UN INNOCENT CROUPIT EN PRISON DEPUIS 1998 : Selon toute vraisemblance, ou du moins si l'on se réfère au principe de la présomption d'innocence, à ceux qui régissent le code de procédure pénale, et d'éléments d'un dossier qui nous sont parvenus récemment, des éléments qui ont été sciemment ignorés par une justice particulièrement expéditive, il semble qu'un innocent croupit en prison depuis 1998. Il s'agit de Monsieur CHOUAR Bouguerra, condamné lors d'un premier procès, en 1998, à la peine capitale. En 2003 Cette peine a été commuée en détention à perpétuité en 2003. Puis lors de deux autres procès qui se déroulèrent en 2006, cet homme fut condamné à deux peines de prison de dix années de détention chacune. Ces procès à répétition, dont de nombreux experts diront qu'ils ont été conduits en violation flagrante des procédures légales en vigueur et des droits les plus élémentaires de l'accusé, se sont fourvoyés dans des considérations de toutes sortes, dont celle de détourner les effets d'une juste vindicte populaire sur un bouc émissaire désigné pour la circonstance. Cette affaire, dite du cachir avarié, remonte à l'été 1998. Des cas de botulisme s'étaient déclarés dans plusieurs localités de l'Est algérien, et avaient causé la mort de 44 personnes, ainsi que l'hospitalisation d'une centaine d'autres. Cette affaire qui avait été abondamment relayée par la presse, et tout particulièrement par la télévision, avait suscité une immense clameur. Une enquête menée tambour battant allait déterminer que ces cas de botulisme avaient été causés par du cachir avarié qui proviendrait des Etablissements « El Hilal » une petite fabrique artisanale sise à Bir Hadada, petite localité à quelques kilomètres de la ville d'El Eulma. Les autorités administratives et sécuritaires, secouées par leurs hiérarchies, et par une clameur publique qui allait crescendo, avaient un besoin urgent de trouver un coupable. Ils allaient le trouver en la personne de CHOUAR Bouguera, propriétaire de la fabrique de cachir, qui fut tout aussitôt interpellé, interrogé sous la torture et écroué. La procédure fut menée rondement, sans s'embarrasser de détails. Il fallait parer au plus pressé et comme à son habitude, toute d'improvisation, de précipitation, et de ce mépris de la vraie justice qui distingue les magistrats algériens, la « Justice » a « liquidé » promptement l'affaire. La fabrique fut fermée par décision administrative et tous les produits en stock, des bâtons de cachir, furent placés sous séquestre, en attendant d'être analysés. Jusque là, hormis la question de la torture qui est malheureusement tout à fait banale en Algérie, la procédure pourrait sembler tout à fait normale. Il n'en fut rien pourtant. Un élément majeur, qui aurait disculpé Monsieur CHOUAR a été délibérément ignoré par les enquêteurs. Il semble même que des consignes aient été données pour ne pas en faire état, parce qu'il aurait fait traîner l'affaire en lenteurs procédurales, alors que la volonté politique des uns et des autres, au niveau local et à Alger, incitait les enquêteurs et le parquet à faire porter le chapeau à quelqu'un, tout de suite et de façon catégorique. Mais laissons pour plus tard cet élément crucial. Examinons d'abord certains autres éléments du dossier qui auraient pu servir à la décharge de l'accusé. 1/ Dans cette petite localité de Bir Hadada, et dans d'autres qui se situent dans les environs d'El Eulma, il existe au moins une dizaine d'autres fabriques artisanales de cachir, dont certaines ne disposent même pas de registres de commerce. Nous croyons même savoir que certaines appartenaient, en propre ou en prête nom, à des élus locaux. Une enquête sérieuse aurait exigé que toutes soient concernées par les investigations, et que leurs produits en stock soient analysés. Or, il n'en fut rien. Toutes fermèrent spontanément leurs portes et se mirent en hibernation. 2/ Lorsque la fabrique « El Hilal » fut fermée, la logique aurait voulu que des scellés y soient apposés et qu'aucune intrusion n'y soit autorisée sans l'aval express du parquet. Il n'en fut rien. De nombreuses personnes purent y déambuler, et il semble même que des équipes de la télévision, qui voulaient filmer des scènes choquantes, auraient « dramatisé » le décor. En y filmant, par exemple des ustensiles qui auraient été ramenés d'ailleurs, notamment des chaudrons et des manches à balais qui auraient servi à remuer les mixtures. Il faut signaler néanmoins que cette manipulation s'est faite à l'insu des équipes de tournage. 