Editorial du « Monde ». Abdelmadjid Tebboune, le nouveau président proche de Bouteflika, aura du mal à convaincre la rue qu'il incarne un véritable changement. Publié aujourd'hui à 11h17, mis à jour à 16h13 Editorial du « Monde ». Coïncidence ? Le 10 novembre, au lendemain de l'annonce officielle des cinq candidatures à l'élection présidentielle du 12 décembre en Algérie, un quotidien du régime, El Moudjahid, avait choisi de mettre en avant à la « une » la photo d'un seul des cinq concurrents, pourtant tous adoubés par le pouvoir : Abdelmadjid Tebboune, 74 ans. Le 12 décembre, c'est lui qui était élu. Avec 58,15 % des voix mais un taux de participation de 39,83 %, selon les résultats publiés vendredi, c'est cependant une bien pâle victoire pour ce successeur d'Abdelaziz Bouteflika, dont il a été le premier ministre avant de tomber en disgrâce. Elle n'a trompé personne. Plus nombreux encore qu'à l'habitude, les manifestants ont envahi les rues d'Alger et d'autres villes du pays dès la proclamation des résultats, vendredi, pour conspuer ce nouveau président. Des émeutes ont eu lieu en Kabylie, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées à Oran. Comme on pouvait s'y attendre, le verdict de la rue contraste spectaculairement avec celui des urnes. Cette élection, le Hirak, mouvement de contestation populaire qui dure depuis maintenant dix mois, n'en voulait pas, tant son déroulement était écrit à l'avance. Les Algériens qui se retrouvent chaque vendredi dans les rues avec une extraordinaire constance pour réclamer une véritable ouverture politique, après avoir obtenu le départ de M. Bouteflika, ne peuvent donc en accepter le résultat. Pour eux, qu'il s'appelle Tebboune, Belaid ou Benflis, le futur président ne peut être qu'une marionnette dans les mains du général Ahmed Gaïd Salah, qui tient fermement les rênes du pouvoir depuis le début de la crise, le 22 février. Personnage-clé de l'appareil dans les dernières années de la présidence Bouteflika, le chef d'état-major des armées, qui aura 80 ans en janvier, symbolise la permanence de ce système fossilisé qui paralyse l'Algérie.Lire aussi Qui est Abdelmadjid Tebboune, le vainqueur de l'élection présidentielle en Algérie ? La situation paraît donc totalement bloquée. Loin de s'essouffler, le Hirak a retrouvé vendredi une nouvelle vigueur. Le nombre de manifestants pourra varier selon les semaines, mais cette mobilisation inédite ne disparaîtra pas : elle est allée trop loin et a produit de puissants ressorts dans une société qui s'est redécouverte. Le choix de la non-violence et de la discipline, respecté de manière exemplaire par les manifestants, prive les autorités de l'option de la répression massive, dans un pays encore marqué par la sanglante guerre civile des années 1990. Par ailleurs, le refus du Hirak de désigner des leaders à la tête du mouvement pour éviter qu'ils soient arrêtés ne favorise pas non plus le scénario de la négociation, pour peu que le pouvoir y soit disposé. Le président Tebboune peut-il être l'homme d'une transition ou, à tout le moins, d'une sortie de crise ? C'est le scénario de l'émancipation, qui verrait cet homme politique s'affirmer, le général Gaïd Salah s'effacer progressivement et l'armée cesser de diriger en coulisses. Peu d'observateurs, cependant, osent y croire. M. Tebboune est un homme du système ; ni sa campagne ni ses premières déclarations ne laissent entrevoir une démarche susceptible de modifier fondamentalement la situation. Reste le scénario portugais, celui de l'évolution de l'armée, qui serait imposée par une dynamique interne. Sa probabilité est difficile à évaluer, tant l'opacité règne sur cette institution. Une année cruciale pour l'Algérie s'achève, malheureusement, sans la moindre visibilité sur son avenir. Le Monde