publié le 05/07/2009 23:02 – mis à jour le 06/07/2009 10:13 L'EXPRESS.fr http://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-armee-algerienne-a-t-elle-tue-les-moines-de-tibehirine_772337.html Selon nos informations, un ancien général français, entendu le 25 juin par le juge parisien Marc Trevidic, affirme que l'armée algérienne serait responsable de la mort des sept religieux français tués en 1996. Saura-t-on jamais la vérité? Connaîtra-t-on un jour les conditions dans lesquelles sept moines français de Tibéhirine (Algérie) ont été enlevés, tués, puis décapités, au printemps 1996 ? Selon les informations de LEXPRESS.fr, le juge parisien Marc Trevidic, en charge de la procédure judiciaire engagée en France, dispose désormais d'un élément qui pourrait s'avérer décisif et transformer ce dossier criminel en affaire d'états, au risque de nuire aux relations entre la France et l'Algérie. Le 25 juin, le magistrat a en effet entendu François Buchwalter, ex-général français, ancien attaché de défense à l'ambassade de France à Alger, d'après lequel la mort des sept moines serait la conséquence d'une « bavure » de l'armée algérienne, et non l'oeuvre de militants islamistes, comme le veut la thèse officielle. Dans sa déposition, dont nous sommes en mesure de révéler la teneur, ce témoin indique avoir vainement alerté sa hiérarchie et s'être heurté à ce qu'il appelle le « black-out » décrété par les autorités françaises de l'époque, à commencer par l'ambassadeur en poste en Algérie, Michel Lévêque. Les états de service de ce témoin donnent, à eux seuls, du poids et de la crédibilité à sa déposition. Cet homme de 67 ans fut en effet en poste à l'ambassade de France en Algérie de 1995 à 1998. En clair, il occupait ces fonctions au moment des faits, et connaissait donc tous les intervenants de cette affaire complexe, du côté algérien comme du côté français. Au cours d'une carrière bien remplie, ce saint-cyrien a également travaillé pour divers services de renseignement (SDCE, puis DGSE) et dirigé le cabinet militaire du ministre de l'Outre-mer, Jean-Jacques Queyranne, entre 1998 et 2000. Quand il se présente dans le bureau du juge Trevidic, le jeudi 25 juin, il commence par évoquer son parcours professionnel, puis il revient longuement sur son travail, à l'époque au sein de l'ambassade. Ses liens amicaux avec plusieurs officiers algériens de haut rang, faisaient de lui un observateur privilégié de la « guerre » qui déchirait alors le pays, entre les militaires et les islamistes. A l'évidence, l'enlèvement des moines de Tibéhirine, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, l'a profondément marqué, de même que les polémiques qui ont suivi. Deux thèses ne cessent en effet de s'affronter depuis treize ans. La première « officielle » veut que les religieux aient été enlevés, puis décapités par des islamistes des GIA. La seconde, plus dérangeante, impute la responsabilité de cette opération aux services secrets algériens, soucieux de faire porter le chapeau aux Islamistes. Le témoin reste prudent sur ce point, c'est à dire le « rapt » en lui-même. Il est plus catégorique en ce qui concerne la mort des moines. D'après lui, ils auraient été victimes d'une sorte de bavure de l'armée algérienne dont les hélicoptères survolaient la région où se cachaient des groupes armés. Voici ce que le témoin en a dit au juge Trevidic: « Pour que vous compreniez bien, j'ai eu des liens d'amitié avec divers officiers algériens qui avaient fait leur formation à Saint-Cyr et c'est ainsi que j'ai connu une personne dont je préfère ne pas vous dire le nom car il est possible que son frère soit encore en Algérie. Cette personne avait donc fait une carrière d'officier et puis il était devenu chef d'entreprise en Algérie. Il exploitait une maison de cars et je le voyais souvent. C'était un ami. Quelques jours après les obsèques des moines, il m'a fait part d'une confidence de son frère. Son frère commandait l'une des deux escadrilles d'hélicoptères affectées à la première région militaire dont le siège était à Blida. Son frère pilotait l'un des deux hélicoptères lors d'une mission dans l'Atlas blidéen, entre Blida et Medea. C'était donc une zone vidée [de sa population, NDLR] et les militaires ont vu un bivouac. Comme cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu'un groupe armé. Ils ont donc tiré sur le bivouac. Ils se sont ensuite posés, ce qui était assez courageux car il aurait pu y avoir des survivants. Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu'ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. Ils ont prévenu par radio le CTRI [structure de coordination entre l'armée et les services de renseignement algériens, NDLR] de Blida ». Selon lui, ces « gros hélicoptères » de fabrication russe (MI7, MI 17 ou MI 24), étaient équipés de « canons de petit calibre », semblables à ceux (20 mmm) de ceux des automitrailleuses. Une dizaine d'hommes auraient été impliqués dans cette opération de survol d'une zone montagneuse où les groupes terroristes avaient pour habitude de se réfugier. Les corps des moines étaient en si mauvais état que les militaires fautifs auraient décidé de les décapiter pour ne conserver que les têtes et faire croire à une exécution par ceux qui les avaient enlevés et conduits dans la montagne. D'après les informations de LEXPRESS.fr, le témoin a donné le sentiment au juge de croire fortement aux propos de son ami saint-cyrien et de « soulager sa conscience » en s'exprimant ainsi devant le magistrat. Il a également indiqué avoir informé sa hiérarchie, mais celle-ci avait semble-t-il décidé d'imposer le silence sur ces informations délicates pour les relations entre la France et l'Algérie. L'avocat des familles des victimes, Me Patrick Baudoin, voit là un pas décisif dans cette enquête : « Pour nous, déclare-t-il, ce témoignage est la confirmation que la raison d'état a prévalu et que beaucoup de choses ont été dissimulées, par les autorités françaises et par les autorités algériennes. Cette audition apporte une réponse non-définitive mais crédible à la mort des moines. Nous espérons maintenant qu'il n'y aura pas d'entraves au travail du juge et que le secret défense sera levé sur les notes rédigées à l'époque par ce témoin. »