Par: Makhlouf Mehenni 03 Mai 2019 à 18:30 Ce onzième vendredi de contestation est celui qui devait voir le mouvement populaire montrer les premiers signes sérieux d'essoufflement, suivant les calculs du pouvoir. Celui-ci misait sur la conjonction de plusieurs facteurs dont la poursuite des manœuvres de division et du blocus de la capitale la veille et le jour de chaque marche et l'acceptation par une partie de la classe politique de sa dernière offre de dialogue. Surtout, cette journée de mobilisation survient à la veille du début du ramadan et au moins une partie des manifestants devait logiquement mettre à profit le week-end pour effectuer les préparatifs du mois de jeûne. Mais comme toutes les précédentes, la prophétie ne s‘est pas réalisée et les Algériens sont sortis pour le onzième vendredi de suite par millions dans la rue. À Alger, là où le pouvoir fait tout pour baisser la mobilisation, les rues et places du centre-ville ont été de nouveau noires de monde. Des centaines de milliers, peut-être plus d'un million -peu importe-, de citoyens ont marché. Dans les autres villes aussi, les mêmes marées humaines ont déferlé. La mobilisation est intacte et quand bien même elle faiblirait pendant le ramadan sous l'effet du jeûne, elle reprendra juste après comme au premier jour. Les manifestations de référence sont celles qui ont eu lieu ce vendredi. En marchant en masse malgré tous les aléas cités, les Algériens ont délivré un message définitif qu'il sera difficile au pouvoir de continuer à ignorer : rien ne les arrêtera tant qu'ils n'auront pas obtenu ce pourquoi ils battent le pavé depuis bientôt deux mois et demi, soit une vraie transition qui débouchera sur la fin du système politique qui, même si certains de ses symboles sont traînés devant les tribunaux, n'est pas mort avec la démission de Bouteflika. Les manifestants ont certes réclamé la tête de Saïd, le frère de l'ancien président, enfoncé par de nouvelles révélations sur ses intentions vis-à-vis du mouvement populaire à ses débuts, mais ils ont signifié que les poursuites judiciaires contre des figures du régime restent un bonus qui ne leur fera pas perdre de vue l'essentiel. Ce onzième vendredi s'annonçait aussi comme un test pour jauger la capacité du mouvement à déjouer les pièges de la contre-révolution qui se multiplient de manière inquiétante. Ceux qui agitent les démons du régionalisme ont dû essuyer une autre déception, deux jours après la magistrale leçon administrée par les habitants de Djelfa. Quant à ceux qui sont de nouveau tentés par l'entrisme, ils ont eu droit à une mise en garde doublée d'une petite leçon de politique : on ne s'empresse pas d'accueillir favorablement et sans conditions une offre de dialogue aussi vague que celle que vient de formuler le chef de l'armée. La très forte mobilisation de ce vendredi 3 mai constitue une fin de non-recevoir populaire qui rend caduc tout éventuel processus de dialogue, quand bien même une partie de « l'opposition » choisirait le chemin de la compromission. Les partisans d'une telle option, qui ont déjà servi au sein du pouvoir par le passé, sont avertis : le peuple ne leur pardonnera pas une nouvelle trahison. Cette fois, ils n'ont plus aucune excuse : ils n'ont plus le droit de se servir du peuple. Quand à Ahmed Gaïd-Salah, qui souffle le chaud et le froid et qui commence à dérouter par son attachement paradoxal à la satisfaction des revendications du peuple et à la solution constitutionnelle, il a vu les rangs de ceux qui le fustigent grossir un peu plus ce vendredi. Le général de corps d'armée a été invité de nouveau à choisir son camp, donc à formuler une proposition plus sérieuse qui dissiperait les conjectures sur ses intentions.