Le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé d'Alger a finalisé les auditions avec 12 prévenus des cadres de l'administration foncière et urbanistique liés à Kamel Chikhi (Photo : Lyes Habbache-/archives ) SALIMA TLEMCANI 16 JANVIER 2019 EL WATAN Sept mois après l'éclatement de l'affaire des 701 kg de cocaïne dissimulés dans une cargaison de viande importée du Brésil, par le puissant promoteur immobilier Kamel Chikhi, l'enquête judiciaire n'a toujours pas élucidé les circonstances dans lesquelles cette importante quantité de drogue a été dissimulée dans une marchandise destinée à l'Algérie, ni levé le voile sur les circuits utilisés pour faire aboutir cette opération qui a secoué les establishments civil et militaire. Après une semaine d'audition, le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé d'Alger, qui siège au tribunal de Sidi M'hamed (près la cour d'Alger), n'a jusque-là pas encore entamé le dossier lié directement aux lourdes accusations, dont «constitution d'une organisation pour importer, commercialiser et distribuer la drogue» et «blanchiment d'argent», qui pèsent sur les mis en cause directement liés à la marchandise dans laquelle la drogue a été trouvée, à savoir Kamel Chikhi, ses deux frères, un de ses associés, son directeur commercial et un de ses agents à Oran. Depuis le début de l'instruction, il s'est concentré sur les 18 autres prévenus, poursuivis pour des délits, dont la détention – qui ne peut excéder les huit mois – devrait expirer dans un mois. Le juge vient d'achever les auditions des 12 cadres de l'administration urbanistique et foncière en détention, à savoir les chefs des services de l'urbanisme de Kouba, Aïn Benian, Draria, Chéraga et Hydra, les conservateurs du foncier de Hussein Dey et de Bouzaréah, deux contrôleurs de la conservation foncière de Hussein Dey, un fonctionnaire de la conservation foncière de Bouzaréah, ainsi qu'un architecte de la direction de l'urbanisme d'Alger. Identifiés sur les enregistrements vidéo des caméras de surveillance installées dans les bureaux de Kamel Chikhi, ils leur est reproché d'avoir permis à ce dernier l'obtention des documents nécessaires aux activités de la promotion immobilière de Kamel Chikhi, et de l'aider à lever toutes les entraves administratives auxquelles il faisait face en contrepartie de cadeaux et d'argent. Selon des sources judiciaires, à moins d'une éventuelle confrontation avec Chikhi, les investigations liées aux 12 prévenus seront clôturées incessamment, alors que pour les six autres, le fils de Abdelmadjid Tebboune, ex-Premier ministre, le fils d'un ancien wali de Relizane, le chauffeur personnel de Abdelghani Hamel – ex-Directeur général de la Sûreté nationale –, l'ex-maire de Ben Aknoun, ainsi que le procureur de Boudouaou et son adjoint, en détention poursuivis pour les mêmes délits, touchent à leur fin, puisqu'il ne reste que deux auditions qui pourraient intervenir au cours la semaine prochaine. Durant la semaine écoulée, le juge a également entendu Kamel Chikhi, et à plusieurs reprises, pour le confronter aux propos des uns et des autres. Visiblement, le magistrat instructeur, lié par des impératifs de délais, veut clôturer rapidement l'instruction des 18 prévenus en détention, pour se consacrer aux six autres, directement liés à l'affaire de drogue. A ce jour, le même magistrat n'a donné aucune suite à la demande d'audition de Abdelghani Hamel, déposée par les avocats de Kamel Chikhi sur son bureau au mois d'août dernier. «Nous pensons que l'ex-Directeur général de la Sûreté nationale n'a pas tout dit. Ses propos sont très lourds et méritent d'être explicités. Nous avons jugé utile de demander au juge d'auditionner l'ex-patron de la police sur quatre points précis et liés à sa déclaration publique, d'autant qu'il venait de rentrer d'une mission officielle d'une semaine en Espagne, pays par où a transité le navire transportant la marchandise, et où aussi le conteneur où se trouvait la drogue avait été ouvert (…). Il a dit qu'il détenait des informations sur le dossier. La justice est en droit de l'entendre sur ce qu'il sait, pour avancer dans l'enquête (…). M. Hamel a fait un constat très grave. Il a dit qu'il y a eu des dépassements graves lors de l'enquête préliminaire menée par les gendarmes. S'il a fait cette révélation, c'est qu'il détient des preuves que nous sommes en droit de connaître. Le juge doit l'entendre sur ces questions que nous estimons importantes pour l'éclatement de la vérité (…). Notre démarche ne répond à aucune manœuvre politique.» Cette demande faisait suite aux déclarations de l'ex-patron de la police, qui lui avaient coûté son poste, quelques heures après. Tout en parlant de «graves dépassements» lors de l'enquête préliminaire menée par les gendarmes, Hamel, dont l'un des fils est propriétaire d'un port sec à Oran, où la marchandise de Kamel Chikhi était entreposée, a lancé d'un ton colérique : «Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre.» Il a défié ses détracteurs et les a menacés de remettre à la justice «des dossiers que nous détenons nous aussi sur cette affaire». Des propos lourds de sens et de gravité que les avocats de Chikhi n'ont pas laissé passer. Mais, le juge n'a toujours pas donné suite à cette demande, alors qu'il avait inculpé un des enfants de Hamel et bloqué les comptes bancaires des membres de la famille. Pour l'instant, rien n'a filtré aussi sur les réponses aux commissions rogatoires délivrées au Brésil et à l'Espagne. Pour des sources proches du dossier, les commissions «sont revenues mais sans apporter des révélations ni aider le dossier à avancer». Selon nos sources, «le juge se trouve dans une situation embarrassante, dans la mesure où il ne peut élucider le mystère qui entoure cette affaire. Dès le départ, Kamel Chikhi a nié tous les faits. Le conteneur bourré de cocaïne a été ouvert en Espagne, sans la présence des personnes habilitées, puis refermé et embarqué à bord d'un navire à destination de l'Algérie. Des faits qui jouent en sa faveur. Si les autorités portuaires espagnoles ne donnent pas d'explication et que leurs homologues brésiliens nient toute implication de leurs ressortissants dans cette affaire, comme ils ont pour habitude de le faire, le juge d'instruction risque de ne pas pouvoir apporter les réponses nécessaires à toutes les questions qui se posent sur cette cargaison de 701 kg de cocaïne». Visiblement, le mystère des 701 kg de cocaïne est loin d'être percé et la justice aura du mal à déterminer les responsabilités des uns et des autres dans ce dossier qui fait couler beaucoup d'encre…