C'est un jeune au visage angélique qui a connu les turpitudes de la prison pendant un mois : Rahim Attaf, mineur de 17 ans, est libre depuis mardi 17 janvier, mais tout de même condamné par la justice pour ses opinions. Le cauchemar du jeune homme avait commencé le 15 décembre dernier. Rahim est arrêté pas loin de la maison familiale, à Bab El Oued, en compagnie de Saïd Talhi dit « Zinou », un ex-détenu du hirak, pour avoir participé à un rassemblement organisé par des familles de harraga disparus en mer devant le poste de police du quartier. Les deux jeunes avaient joint leur voix à celles de familles meurtries. Par cette action, ils espéraient pousser les autorités à mener de nouvelles opérations de recherche en Méditerranée pour retrouver les harraga. Ce jour-là, Rahim est emmené au poste de police. Un procès-verbal lui est administré, et il est présenté devant le parquet qui renvoie son dossier devant le juge d'instruction pour mineurs. Celui-ci le place immédiatement en détention provisoire au centre de rééducation pour mineurs (prison) de Bouira, pour « incitation à attroupement non armé » (art. 100 du Code des procédures pénales). Zinou, lui, sera finalement acquitté. Pour maitre Toufik Belala, membre du Collectif des avocats constitué dans cette affaire, l'arrestation de Rahim et Zinou est purement liée à leur engagement au sein du mouvement populaire : « Seuls les deux ont été arrêtés, mais aucun membre des familles des harraga. Pourquoi ? Parce qu'ils (Rahim et Zinou) sont étiquettés comme « hirakistes » (actifs dans le hirak) dans les petites notes des forces de sécurité ». Les motifs invoqués dans le dossier judiciaire de Rahim pour justifier sa détention sont stupéfiants. « On lui (Rahim) reproche, lui, le mineur, d'avoir appelé les familles à s'attrouper ! », s'étonne l'avocat Belalla en souligant que le dossier fait explicitement référence au rassemblement, mais aussi, à une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle l'adolescent interpelle les autorités sur la situation des harraga disparus. Ultime dérive de l'appareil judiciaire Comment un mineur de 17 ans peut-il être accusé d'incitation à attroupement non armé ? Est-ce qu'une publication faite à partir d'un compte Facebook ayant à peine 170 abonnés peut constituer une menace à la sécurité publique ? Yassine Benz, activiste algérien basé en Espagne, a commenté l'arrestation de Rahim sur les réseaux sociaux en ces mots : « Cet enfant n'a même pas été condamné à une peine, pourquoi est-il en prison ? Ont-ils trouvé des armes ou des explosifs en sa possession ? Ont-ils trouvé de l'argent volé ? De la drogue ? Je vous raconte ce qu'ils ont trouvé chez lui : le maillot du Mouloudia (club de football de la capitale, NDLR), un téléphone, et debout en solidarité avec les familles des harraga disparus, c'est tout ! ». Du point de vue juridique, le Code des procédures pénales (CPP) est clair au sujet de la mobilisation de la détention provisoire contre un mineur. Elle n'est autorisée que dans des cas exceptionnels. Et ni la publication de Rahim sur les réseaux sociaux, ni sa participation au rassemblement des familles de harraga ne remplissent ces conditions, selon les avis des juristes. Mouloud Boumghar, professeur de droit public, nous rappelle que le CPP réitère le principe selon lequel l'inculpé reste libre au cours de l'information judiciaire (CPP, art. 123, al. 1). « Il y a une gradation entre le contrôle judiciaire et la détention provisoire. L'alinéa 2 de l'article 123 du CPP stipule que la personne inculpée peut être placée sous contrôle judiciaire si cette mesure est nécessaire pour garantir sa représentation devant la justice. Ce n'est que si les mesures de contrôle judiciaire sont insuffisantes que la détention provisoire peut être ordonnée (CPP, art. 123, al. 3). Le placement en détention provisoire reste, quoi qu'il en soit, une faculté et non une obligation. Il doit être fondé sur des éléments extraits du dossier de procédure », rappelle le professeur Boumghar. Or, les éléments du dossier ne répondent pas à ces critères selon maitre Toufik Belala : « Rien dans son dossier ne justifie sa détention provisoire. C'est une détention politique d'un mineur en raison de ses opinions ». Pour Abdelmoumene Khelil, secrétaire général de la Ligue algérienne des droits de l'Homme (LADDH), les poursuites engagées contre Rahim Attaf « sont d'une extrême gravité » puisque l'Algérie est signataire de conventions internationales qui garantissent ses droits : « C'est une aberration juridique qui porte atteinte à ses droits fondamentaux, tels définis dans la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, ratifié par l'Algérie en 1993, notamment dans ses articles 12, 13 et 15 », avant d'ajouter que, présentement, « personne n'échappe à la répression ». « Petit Omar » a grandi au sein du hirak Rahim est décrit par ses proches comme un adolescent d'une conscience accrue et apprécié dans son environnement. Au moment du déclenchement du soulèvement populaire, en février 2019, il avait à peine 14 ans. « Il a grandi au sein du hirak. C'est un jeune d'un quartier populaire qui a ressenti l'énergie de la force collective. C'est quelque chose qu'il habite dorénavant », nous dit Zaki Hannache, militant des droits de l'Homme et ami de Rahim. Entre 2019 et 2021, Rahim participe à toutes les manifestations du vendredi et du mardi, tantôt avec sa famille, tantôt avec ses amis du quartier. Il était apprécié du mouvement estudiantin algérois et il participe régulièrement au sit-in de solidarité avec les détenus devant les tribunaux. Ce qui a amené ses co-militants à l'affubler du nom de « petit Omar », figure emblématique de la guerre de libération nationale. Rahim Attaf n'est pas à ses premiers soucis avec les forces de l'ordre et la justice. Le 18 juin 2021, après la reprise temporaire des manifestations populaires le 22 février de la même année, Rahim et son père avaient été arrêtés et maintenus au commissariat du 5e à Bab El Oued pendant des heures. Leur maison a été également perquisitionnée. Selon le témoignage de Zaki Hannache, le mineur, comme des milliers manifestants, a été victime de violence policière. « Il a été frappé sous mes yeux d'un coup de poing au visage lors d'un rassemblement de solidarité devant le tribunal de Sidi M'hamed. C'était un enfant encore... ». Rahim Attaf a été également convoqué pour présentation devant le tribunal de Sidi M'hamed en 2021, mais aucune poursuite n'avait été engagée contre lui. Dans le procès pour incitation à attroupement non armé, le jeune Rahim a été remis en liberté, mais pas relaxé. Il a été blâmé (tawbikh) par le tribunal de Bab El Oued, le blâme étant la plus petite des condamnations pour un mineur. « Cela ne sera pas mentionné dans son casier judiciaire, mais vu qu'il est condamné, il n'a pas le droit à des dédommagements, mais nous comptons faire appel et casser le jugement », nous informe maitre Belala. Ainsi, le tribunal de Bab El Oued a-t-il mis fin à la sanction privative de liberté mais, pas à ses effets qui peuvent s'étendre sur le long terme. Ayant quitté les bancs de l'école en 2020 – il était alors scolarisé en première année moyenne – , Rahim Attaf doit attendre la rentrée prochaine pour reprendre sa formation en soudure entamée avant son emprisonnement. Quant au traumatisme et les séquelles de l'emprisonnement, ils ne s'effacent pas.