Alors que l'Algérie a connu cette semaine son 31e vendredi de mobilisation, Brahim Oumansour, chercheur associé à l'Iris, revient sur l'intransigeance du régime et sa volonté d'imposer une élection présidentielle le 12 décembre dont les manifestants ne veulent pas. Des milliers de personnes ont encore manifesté à Alger vendredi, le 31e consécutif. Cette nouvelle mobilisation intervient quelques jours après l'annonce d'une présidentielle en décembre. Un scrutin rejeté par le mouvement de contestation, qui exclut toute élection d'un successeur à Abdelaziz Bouteflika, poussé à la démission en avril sous la pression conjuguée de la rue et de l'armée, sans un départ préalable du “système” au pouvoir depuis deux décennies. Pour Brahim Oumansour, chercheur associé à l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), le durcissement du pouvoir, qui a accéléré le calendrier, est “un pari risqué”. La contestation algérienne a-t-elle raison quand elle dénonce aujourd'hui un durcissement du pouvoir? Oui, incontestablement. Depuis quelques semaines, on assiste à un raidissement dans le discours du chef d'Etat-major Ahmed Gaïd Salah (qui dirige de facto le pays depuis la démission d'Abdelaziz Bouteflika en avril, NDLR). Il fait de plus en plus appel à une solution rapide, à savoir cette élection présidentielle programmée le 12 décembre, pour régler la crise. Cela s'accompagne d'arrestations de manifestants et de personnalités très respectées au sein de la contestation. Parallèlement, le pouvoir empêche les protestataires du reste du pays d'accéder à Alger, les menaçant de très lourdes amendes s'ils tentent de le faire. Pourquoi ce raidissement? Si l'on s'en tient à la logique de Salah, il peut être compréhensible du point de vue sécuritaire et économique. Mais les manifestants craignent surtout qu'elle soit une échappatoire : sortir de cette crise sans changer le système. Il y a une absence de dialogue, aucune volonté de transition démocratique n'est affichée. C'est une erreur car cela débouche sur un durcissement de la contestation. Le pouvoir se met tout seul dans une impasse. Vouloir engager une présidentielle est d'ailleurs un pari risqué. Pourquoi? Si la population la rejette et que la participation est très faible, alors quelle sera la légitimité du nouveau président? Il serait de facto fragilisé. Or, les mois qui viennent vont être très difficiles en Algérie, puisqu'il se dirige vers une crise économique sévère. Le pays est en plaine stagnation et au bord de la cessation de paiement. Il a un besoin urgent de réformes et d'investissements. Mais tout cela ne peut être engagé sans une stabilité politique, ce que n'offre pas cette solution bricolée par le régime. Les décisions d'un futur président qui ne serait pas légitimé par les urnes pourraient déboucher sur une colère sociale bien plus importante. Y-a-t-il un risque de radicalisation du mouvement? Oui même si cela ne se traduirait pas forcément par de la violence. Si le pouvoir s'entête, alors une partie de la population pourra se dire que la mobilisation pacifique n'est pas efficace et qu'il faut passer à des modes d'actions plus dure, comme la grève générale. Les émeutes qui ont entraîné la mort cette semaine de deux jeunes à Oued Rhiou (250 km à l'ouest d'Alger) sont-ils des signes avant-coureurs de cette radicalisation? Non, ce sont des événements isolés qui n'ont pas de réels liens avec ce qui se passe dans le pays. Le mouvement continue d'être pacifique. Mais, il faut tout de même souligner que la moindre étincelle pourrait allumer une mèche dangereuse. Cela pourrait entraîner une surenchère de la violence. Les manifestants réclament maintenant le départ d'Ahmed Gaïd Salah. Est-il fragilisé? On ne sait pas ce qui se passe exactement au sein de l'armée. Celle-ci jouit d'une bonne image : elle s'était jusqu'alors plutôt montrée du côté des manifestants, avait gagné leur confiance en procédant à des arrestations spectaculaires d'anciens dirigeants, d'hommes d'affaires liés au clan Bouteflika. Mais la politique menée par Ahmed Gaïd Salah ces dernières semaines a abîmé cette image. Cela pourrait se retourner contre lui. A l'intérieur de l'Etat-major, certains pourraient réclamer son départ.