OGS28/08/2019 11h:21 CET | Actualisé il y a 1 heure https://www.huffpostmaghreb.com Les deux derniers discours du général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah qui s'attaquent notamment à ceux qui défendent l'option d'une "transition démocratique" ont été immédiatement traduits par l'interdiction de l'université d'été du mouvement RAJ et de la convention des partis dit de l'Alternance démocratique. On est pratiquement dans un retour au discours du 26 février de Gaïd Salah, au lendemain du vendredi historique du 22 février. Le chef d'état-major y accusait des parties non identifiées de "pousser des Algériens vers l'inconnu à travers des appels qui, en apparence, c'est pour la démocratie, mais en réalité, ces appels visent à entraîner les citoyens sur des chemins non sécurisés, aux conséquences incertaines et qui ne sont pas forcément dans l'intérêt de l'Algérie". Dans ce même discours il persistait à soutenir la tenue de l'élection présidentielle du 5eme mandat de Bouteflika en assurant que l'armée s'engageait à réunir «toutes les conditions nécessaires, permettant à l'élection présidentielle de se dérouler dans un climat de quiétude et de sérénité". Le chef de l'armée, qui détient le pouvoir réel exige à nouveau d'aller "dans les plus brefs délais" à la tenue de l'élection présidentielle, il ne laisse même pas le soin au panel de Karim Younès de sauver les apparences d'un "dialogue" où l'on est censé, au moins, écouter les propositions des autres. Un débat central La tentative de Karim Younès de faire passer la priorité à la présidentielle, telle que l'exige Gaïd Salah, par l'élaboration d'une "charte d'honneur" engageant les candidats à mener des réformes, est balayée sans autre forme de procès. Cela a l'avantage de la franchise: Gaïd Salah veut un président "libre" de tout engagement, disposant de la plénitude des pouvoirs de monarque absolu qui lui sont accordés par la constitution actuelle. De quoi conforter la suspicion d'une bonne partie des Algériens que la finalité de l'empressement à aller vers les élections avec la même structure politico-administrative qui a géré les fraudes électorales passées est bien de mettre fin à l'incursion massive et pacifique des Algériens dans la vie publique. C'est d'ailleurs le débat central qui se mène entre le pouvoir et la rue depuis le 22 février: les manifestations expriment avec une constance remarquable que le but est bien de mettre fin à un système de cooptation et d'établir la souveraineté du peuple et son droit de faire et défaire les gouvernements. Tentative de passage en force Une première tentative de faire passer l'élection présidentielle post-Bouteflika, annoncée pour le 4 juillet, a échoué, la rue montrant pacifiquement aux candidats potentiels qu'il serait politiquement suicidaire pour eux de s'y aventurer. Aujourd'hui, nous sommes, une fois de plus, devant une tentative de passage en force pour imposer la présidentielle alors que le Hirak, à l'image de la marche des étudiants d'hier, est en train de retrouver les niveaux de mobilisations amples de ses débuts. L'instrumentalisation des médias audiovisuels -désormais régulièrement vilipendés lors des marches-, les arrestations de porteurs de drapeaux amazighs et les tentatives de réarmement des polarisations idéologiques n'ont pas eu d'effets notables sur le mouvement populaire. Les marches du mardi et du vendredi les ont intégré clairement comme des pièges à éviter et à dénoncer. Depuis février et en dépit des entraves à la libre circulation des personnes en direction de la capitale, des mesures policières visant à étouffer les parcours des manifestants et des arrestations, un débat se déroule vaille que vaille sur les issues possibles. C'est un bras de fer politique pacifique qui se déroule entre une société qui veut avancer et un pouvoir qui entend, au nom d'un constitutionnalisme à géométrie bien variable, préserver le statu quo. L'énorme imprévu La situation peut se résumer simplement: le Hirak, parce qu'il a l'intelligence de rester pacifique, n'arrive pas encore à imposer son option de changement de régime, mais ce dernier n'arrive pas, non plus, à organiser sa propre réinitialisation par la tenue d'une élection présidentielle de relégitimation. Cela s'appelle une impasse et celle-ci ne être dépassée que par plus d"efforts politiques pour arriver à un compromis historique dynamique. Et cela exige de la patience… qui ne semble plus être de mise chez le pouvoir. C'est ce qui est le plus inquiétant dans les deux derniers discours de Gaïd Salah. Un retour aux thèmes classiques du régime consistant à accuser les opposants et tous ceux qui s'intéressent à la vie publique sans être aux ordres, d'obéir à des agendas obscurs des "mains étrangères relayées par des mains intérieures". Depuis, le lexique de l'anathème et de l'accusation en trahison s'est enrichi désormais de l'appropriation du mot de la 3issaba "la bande", venu à l'origine de la société et qui désignait le noyau du pouvoir autour de Bouteflika. Tous ceux qui ne sont pas dans la "ligne" se retrouvent, dans une exacerbation de la paranoïa politique propre au régime, accusés d'être des agents du général Toufik et des relais de l'ex-DRS. Cette dangereuse "paranoïa du pouvoir", le professeur de sociologie politique à l'université de Sétif, Nouri Dris la décrit parfaitement n dans un post sur sa page facebook: "le pouvoir continue à analyser les évènements avec la mentalité d'avant le 22 février. Tous les gestes des associations et des partis politiques se faisaient, selon eux, sur l'instigation du général Toufik (ou de celui qui représente Toufik). Pour eux, la société est totalement sous contrôle et la scène politique est structurée par les services, de sorte qu'aucun imprévu ne peut survenir. Le problème est que le plus grand et le plus énorme des imprévus dans l'histoire de l'Algérie a bien eu lieu. Et ni les yeux des services de Toufik, ni les analyses sur commande des analystes des plateaux – ceux qui ne disent jamais ce qui déplait au prince même s'ils sont moqués et insultés par tous- ne l'ont vu venir. (…) Mais, alors que ce grand évènement à lieu et que les Algériens sont sortis pour reprendre l'initiative, le régime persiste à réfléchir avec la mentalité d'avant le 22: "qui les a fait sortir"? C'est un régime en retard sur l'histoire… Suspecter toute réunion, toute action ou toute initiative hors de la tutelle du pouvoir est la conséquence naturelle du mode de gestion de l'Etat de l'indépendance à ce jour. Le pouvoir n'a pas encore compris que tout a changé dans la société…" Nouri Dris, conclut avec justesse, que le pouvoir vit dans la "hantise et la paranoïa, le fantôme de Toufik le poursuit. Les Algériens doivent faire preuve de patience et de sagesse car nous sommes devant la phase la plus difficile traversée par le processus de reconstruction de la confiance dans le champ politique, entre les partis eux-mêmes et entre la société et le pouvoir. Les Algériens respectent en général leur armée, ils attendent d'elles de l'intelligence dans la compréhension du moment historique que traverse le pays et de l'opportunité, grande, offerte par un mouvement pacifique mais déterminé, d'aller de l'avant. L'Algérie en effet ne doit pas être enfermée dans les affres d'une perception dépassée alors que la société réclame, pacifiquement, la renégociation du contrat social. Le repli autoritaire n'est pas une solution. Il faut éviter un malentendu historique aux conséquences graves et aller vers un compromis historique permettant à l'Etat et à la société de se réformer et d'avancer. C'est là où se trouve la porte d'entrée, positive, dans l'histoire.