08 MARS 2020 EL WATAN Inquiétant regain de violence. La marche improvisée en début d'après-midi d'hier, au centre d'Alger, a violemment été réprimée. Les policiers déployés à la rue Khelifa Boukhalfa ont chargé les manifestants qui s'étaient regroupés aux abords de la mosquée Errahma. Plusieurs activistes, parmi lesquels Samir Benlarbi, Hassan Garidi, Sofiane Hadjadji et Samy Ibkaoui, le journaliste Khaled Drareni, ont été interpellés. «Les gens ont été violemment insultés et tabassés. J'ai vu des femmes et des vieux traînés par terre. Un vieil homme, cardiopathe résidant à Birkhadem, a été violemment bousculé par des policiers. Il s'est évanoui et je crains pour ses jours», s'alarme un sexagénaire, qui s'est rassemblé avec ses amis au boulevard Victor Hugo. Après une dizaine de minutes, les manifestants ont pu desserrer le cordon sécuritaire installé en haut de cette rue. Ils marcheront alors par petits groupes à la rue Didouche Mourad, très fréquentée à ce moment de la journée. A place Audin, les policiers s'étaient rués sur eux. Bilan : des interpellations et des blessés, dont certains graves. Les marcheurs rassemblés devant le lycée Barberousse sont dispersés. Certains sont poursuivis et tabassés à la rue Hamani (ex-Charasse). Un jeune, qui a eu le bras cassé, était protégé par des manifestants. Il restera là quelques minutes, la main retenue par un fichu blanc, avant l'arrivée de l'ambulance de la Protection civile. Des militants du mouvement populaire s'étonnent du regain de violence enregistré ces dernières semaines. Des manifestants ont été, en effet, violemment interpellés dans plusieurs villes du pays. Vendredi dernier, la police a injurié et arrêté des marcheurs à Alger, parmi eux l'ex-policier Toufik Hassani, conduit par ses anciens collègues pour la énième fois dans un commissariat, recense le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). A Boumerdès, des journalistes ont été interpellés, dont le correspondant local d'El Watan, Ramdane Koubabi, violemment agressé alors qu'il couvrait la manifestation, à la placette du Madaure. Le Collectif des journalistes algériens unis (JAU) a exprimé d'ailleurs sa solidarité aux journalistes victimes depuis des mois «d'un incessant harcèlement judiciaire et sécuritaire». Le ministre de l'Intérieur et le DGSN interpellés Pour le vice-président de la LADDH, Saïd Salhi, le «regain de répression» de ces derniers jours coïncide avec la détermination du peuple algérien à poursuivre son hirak pacifique pour la deuxième année : «La police, mise sous pression durant une année maintenant, arrive à bout. Le risque de dérapage est là. Face à l'entêtement du pouvoir, le hirak décide d'augmenter la pression populaire en ajoutant au menu des deux marches pacifiques hebdomadaires de mardi et vendredi, celle de samedi. Le pouvoir se trompe de calculs, comme à chaque fois, en jouant sur le temps et l'usure, pensant que le hirak va fléchir et s'essouffler. Je pense que ce qui se passe, malgré la retenue du hirak et de la majorité des services de sécurité, est un signald'exaspération, un cri d'alarme qui doit interpeller le pouvoir politique, seul responsable de la situation. L'ouverture de la solution politique démocratique à la hauteur des attentes du hirak est plus qu'une urgence.» Le militant, membre très actif du collectif de la société civile pour le changement, assure qu'en plus de la «répression injustifiée» contre des marches pacifiques, il y a ces graves allégations et témoignages de tortures exercées contre des activistes. «C'est alarmant et gravissime, cela doit mobiliser toute l'opinion nationale et interpeller les responsables, ça ne doit pas être banalisé», estime Salhi. Membre du collectif de défense des manifestants et des militants, dont Karim Tabbou, l'avocat Abdelghani Badi assure de son côté que les responsables, à leur tête le ministre de l'Intérieur et le DGSN, doivent répondre des accusations de tortures, dont a parlé le coordinateur de l'UDS, lors de sa plaidoirie devant la magistrate du tribunal de Sidi M'hamed. «La torture et les mauvais traitements, c'est notre combat central», souligne-t-il. Le sociologue Nacer Djabi estime que l'«implication» de l'institution sécuritaire dans le face-à-face avec les citoyens n'est pas la solution. «La solution est d'écouter rapidement les revendications (de ces citoyens) et les accepter par le décideur avant qu'il ne soit trop tard et que tout le monde soit perdant», souligne-t-il dans un post sur sa page Facebook. Jusqu'en début de soirée, la DGSN n'a pas communiqué sur les événements qui s'étaient déroulés dans la journée. La répression à Alger n'a pas dissuadé les citoyens de marcher en fin d'après-midi, à Belouizdad, plus particulièrement. «Nous n'allons pas nous arrêter. Le régime veut briser le hirak en privilégiant la violence. Nous resterons pacifiques. Aujourd'hui, nous avons marché. Demain, ce sont les femmes qui sortiront dans la rue (8 Mars, ndlr). Nous vaincrons», lâche un retraité de la Sécurité sociale, soulignant qu'il «garde espoir, malgré la répression».