3/ Autre élément particulièrement gravissime, et qui a été pourtant utilisé à charge : S'agissant de matières périssables, à fortiori que cela se déroulait en plein juillet, les services sanitaires qui ont procédé à l'enlèvement des bâtons de cachir en stock afin de les soumettre à des analyses, auraient dû les transporter à bord de véhicules frigorifiques et les stocker dans des chambres froides. Il n'en fut rien. Un grand nombre de ces bâtons de cachir a été maintenu, transporté puis stocké en température ambiante, en plein mois de juillet. Ce n'est que sur l'intervention d'un fonctionnaire scrupuleux que les bâtons de cachir furent entreposés dans des réfrigérateurs avant leur analyse. Mais le mal était fait, sans doute ! Dans n'importe quel pays au monde, qui soit moyennement respectueux des procédures les plus élémentaires en matière d'investigations de cette nature, ces éléments auraient entraîné l'abandon des poursuites contre la personne accusée, même s'il pèse contre elle de lourdes présomptions, puisqu'ils sont empreints de suspicion légitime, et qu'ils ne peuvent, par conséquents, être instruits à charge. Parce qu'on ne joue pas avec la présomption d'innocence, parce que le législateur privilégie le bénéfice du doute, parce que le magistrat préfère libérer un coupable dont on n'a pas pu prouver la culpabilité, que de courir le risque de condamner un innocent. A fortiori lorsque les éléments à charge sont la conséquence de négligence de l'administration ou du parquet. Mais ce serait oublier que l'affaire se passe en Algérie. Où le propre de la justice est de commettre l'injustice. Revenons, à présent, sur cet élément crucial que nous avions évoqué, et que la justice avait volontairement éclipsé, pour la raison ahurissante de ne pas traîner en longueur. Pour apaiser la clameur publique, et laisser croire à l'opinion publique internationale que la justice algérienne ne lésine pas avec la santé publique. En fait, selon les éléments de l'enquête que nous avons pu consulter, les Etablissements « El Hilal » commercialisaient leur production à plusieurs grossistes, à de nombreuses familles de Bir Hadada , à une caserne de l'Armée et à des marchands ambulants. Or, il a été constaté : *Que tous les produits encore en stock chez les grossistes étaient sains. Tous les produits stockés chez ces grossistes, dans de bonnes conditions de réfrigération, étaient sains. Pas un seul bâton n'était infecté ! *Qu'aucune victime n'a été déplorée parmi les soldats de la caserne, alors que « El Hilal » l'approvisionnait en plusieurs quintaux de cachir par mois. *Qu'aucun habitant de Bir Hadada n'avait souffert de l'ingestion de ce cachir. Par contre, et c'est là l'élément qui a été passé à la trappe par le parquet, et par le juge d'instruction, parce qu'il risquait d'innocenter CHOUAR Bouguerra, il avait été constaté que plusieurs des commerçants ambulants qui s'approvisionnaient chez lui ne disposaient pas de véhicules frigorifiques. Ils ne disposaient pas de camions frigorifiques parce qu'ils étaient, dans leur majorité, de petits ambulants qui livraient un bâton de cachir par ci, un autre par là, et que généralement ils parvenaient à écouler leur petite cargaison en une seule journée, chez les épiciers de la région qui étaient leurs clients. Mais le problème a été que l'un d'eux, ou plusieurs d'entre eux, qui ont dû prendre une quantité plus importante que d'habitude, et qui n'ont pu l'écouler dans la journée, l'ont gardée pendant plusieurs jours dans leur camionnette, en plein juillet. On imagine ce que peuvent devenir des bâtons de cachir, dans un habitacle métallique surchauffé, en pleine canicule. Une enquête sérieuse aurait relevé d'emblée que deux indices semblaient indiquer que les produits avariés semblaient avoir été distribués par un vendeur ambulant. Le premier était qu'il n'y avait aucune victime à Bir Hadada, alors que des dizaines de familles s'approvisionnaient directement à la fabrique. Le second était que les 44 personnes qui ont décédé, et les nombreux autres qui ont été hospitalisés après avoir mangé de ce produit avarié, ne se trouvaient pas dans une seule localité, mais sur un itinéraire qui montre clairement que c'est celui d'un ou de plusieurs marchands ambulants, puisque ces victimes ont dénombrées à El Eulma, Chelghoum Laïd, Tadjenanet, Azzaba, Oum El