organisations estudiantines dont les petits leaders jouent aux grands chefs et s'efforcent d'impressionner l'administration et les enseignants pour obtenir des avantages indus ( notes, remises des dettes, réintégration des exclus...). La faune au sens péjoratif du mot ne se trouve plus donc uniquement dans les quartiers lépreux déjà cités, mais s'est transportée et transposée sur le campus de l'université de M'sila où elle impose sa loi, ses normes à elle, ses règles du jeu, et fait alliance avec certains gestionnaires de l'université dont certains vice-recteurs n'hésitent pas, lorsqu'ils se sentent menacés dans leur situation de rente par le grand chef, de rameuter en sous main les éternels étudiants affiliés à des organisations estudiantines fantoches... Ces délinquants de l'université font vraiment peur aux enseignants comme ceux des quartiers difficiles font peur aux pauvres policiers qui, faute d'avoir les coudées franches pour user de la violence légitime en tant que représentant de l'Etat et de l'ordre, se contentent d'adopter une attitude d'évitement, de contournement ou de négociation... Zouhair Ammari, chef du département des sciences économiques tabassé par des étudiants Pour comprendre ce qui se passe à M'sila, plus précisément, il est inutile de théoriser. Voici des exemples vivants qui illustrent le degré de la violence atteint à l'université et dont les auteurs ne sont rien de moins que des étudiants ou réputés tels. En l'espace d'une semaine, deux agressions physiques gravissimes ont eu lieu contre la personne de deux enseignants dont la première victime est le Dr Zouhair Ammari, chef du département des sciences économiques. Le 17 mai 2017 à 14heures de l'après midi, ce dernier est sorti de son bureau lorsque il tombe nez à nez avec le prénommé Sakkaï Lamine, étudiant en seconde année tronc commun, qui était en compagnie avec ses camardes : Mihouas El Djemai Bilal, de Merzouki Abderrazak, de Dehmache Ammar, et de Ben Tata Saif el islam. M. Ammari demanda alors à Sakkaï Lamine de venir dans son bureau pour lui expliquer les raisons qui l'ont poussé à perturber peu avant le déroulement des examens en incitant les étudiants à les abandonner. Les autres étudiants voulurent assister à l'entretien, mais Ammari les empêcha de pénétrer dans son bureau , arguant qu'ils n'étaient pas concernés par cette audition. C'est alors qu'ils se dirigèrent tous vers l'entrée principale du BLOC E du département après avoir essayé de fermer la porte de ce bloc au nez des étudiants et des enseignants pour qu'ils ne fassent pas en ce lieu les examens prévus. A ce moment, M. Ammari intervint pour leur expliquer qu'ils n'ont pas le droit d'occuper le local en interdisant à leurs camardes de passer leurs examens. A ces mots, ils lui sautèrent dessus à coups de poings accompagnés d'une avalanche d'insultes obscènes à l'encontre de sa personne et de celle de tous les enseignants, gratifiés eux aussi d'autres épithètes avilissantes. Non satisfait de ce déluge d'insultes ainsi déversé sur l'enseignant, l'un des étudiants, Mihouas El Djemai Bilal, se précipita rageusement sur M. Ammari et lui assena plusieurs coups de poings sur la joue, le buste et le cou, après l'avoir menacé physiquement dans le cas où il le rencontrerait en dehors du campus (نتلاقاو برا وتشوف) lui avait-il lancé à la face. Mohamed Mili entre la vie et la mort à l'hôpital Al Zahraoui de M'sila La seconde victime de ces violences inqualifiables est M. Mohamed Mili. Chef de spécialité Master Trafic Urbain à l'UGTU, cet homme âgé d'une cinquantaine d'année est connu de ses collègues par son attitude de père de famille à la fois calme et débonnaire. Il a été injustement agressé ce dimanche 21 mai vers 9heures 25 par trois étudiants d'une organisation estudiantine baptisée Solidarité Nationale Etudiante. Rappelons que ces trois étudiants le sont depuis 2008, inscrits initialement « en classique », mais qui se trouvent à présent dans le système LMD. Ce sont eux qui ont empêché, le 11 mai, leurs camarades du GTU de passer leurs examens aux fins de faire pression sur l'administration pour qu'elle leur fasse des faveurs (obtention de notes sans contrepartie, réintégration des exclus....), demande que le directeur du GTU et ses collaborateurs ont rejetée catégoriquement au nom du droit et de l'éthique. Les trois étudiants que sont Bousakra Mounir, Batka Khaled et Anjouh Fouad vont rééditer ce 21 mai le même scénario qu'ils ont joué le 11 mai : empêcher les étudiants du GTU de faire l'affichage des ateliers en vue de valider leurs examens. Face