Hicham El Moussaoui – Le 28 octobre 2009. Depuis quelques temps en Algérie, il ne se passe pas une semaine sans que l'on n'assiste à l'organisation de manifestation ou à l'éclatement d'une émeute. Le dernier en date est le soulèvement des habitants des quartiers de Diar Echems (un bidonville au cœur d'Alger) à cause d'un problème d'attribution de logements. Comment expliquer la récurrence des protestations musclées en Algérie? Tout d'abord, les émeutes sont un phénomène commun aux pays du Maghreb, ne serait-ce que parce qu'ils partagent les mêmes problèmes. De Gafsa à Oran, de Sidi Ifni à Alger, les foyers de contestations se sont allumés en représailles aux conditions de vie indignes. Cela dit, force est de constater que l'intensité et la fréquence des émeutes en Algérie sont plus grandes que dans les autres pays maghrébins. Alors, les algériens seraient-ils plus rebelles que leurs voisins? Si l'on regarde de près l'histoire de la société algérienne, on s'aperçoit rapidement qu'il s'agit d'une identité qui s'est construite sur une base conflictuelle, notamment lors de la guerre de libération d'Algérie. L'Algérie s'est construite dans la résistance à la colonisation, elle s'est également forgée par cette résistance. Ainsi, les algériens qui entrent aujourd'hui en conflit avec leurs gouvernants ont l'impression de combattre contre le colon français hier. La lutte pour des revendications sociales devient une sorte de résistance face à l'oppresseur et revêt de ce fait une charge émotionnelle et symbolique plus forte chez les algériens que chez les marocains et les tunisiens. S'ils ont arraché leur indépendance à la France, les Algériens luttent encore pour s'émanciper par rapport à un gouvernement oppressant politiquement, économiquement et socialement. Par ailleurs, si dans les trois pays du Maghreb, l'objet des manifestants et des émeutiers revêt un caractère existentiel (accès à l'eau, à la santé, au logement, au marché de travail, etc.), la perception des problèmes est davantage exacerbée et dramatisée en Algérie car des trois pays, elle est la plus riche. Les algériens trouvent moins d'excuses à leurs dirigeants, et ils ont raison. En fait, l'Algérie, contrairement au Maroc et à la Tunisie, est atteinte du syndrome hollandais – ou malédiction des ressources – dans le sens où la manne financière, générée par l'exploitation des hydrocarbures, censée accélérer le développement du pays se transforme en un frein car encouragent la corruption et les comportements de recherche de rente au détriment de l'entrepreneuriat et la création de richesses. Si les algériens n'arrivent pas à profiter de leurs richesses, c'est parce que, d'une part, les institutions démocratiques de contrôle et de contre-pouvoirs, obligeant les politiques à rendre des comptes, ne fonctionnent pas correctement. Et d'autre part, parce que les règles du jeu économique favorisent davantage le comportement rentier que le comportement productif. Comme lors des émeutes de Constantine en 1986, la baisse des cours du pétrole et donc la chute des recettes en devises réduit la marge d'intervention de l'Etat et le rend quelque peu inerte dans sa réponse aux demandes sociales exprimées par les populations dans la rue, ce qui a engendré la colère des populations habituées à la redistribution étatique. Même s'il s'agit de miettes comparativement aux privilèges accordés aux courtisans du pouvoir. Le passage à la protestation ou aux émeutes est largement tributaire de la perception des opportunités offertes par la vulnérabilité du pouvoir central. L'Etat-providence a de plus en plus du mal à prendre en charge les laissés pour compte. La récurrence des émeutes en Algérie est l'aveu de l'échec à tout point de vue de la politique interventionniste suivie depuis l'indépendance. Une chose est sûre est que le lien entre les citoyens et les politiques est en train de rompre car non seulement les citoyens ont le sentiment d'être ignorés et marginalisés, mais ils voient que ceux qui ont des entrées auprès du pouvoir vivent ostensiblement dans le luxe, d'où un sentiment d'injustice. Dés lors, les algériens ont la conviction que la seule manière pour se faire entendre et faire valoir leurs revendications est de descendre dans la rue. Souvent il s'agit de manifestations pacifiques, mais qui se transforment en mouvements de violence suite à l'attitude répressive des forces de l'ordre. Comme c'était le cas lors des émeutes du printemps berbère en Avril 1980 à Tizi Ouzou revendiquant la liberté d'expression et le droit à la diversité culturelle et lors des émeutes d'octobre 1988 qui traduisait le raz-le-Bol des jeunes. Le plus inquiétant dans ces émeutes est qu'elles sont en train de devenir un mode d'action politique, un canal d'expression, une sorte de contre-pouvoir puisque la république n'offre pas les garanties nécessaires. Dans les démocraties bien consolidées, le gouvernement rend des comptes aux élus représentant les citoyens, mais en Algérie les mécanismes de la démocratie ne fonctionnent pas correctement, alors les citoyens déplacent symboliquement le parlement dans la rue. En l'absence de mécanismes démocratiques permettant de régler les conflits, le lien entre l'élu et l'électeur est rompu et l'émeute se substitue à la manifestation pacifique. Au dialogue social, semble se substituer le langage des barricades et des cocktails Molotov en Algérie. Si les émeutes sont plus fréquentes en Algérie, c'est parce que le pays accuse un retard en matière institutionnelle dû à l'absence ou au non-fonctionnement des institutions favorisant la liberté d'expression, la liberté économique et le règlement pacifique des conflits. En l'absence de réformes institutionnelles de fond il est fort probable que le pouvoir, réussissant jusque là à détourner les revendications des uns et des autres, finisse par perdre le contrôle. Hicham EL Moussaoui est analyste sur www.unmondelibre.org