Bouaghi, Ain Beïda, Khenchela, Constantine et autres localités. L'enquête préliminaire avait pourtant déterminé que toutes les victimes avaient pris du cachir qu'ils avaient acheté auprès de petits épiciers de quartier, tous desservis par des marchands ambulants. Marchands ambulants qui ne s'approvisionnaient pas tous à la fabrique « El Hilal ». Des conclusions semblaient s'acheminer vers cette piste. Cela a été stoppé par le Parquet. Il n'était pas possible de savoir lequel, parmi les nombreux marchands ambulants avait été à l'origine du désastre. Trop fastidieux et trop incertain, au moment où la rue criait au lynchage. CHOUAR Bouguera fut donc la victime expiatoire. Entre lui et la difficulté de trouver qui parmi les marchands ambulants avait été à l'origine du désastre, il n'y eut pas d'hésitation. On le tenait, et il n'allait pas s'en tirer. Il fut brisé. Encore plus cruellement que si on l'avait exécuté. Sa première condamnation à la peine capitale fut suivie de quatre longues années d'isolement, de mauvais traitements. En prison il était celui qui avait tué 44 innocents, et tout un chacun se fit un devoir de le lui faire payer. Ce fut un enfer pour lui et sa famille. Ses maigres biens furent dilapidés en frais d'avocats, et en dépenses de toute sorte. Je l'ai rencontré dans la prison de Sétif, en 2003. Sa peine venait d'être commuée en détention à vie. Il avait contracté plusieurs maladies chroniques, et se traînait littéralement, les yeux tournés au ciel, les lèvres marmonnant des prières silencieuses. Il m'avait confié qu'il faisait confiance à Dieu, et que les épreuves qu'il endurait l'avaient guidé vers le sentier du bien. Il m'avait affirmé que s'il n'obtenait pas justice dans ce monde, il en serait récompensé dans l'autre. J'avais été impressionné par ses certitudes. J'ai tenté de mener ma propre enquête, mais je ne pus aller bien loin. Des évènements allaient se précipiter qui me contraignirent à quitter mon pays. Mais des contacts que j'avais gardé, et qui connaissaient tout l'intérêt que j'accordais à cette affaire, m'ont fait parvenir récemment les derniers éléments que je livre aujourd'hui. CHOUAR Bouguerra a été injustement condamné. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute ! Ses droits constitutionnels ont été bafoués. Les preuves sur lesquelles repose sa mise en accusation sont infondées, tronquées, et même falsifiées. Le seul tort que l'on puisse objectivement lui reprocher, et qui relève de la pagaille généralisée plutôt que de sa responsabilité personnelle, est qu'il avait accepté de livrer des marchands ambulants en plein été alors qu'ils n'étaient pas équipés en véhicules frigorifiés. Encore que ces marchands ambulants ne s'approvisionnaient pas que dans sa fabrique, mais auprès de plusieurs autres producteurs, dont nous avions dit que certains ne disposaient même pas de registres de commerce. Ces commercants ambulants avaient des registres en bonne et due forme, délivrés par une administration sur le vu de leur carte grise qui indiquait bien que les véhicules n'étaient pas conformes à l'activité. Dans cette pénible affaire, dont il ne faut pas oublier qu'elle a coûté la vie à 44 personnes, la procédure pénale, le procès et la couverture médiatique, qui ont baigné, de bout en bout, dans des circonstances suspectes, ont procédé du lynchage et de la précipitation. Un homme a été jeté en pâture à une opinion publique qui criait justice. En guise de justice, et pour détourner les regards qui se fixaient sur les vrais coupables, un homme, sa vie, son honneur et celui de sa famille ont été sacrifiés à l'autel de la manipulation. Des éléments de l'enquête, majeurs et déterminants, et qui auraient pu l'innocenter, ont été volontairement occultés. Volontairement ! Rien n'effacera les terribles souffrances qu'il a endurées, ni ne guérira le cancer qu'il a contracté en prison, ni ne lui rendra les années d'enfance de ses enfants, ni le bonheur conjugal qui aurait pu être le sien. Mais justice doit lui être rendue ! Qu'il puisse enfin vivre en paix les rares moments qui lui restent ! D.BENCHENOUF Selon toute vraisemblance, et sur la base d'éléments d'un dossier qui nous sont parvenus récemment, des éléments qui ont été sciemment ignorés par une justice particulièrement expéditive, il se confirme qu'un innocent croupit dans la prison de Sétif depuis 1998. Il y a été incarcéré à l'issue de parodies de justice, des procès au