« … je confirme aujourd'hui, et partant de nos missions et prérogatives, ainsi que de notre respect de la Constitution et des lois de la République, que nous considérons qu'il est opportun de convoquer le corps électoral le 15 du mois de septembre courant, et que les élections puissent se tenir dans les délais fixés par la loi ; des délais raisonnables et acceptables qui répondent à une revendication populaire insistante ». Cet extrait du discours de Gaid Salah résume à lui seul l'étendue de la gravité de la situation en Algérie, dont nul ne peut prévoir les conséquences à court et à moyen terme. Quel est l'article de la constitution algérienne, maintes fois violée à tous les niveaux, qui attribue au chef d'Etat-major de l'ANP une proposition de convocation du corps électoral qui s'assimile plus à un ordre qu'à une suggestion ? Les « orientations » du vice-ministre de la défense s'assimilent de plus en plus à des oukases d'un homme qui a profité du vide sidéral caractérisant la scène politique, partisane comme institutionnelle. C'est cette absence de réponses fermes des acteurs politiques qui a permis ces dérives d'un chef d'Etat-major devenu, de fait, le Premier responsable algérien non élu, un « Guide Suprême de la Nation » sans aucune légitimité populaire, intellectuelle ou morale. Lorsque M. Gaid Salah, réclame « des délais raisonnables et acceptables qui répondent à une revendication populaire insistante » on est en droit de s'interroger sur cette affirmation. Est-il descendu une seule fois dans l'arène des manifestations populaires pour écouter les revendications des citoyens ? Ou n-a-t-il comme seule référence que les médias officiels qui n'ont cessé de minimiser l'ampleur des manifs en Algérie comme ailleurs ou pire, les détournent de leurs objectifs affichés d'une manière pour le moins honteuse. Sautant du coq à l'âne, Gaid Salah salue « le Gouvernement (qui) a pris toutes les mesures et réuni tous les moyens matériels et humains pour garantir une rentrée scolaire dans les meilleures conditions notamment en rehaussant sensiblement la prime scolaire ». On aura tout entendu ! Si la situation n'était pas grave, on ne peut que sourire en lisant ce passage de son discours chaotique. Gaid Salah qui commente la rentrée scolaire ! Il aurait fallu qu'il compare les budgets alloués aux secteurs de l'éducation et de la formation comparativement à son ministère. Viennent ensuite les dénonciations de la « bande » dont on attend toujours ce « moment opportun » qu'a promis Gaid Salah pour nous éclairer. Le silence de la Présidence de la République, du gouvernement, des assemblées élues et même des partis officiels face à ces dérives ne sont pas de nature à rassurer. La peur a fini par gagner les esprits et a paralysé toute activité partisane ou institutionnelle et tout discours contradictoire. . Et ceux qui qualifient Gaid Salah de dictateur ne font qu'appliquer une définition largement partagée de la dictature : « Régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l'exercent sans contrôle, de façon autoritaire ». Nous y sommes bel et bien, sauf que, compte tenu de l'opacité qui caractérise le pouvoir, une des « constantes nationales », rares sont ceux qui s'aventurent à citer des noms de personnalités faisant partie de la junte de Gaid Salah, tant chez les civils, les militaires que les opérateurs économiques. Tout porte à croire que Gaid Salah décide seul et qu'il ne peut se targuer d'avoir un conseiller en communication digne de ce nom. Ses discours sont lus d'une voie monotone, quelquefois hésitante, dans un cadre formaté avec un décor kitsch et presque toujours devant le même auditoire. L'été des algériens a été rythmé par ses interventions décousues, contradictoires, irréalistes pour ne pas dire folkloriques et même irresponsables. Pendant ce temps, le panel de Karim Younes continue de brasser du vent sans aucune perspective de sortie de crise ni pour le pays ni pour le régime actuel. Jamais l'Algérie n'a connu un tel état d'incertitude regroupant trois acteurs principaux : Gaid Salah (et non l'ANP comme il aime le faire croire), le pouvoir « élu » et les citoyens. Face au chef d'Etat-major, seuls les citoyens et quelques organisations civiles lui tiennent tête depuis des mois, le FLN et le RND les principaux partis continuant leur danse du ventre. Gaid Salah, qui a fait la Une de l'actualité algérienne depuis l'éviction de Bouteflika, est à la tête d'un pays qui vit une situation très difficile tant sur le plan économique que social. Il n'y a pas eu d'évaluation des conséquences de cette crise que traverse le pays sur ces deux secteurs. Seul le temps nous révélera l'ampleur de ces crises multiples : institutionnelle, économique, sociale… dont la durée ne joue pas en faveur du Chef d'Etat-major. Et il le sait si bien qu'il est devenu obsédé par l'organisation des élections présidentielles « fi Akrab el ajal » ,expression qui parait dans presque tous ses discours depuis des mois. Il sait que le temps joue contre lui. D'où sa panique, ses menaces et ses atermoiements. Face aux provocations répétées du vice-ministre de la défense nationale, on est en droit de s'interroger sur ses ambitions personnelles et sur les objectifs qu'il poursuit. Ses discours répétitifs ne sont que menaces, élucubrations, n'ont aucun sens et défient toute logique. Que fera-t-il si le peuple continue pacifiquement de dire NON à l'organisation d'une autre mascarade électorale, parce que les conditions ne sont tout simplement pas réunies pour un tel événement ? C'est Hannah Arendt qui affirmait que « Le but de l'éducation totalitaire n'a jamais été d'inculquer des convictions mais de détruire la faculté d'en former aucune ».