La mise en liberté des cinq généraux-majors, après 23 jours de leur mise sous mandat de dépôt par le tribunal militaire de Blida, a été une surprise, tout comme l'a été leur incarcération, alors que le ministère de la Défense nationale se mure dans un silence de marbre. Que s'est-il passé pour que le vice-ministre de la Défense et chef d'état-major de l'Anp, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, donne l'ordre de traduction des cinq officiers supérieurs, et pas des moindres, devant le tribunal militaire sous les projecteurs des médias avec comme chefs d'inculpation «l'enrichissement illicite», «trafic d'influence» et «non-respect des consignes militaires» ? Nous n'en savons rien. Il faut dire que dès leur limogeage de leurs postes, notamment les trois chefs des Régions militaires – Lahbib Chentouf de la 1re RM, Abderrazak Cherif de la 4e RM et Saïd Bey de la 2e RM –, ils ont fait l'objet d'abord d'une interdiction de sortie du territoire national, puis d'une perquisition de leurs domiciles opérés par les gendarmes sur réquisition du tribunal militaire de Blida, avant qu'ils ne soient convoqués par celui-ci, le 14 octobre dernier. Selon des sources concordantes, les mis en cause auraient refusé de faire des déclarations lors de leur première présentation devant le juge, et certains n'avaient même pas d'avocat pour les assister. L'audition s'est limitée à la vérification de la filiation et à la lecture des inculpations avant que la mise sous mandat de dépôt ne soit décidée. Un choc pour les concernés. Le traitement médiatisé de cette affaire a fait l'effet d'un séisme au sein de l'institution militaire. Les officiers supérieurs font appel auprès de la chambre d'accusation contre la mise sous mandat de dépôt, alors que certains d'entre eux, par le biais de leurs familles, saisissent la Présidence. Durant les deux semaines de détention, des promesses de libération juste après les festivités du 1ernovembre leur auraient été faites et, dimanche dernier, la confirmation de la décision leur arrive, avant que, lundi, elle se transforme en réalité. Nos sources affirment que «les prévenus ont été libérés, en attendant que toutes les charges soient abandonnées dans les jours à venir et que le dossier soit définitivement fermé». Pour les habitués des tribunaux militaires, «il s'agit d'une décision unique. Il est vrai que le juge d'instruction peut décider de lui-même de la mise en liberté des mis en cause et déclarer le non-lieu pour tout le monde, s'il estime que le dossier est vide. Mais cela ne peut se faire en 15 jours seulement. Il lui faut entendre chacun des prévenus sur la forme et le fond, écouter les témoins à charge et à décharge, puis les experts s'il y en a, pour arriver à une conclusion finale. Il en informe le parquet qui peut s'opposer ou confirmer. Cette procédure peut prendre de trois mois à une année, si ce n'est pas plus. Il est quasiment impossible que le juge puisse décider en l'espace de deux semaines seulement d'un non-lieu. S'il s'agit uniquement d'une mise en liberté décidée par la chambre d'accusation, cela ne veut pas dire qu'il y a eu extinction des poursuites. L'enquête judiciaire se poursuivra. Or, cela n'est pas le cas, puisque l'on parle de la levée de toutes les charges retenues contre eux». Ils précisent que lorsqu'il s'agit d'officiers supérieurs, «c'est le ministre de la Défense nationale, ou le vice-ministre, qui donne l'ordre de traduction devant le tribunal. Nous ne sommes pas dans la logique de l'ouverture d'uneinformation judiciaire des tribunaux civils, mais dans celle de l'ordre ou l'injonction. Le militaire prime sur le judiciaire. Donc si la décision d'élargissement n'a pas été prise par le juge ni par la chambre d'accusation, c'est qu'elle émane de la plus haute hiérarchie, à savoir le ministre de la Défense et chef suprême des forces armées, qui est le président de la République». Cette affaire est l'une des plus énigmatiques. La célérité avec laquelle les prévenus ont été mis en prison, puis deux semaines après élargis, démontre la fragilité déconcertante de l'indépendance de la justice. Il y a quelques jours seulement, les banques avaient été saisies par le juge du tribunal militaire de Blida, leur demandant de lui transmettre l'état de tous les avoirs et participations financières des prévenus et de leurs enfants. Peut-on croire que le dossier, sur la base duquel les mis en cause (ou du moins certains d'entre eux, comme les chefs de Région)ont été traduits devant le tribunal militaire de Blida, ne soit pas suffisamment solide pour qu'ils soient inculpés et placés sous mandat de dépôt ? La mise en liberté des prévenus avec l'assurance d'un abandon des charges est une réponse cinglante au vice-ministre de la Défense, ordonnateur de la traduction en justice des mis en cause et de leur incarcération. Peut-on dire qu'entre El Mouradia et Les Tagarins, rien ne va plus ? La question mérite d'être posée…