pas de charge, qui ont violé le code de procédure pénale, le principe de la présomption d'innocence, et qui ont ignoré délibérément, et sur instruction, des éléments probants et catégoriques qui auraient dû innocenter cet homme. Il s'agit de Monsieur CHOUAR Bouguerra, condamné lors d'un premier procès, en 1998, à la peine capitale. En 2003. Cette peine a été commuée en détention à perpétuité en 2003. Puis lors de deux autres procès qui se déroulèrent en 2006, cet homme fut condamné à deux peines de prison de dix années de détention chacune. Ces procès à répétition, dont de nombreux experts diront qu'ils ont été conduits en violation flagrante des procédures légales en vigueur et des droits les plus élémentaires de l'accusé, se sont fourvoyés dans des considérations de toutes sortes, dont celle de détourner les effets d'une juste vindicte populaire sur un bouc émissaire désigné pour la circonstance. Cette affaire, dite du cachir avarié, remonte à l'été 1998. Des cas de botulisme s'étaient déclarés dans plusieurs localités de l'Est algérien, et avaient causé la mort de 44 personnes, ainsi que l'hospitalisation d'une centaine d'autres. Cette affaire qui avait été abondamment relayée par la presse, et tout particulièrement par la télévision, avait suscité une immense clameur. Une enquête menée tambour battant allait déterminer que ces cas de botulisme avaient été causés par du cachir avarié qui proviendrait des Etablissements « El Hilal » une petite fabrique artisanale sise à Bir Hadada, petite localité à quelques kilomètres de la ville d'El Eulma. Les autorités administratives et sécuritaires, secouées par leurs hiérarchies, et par une clameur publique qui allait crescendo, avaient un besoin urgent de trouver un coupable. Ils allaient le trouver en la personne de CHOUAR Bouguera, propriétaire de la fabrique de cachir, qui fut tout aussitôt interpellé, interrogé sous la torture et écroué. La procédure fut menée rondement, sans s'embarrasser de détails. Il fallait parer au plus pressé et comme à son habitude, toute d'improvisation, de précipitation, et de ce mépris de la vraie justice qui distingue les magistrats algériens, la « Justice » a « liquidé » promptement l'affaire. La fabrique fut fermée par décision administrative et tous les produits en stock, des bâtons de cachir, furent placés sous séquestre, en attendant d'être analysés. Jusque là, hormis la question de la torture qui est malheureusement tout à fait banale en Algérie, la procédure pourrait sembler tout à fait normale. Il n'en fut rien pourtant. Un élément majeur, qui aurait disculpé Monsieur CHOUAR a été délibérément ignoré par les enquêteurs. Des consignes claires ont été données pour ne pas en faire état, parce qu'il aurait fait traîner l'affaire en lenteurs procédurales, alors que la volonté politique des uns et des autres, au niveau local et à Alger, incitait les enquêteurs et le parquet à faire porter le chapeau à quelqu'un, tout de suite et de façon catégorique. Mais laissons pour plus tard cet élément crucial. Examinons d'abord certains autres éléments du dossier qui auraient pu servir à la décharge de l'accusé. 1/ Dans cette petite localité de Bir Hadada, et dans d'autres qui se situent dans les environs d'El Eulma, il existe au moins une dizaine d'autres fabriques artisanales de cachir, dont certaines ne disposent même pas de registres de commerce. Nous croyons même savoir que certaines appartenaient, en propre ou en prête nom, à des élus locaux. Une enquête sérieuse aurait exigé que toutes soient concernées par les investigations, et que leurs produits en stock soient analysés. Or, il n'en fut rien. Toutes fermèrent spontanément leurs portes et se mirent en hibernation. 2/ Lorsque la fabrique « El Hilal » fut fermée, la logique aurait voulu que des scellés y soient apposés et qu'aucune intrusion n'y soit autorisée sans l'aval express du parquet. Il n'en fut rien. De nombreuses personnes purent y déambuler, et il semble même que des équipes de la télévision, qui voulaient filmer des scènes choquantes, auraient « dramatisé » le décor. En y filmant, par exemple des ustensiles qui auraient été ramenés d'ailleurs, notamment des chaudrons et des manches à balais qui auraient servi à remuer les mixtures. Il faut signaler néanmoins que cette manipulation s'est faite à l'insu des équipes de tournage. 