à ces défis qui sont autant d'actes attentatoires à l'autorité administrative, et donc à l'Etat, le directeur du GTU, M. Youcef Lakhdar-Hamina fit appel au huissier de justice pour constater de visu les infractions, et lorsque l'huissier de justice fut sur les lieux, il se heurta à la résistance de ces étudiants qui s'efforcèrent de l'empêcher de faire son travail. En l'absence du recteur ce jour dramatique, les vices -recteurs gèrent comme ils peuvent, et chacun à sa manière, « la violence interne » à l'université. Après ces entrefaites, et pour prévoir tout débordement éventuel, M. Lakhdar-Hamina fit requérir la présence des agents de sécurité du GTU, bientôt renforcés par des agents de l'université et auxquels il donna la consigne d'ouvrir toutes les issues du BLOC et d'ouvrir la porte de l'amphithéâtre pour que les étudiantes puissent y entrer et afficher leurs travaux. Celles-ci sont bientôt rejointes par les trois étudiants cités qui vont tenter de les déloger de l'amphi sous la menace physique, et à la vue de cette scène inquiétante, M. Lakhdar-Hamina s'empressa de s'interposer entre les trois mâles rageurs et les étudiantes apeurées, mais il fut très vite saisi par le poignet gauche par l'un des agresseurs et finit par s'en dégager, mais non sans une entorse... C'est à ce moment que M. Mohamed Mili tente de repousser les agresseurs qui s'acharnent et sur M. Lakhdar-Hamina et sur les étudiantes, mais il fut à son tour culbuter par les étudiants agresseurs sur une hauteur de 90cm, et tombe par terre, avant qu'ils se jettent dessus en lui assenant des coups redoublés sur le cou, la poitrine et la tête dont les coups reçus l'ont plongé dans un coma profond. De 10h du matin à 13h30, Mili était encore sans conscience et sa respiration se fait aussi lente que difficile...Son épouse elle-même enseignante au GTU était à son chevet et sur le visage de laquelle semble se concentrer inquiétude, angoisse, révolte et rage mêlés contre le sort qu'on venait d' infliger à son époux dont le taux de glycémie était de 5.80 g/l !! ce qui es anormalement élevé... Les photos prises au soir du 21 mai 2017 aux urgences de l'hôpital ( cf. photos ci-jointes) démontrent qu'en l'absence d'un Etat- fort au sens du respect du droit et de son application ferme, sans état d'âme ni concession, la société algérienne risquerait bien de dégénérer un jour en violence généralisée, incontrôlable, où la loi de la jungle, de la vendetta et de celle du talion deviendraient les seules normes de « régulation sociale » et « politique ». C'est pourquoi, il faudrait que l'Etat national se ressaisisse, reprenne son droit régalien plutôt que de l'abandonner aux forces spontanées et aveugles de la société civile encore hétéronome...Ne faut-il pas, dans ce contexte d'incertitudes, d'inquiétudes et de peurs confuses, avoir un Etat, fusse-t-il, imparfait, que de ne pas en avoir du tout ? De la passivité de l'Etat à l'anomie de la société... La violence observée et subie dans la société algérienne actuelle serait le résultat inévitable de la passivité de l'Etat dont le laisser-aller et le laisser-faire lui ôte tout pouvoir d'arbitrages et de sanctions. Multiforme, cette violence prend des proportions de plus en plus alarmantes et devrait interpeller plus que jamais les pouvoirs publics, qui n'ont pas l'air de s'en inquiéter outre mesure. L'absence des règles contraignantes que sont la coercition et la sanction des contrevenants serait l'une des causes essentielles de l'anomie dans laquelle s'enfonce de plus en plus la société algérienne, et qui laisserait la voie ouverte à la violence dont nous subissons tous les jours les effets pernicieux. L'anomie dont parle E. Durkheim (1858-1917) se produit donc lorsque la société se trouve affectée par un dérèglement de l'ordre social et politique, et partant par l'absence de repères et plongée dans des confusions et dans des pratiques en contradiction partielles ou totales avec les règles du respect de l'ordre social établi, de la discipline et de la bienséance. Et en effet, nous sommes bel et bien dans ce cas de figure où les repères traditionnels qui faisaient jadis la cohésion de l'ordre tribal, social et politique traditionnels s'effilochent et laissent place au désordre le plus complet... Et je conclus mon propos en reprenant à mon compte celui d'un ami français qui m'écrit : « Les violents étudiants prolongés que tu décris posent une autre question : Quelles portes du paradis s'ouvriraient à ces étudiants voyous avec les diplômes ? » [1] Anciens : au sens des vieux et des sages.