Alger, Arezki Aït-Larbi 06/10/2008 | Mise à jour : 10:16 |. L'islamisation du pouvoir militaire permet au président Bouteflika de s'installer dans la durée. Révélateur des désillusions du passé, la cérémonie en hommage aux victimes de la répression organisée, hier, à Alger, n'a rassemblé que quelques dizaines de personnes. Vingt ans après les événements qui ont fait vaciller la dictature du parti unique, le régime a retrouvé son équilibre dans l'islamisation du pouvoir militaire. Cette étrange «réconciliation» a permis au président Bouteflika de s'installer dans la durée. Pour contourner la Constitution qui lui interdit de briguer un troisième mandat en avril 2009, il projette de la réviser par voie parlementaire après avoir porté les indemnités des députés à 30 fois le salaire minimum. Le 5 octobre 1988, pour contenir les émeutes qui embrasèrent la capitale et les principales villes de province, l'armée, chargée de rétablir l'ordre, tirait dans le tas, faisant plus de 500 morts et des centaines de blessés. Les Algériens découvraient la pratique de la torture à grande échelle. Malgré la résistance des conservateurs du FLN (parti unique), le président Chadli concédait alors quelques réformes, notamment la légalisation du multipartisme. Confinés dans la clandestinité, les militants des droits de l'homme s'engouffrent dans la brèche en créant des partis, des associations, et des journaux privés. Cette démocratie en trompe-l'œil était, toutefois, piégée par la légalisation du Front islamique du salut, qui promettait d'instaurer un Etat intégriste basé sur la charia. En encourageant les «fous de Dieu», les barons du régime voulaient marginaliser les démocrates, et apparaître comme l'unique rempart contre le «fascisme vert». Et c'est sans surprise que le FIS sort vainqueur des législatives de décembre 1991. «Pour sauver la démocratie», l'armée siffle alors la fin de la partie, annule le scrutin, «démissionne» le président Chadli et désigne Mohammed Boudiaf à la tête d'un Haut Comité d'Etat. Cet «historique» de la guerre d'indépendance, était dans l'opposition depuis 1964. Réputé intègre, il tente d'audacieuses réformes, s'attaque à la corruption, et s'attire la sympathie des couches populaires. Le 29 juin 1992, un membre de sa garde rapprochée lui tire une rafale dans le dos alors qu'il prononçait un discours télévisé. Le pays entre alors dans un cycle infernal de terreur islamiste et de répression militaire. Bilan : 200 000 morts, et un «terrorisme résiduel» qui ensanglante encore le pays par des attentats récurrents. «Réconciliation nationale» En leur promettant l'impunité, le président Bouteflika a réussi, depuis 1999, à désarmer des milliers de terroristes. Cette «réconciliation nationale» a eu, toutefois, un effet pervers. La victoire militaire sur l'islamisme s'est paradoxalement soldée par la double défaite, idéologique et morale, de la société. À l'intégrisme qui s'acharne à remodeler les habitudes des Algériens, s'ajoutent les agressions des autorités pour rétrécir les espaces de liberté. Les tenues «hallal» (barbe et qamis pour les hommes, hidjab pour les femmes) jadis marginales, ont envahi l'espace public. À Alger les autorités ont fermé plusieurs débits de boissons alcoolisées ; dans certains restaurants, on refuse de servir les femmes seules. Les forces de l'ordre veillent aux «bonnes mœurs» en pourchassant les «mécréants» : briseurs de ramadan qui n'observent pas le jeun rituel, couples illégitimes se tenant par la main, et convertis au christianisme qui pratiquent un «culte non musulman sans autorisation». Comme Habiba Kouider, arrêtée en possession de bibles et d'évangiles dont le procès, le 20 mai 2008, avait soulevé un tollé d'indignation. Le procureur avait requis trois ans de prison ferme contre la jeune femme qui refusait de renier sa foi. Après le «complément d'enquête» ordonné par le juge, elle attend toujours le verdict. Chronologie : Les premières années de la terreur 5 octobre 1988. En criant des slogans hostiles au régime, des manifestants saccagent les symboles de l'Etat et du FLN (parti unique), à Alger et dans plusieurs villes de province. 6 octobre. Proclamation de l'Etat de siège. Des chars sont déployés dans la capitale. 7 octobre. L'armée tire sur les manifestants. Des centaines de morts. Des milliers d'arrestations. 10 octobre. Des imams tentent de récupérer l'insurrection en prenant la tête des manifestations. Dans la soirée, le président Chadli annonce des «réformes politiques». 11 octobre. Le calme est rétabli peu à peu. Les victimes de la torture commencent à témoigner. 23 février 1989. L'adoption d'une nouvelle Constitution qui légalise le multipartisme annonce le début du «printemps démocratique d'Alger». 5 juillet 1989. Plusieurs partis, dont le FIS, sont agréés. 25 mai 1991. Le FIS appelle à une grève générale illimitée et occupe les places publiques. 3 juin 1991. Les forces de l'ordre délogent les islamistes des places occupées. Proclamation de l'état de siège. 26 décembre 1991. Les premières élections législatives pluralistes consacrent la victoire du FIS. 11 janvier 1992. L'armée annule le scrutin, «démissionne» le président Chadli, et appelle Mohamed Boudiaf, opposant réfugié au Maroc depuis 1964, pour présider un Haut comité d'Etat. 29 juin 1992. Mohamed Boudiaf est assassiné par un membre de sa garde rapprochée. C'est la fin de la «récréation démocratique». Le pays entre dans un cycle de terreur et de violences.