3/ Autre élément particulièrement gravissime, et qui a été pourtant utilisé à charge :S'agissant de matières périssables, à fortiori que cela se déroulait en plein juillet, les services sanitaires qui ont procédé à l'enlèvement des bâtons de cachir en stock afin de les soumettre à des analyses, auraient dû les transporter à bord de véhicules frigorifiques et les stocker dans des chambres froides. Il n'en fut rien. Un grand nombre de ces bâtons de cachir a été maintenu, transporté puis stocké en température ambiante, en juillet. Ce n'est que sur l'intervention d'un fonctionnaire scrupuleux que les bâtons de cachir furent entreposés dans des réfrigérateurs avant leur analyse. Mais le mal était fait, sans doute, puisque les analyses relevèrent que ces produits étaient avariés ! Dans n'importe quel pays au monde, qui soit moyennement respectueux des procédures les plus élémentaires en matière d'investigations de cette nature, ces éléments auraient entraîné l'abandon des poursuites contre la personne accusée, même s'il pèse contre elle de lourdes présomptions, puisqu'ils sont empreints de suspicion légitime, et qu'ils ne peuvent, par conséquents, être instruits à charge. Parce qu'on ne joue pas avec la présomption d'innocence, parce que le législateur privilégie le bénéfice du doute, parce que le magistrat préfère libérer un coupable dont on n'a pas pu prouver la culpabilité, que de courir le risque de condamner un innocent. A plus forte raison lorsque les éléments à charge sont la conséquence de négligence de l'administration ou du parquet, puisque les produits soumis aux analyses n'ont pas été placés sous froid aussitôt qu'ils ont été saisis. Mais ce serait oublier que l'affaire se passe en Algérie. Où le propre de la justice est de commettre l'injustice. Revenons, à présent, sur cet élément crucial que nous avions évoqué, et que la justice avait volontairement éclipsé, pour la raison ahurissante de ne pas traîner en longueur. Pour apaiser la clameur publique, et laisser croire à l'opinion publique internationale que la justice algérienne ne lésine pas avec la santé publique. En fait, selon des fragments de l'enquête que nous avons pu consulter, les Etablissements « El Hilal » commercialisaient leur production à plusieurs grossistes, à de nombreuses familles de Bir Hadada , à une caserne de l'Armée et à des marchands ambulants. Or, il a été constaté : *Que tous les produits encore en stock chez les grossistes étaient sains. Tous les produits de la fabrique « El Hilal », stockés chez ces grossistes, dans de bonnes conditions de réfrigération, étaient sains. Pas un seul bâton n'était infecté ! *Qu'aucune victime n'a été déplorée parmi les soldats de la caserne, alors que « El Hilal » l'approvisionnait en plusieurs quintaux de cachir par mois. *Qu'aucun habitant de Bir Hadada n'avait souffert de l'ingestion de ce cachir. Par contre, et c'est là l'élément qui a été passé à la trappe par le parquet, et par le juge d'instruction, parce qu'il risquait d'innocenter CHOUAR Bouguerra, il avait été constaté que plusieurs des commerçants ambulants qui s'approvisionnaient chez lui ne disposaient pas de véhicules frigorifiques. Ils ne disposaient pas de camions frigorifiques parce qu'ils étaient, dans leur majorité, de petits ambulants qui livraient un bâton de cachir par ci, un autre par là, et que généralement ils parvenaient à écouler leur petite cargaison en une seule journée, chez les épiciers de la région qui étaient leurs clients. Mais le problème a été que l'un d'eux, ou plusieurs d'entre eux, qui ont dû prendre une quantité plus importante que d'habitude, et qui n'ont pu l'écouler dans la journée, l'ont gardée pendant plusieurs jours dans leur camionnette, en plein juillet. On imagine ce que peuvent devenir des bâtons de cachir, dans un habitacle métallique surchauffé, en pleine canicule. Une enquête qui se voulait sérieuse, à ses débuts, a relevé d'emblée que deux indices semblaient indiquer que les produits avariés semblaient avoir été distribués par un ou des vendeur sambulants. Le premier était qu'il n'y avait aucune victime à Bir Hadada, alors que des dizaines de familles s'approvisionnaient directement à la fabrique. Le second était que les 44 personnes qui ont décédé, et les nombreux autres qui ont été hospitalisés après avoir mangé de ce produit avarié, ne se trouvaient pas dans une seule localité, mais sur un itinéraire qui montre clairement que c'est celui d'un ou de plusieurs marchands ambulants, puisque ces victimes ont été dénombrées à El Eulma, Chelghoum Laïd, Tadjenanet, Azzaba, Oum El Bouaghi, Ain Beïda, Khenchela, Constantine et autres localités. L'enquête préliminaire avait pourtant déterminé que toutes les victimes avaient pris du cachir qu'elles avaient acheté auprès de petits épiciers de quartier, tous desservis par des marchands ambulants. Marchands ambulants qui ne s'approvisionnaient pas tous à la fabrique « El Hilal », mais également chez les autres fabricants artisanaux de la région. Des conclusions semblaient s'acheminer vers cette piste. Cela avait été stoppé par le Parquet. Il n'était pas possible de savoir lequel, parmi les nombreux marchands ambulants avait été à l'origine du désastre. Trop fastidieux et trop incertain, au moment où la rue criait au lynchage. CHOUAR Bouguera fut donc la victime expiatoire. Entre lui et la difficulté de trouver qui parmi les marchands ambulants avait été à l'origine du désastre, il n'y eut pas d'hésitation. On le tenait, et il n'allait pas s'en tirer. Il fut brisé. Encore plus cruellement que s'il avait été jeté vivant dans une fosse à fauves. Sa première condamnation à la peine capitale fut suivie de quatre longues années d'isolement, de mauvais traitements. En prison il était celui qui avait tué 44 innocents, et tout un chacun se fit un devoir de le lui faire payer. Ce fut un enfer pour lui et sa famille. Ses maigres biens furent dilapidés en frais d'avocats, et en dépenses de toute sorte. Je l'ai rencontré dans la prison de Sétif, en 2003. Sa peine venait d'être commuée en détention à vie. Il avait contracté plusieurs maladies chroniques, et se traînait littéralement, les yeux tournés au ciel, les lèvres marmonnant des prières silencieuses. Il m'avait confié qu'il faisait confiance à Dieu, et que les épreuves qu'il endurait l'avaient guidé vers le sentier du bien. Il m'avait affirmé que s'il n'obtenait pas justice dans ce monde, il en serait récompensé dans l'autre. J'avais été impressionné par ses certitudes. J'ai tenté de mener ma propre enquête, mais je ne pus aller bien loin. Des évènements allaient se précipiter qui me contraignirent à quitter mon pays. Mais des contacts que j'avais gardé, et qui connaissaient tout l'intérêt que j'accordais à cette affaire, m'ont fait parvenir récemment les derniers éléments que je livre aujourd'hui. CHOUAR Bouguerra a été injustement condamné. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute ! Ses droits constitutionnels ont été bafoués. Les preuves sur lesquelles repose sa mise en accusation sont infondées, tronquées, et même falsifiées. Le seul tort que l'on puisse objectivement lui reprocher, et qui relève de la pagaille généralisée plutôt que de sa responsabilité personnelle, est qu'il avait accepté de livrer des marchands ambulants en plein été alors qu'ils n'étaient pas équipés en véhicules frigorifiés. Encore que ces marchands ambulants ne s'approvisionnaient pas que dans sa seule fabrique, mais auprès de plusieurs autres producteurs, dont nous avions dit que certains ne disposaient même pas de registres de commerce. Ces commercants ambulants avaient des registres en bonne et due forme, délivrés par une administration sur le vu de leur carte grise qui indiquait pourtant que les véhicules n'étaient pas conformes à l'activité, puisqu'ils n'étaient pas frigorifiés. Dans cette pénible affaire, dont il ne faut pas oublier qu'elle a coûté la vie à 44 personnes, la procédure pénale, le procès et la couverture médiatique, qui ont baigné, de bout en bout, dans des circonstances suspectes, ont procédé du lynchage et de la précipitation. Un homme a été jeté en pâture à une opinion publique qui criait justice. L'administration et le pouvoir politique, effrayés par cette hécatombe et par la clameur qui s'en est ensuivie, n'ont cherché qu'à se dédouaner. En guise de justice, et pour détourner les regards qui se fixaient sur les vrais coupables, un homme, sa vie, son honneur et celui de sa famille ont été sacrifiés à l'autel de la manipulation. Des éléments de l'enquête, majeurs et déterminants, et qui auraient pu l'innocenter, ont été volontairement occultés. Volontairement ! Rien n'effacera les terribles souffrances qu'il a endurées, ni ne guérira le cancer qu'il a contracté en prison, ni ne lui rendra les années d'enfance de ses enfants, ni le bonheur conjugal qui aurait pu être le sien. Mais justice doit lui être rendue ! Qu'il puisse enfin vivre en paix les rares moments qui lui restent !