C'est, selon lui, le premier volet de l'application du rapport Issad. “Il s'agira soit d'une initiative législative, soit d'une mesure opérationnelle”, a affirmé Mohamed Charfi, hier, en évoquant les formules probables d'application de la réforme en matière de détention provisoire et de présomption d'innocence. Au menu d'un séminaire de deux jours qu'il a inauguré au siège de la Cour suprême, ces deux questions sont, selon le ministre de la Justice et garde des Sceaux, au cœur du programme de réforme qu'il vient d'engager sur la base du rapport de la commission Issad — du nom de son président. Il compte, par ailleurs, sur les résolutions de ces journées d'étude afin d'impulser encore plus le changement. “Ce séminaire est une sorte d'audit du dispositif judiciaire actuel. Des présidents de cour, des procureurs, des avocats et des auxiliaires de justice y sont conviés dans le but, justement, de faire une expertise, relater leurs expériences, cibler les failles et préconiser des améliorations”, a expliqué le ministre de la Justice lors d'un point de presse improvisé. Dans son discours d'ouverture, il a exhorté les magistrats à une lecture juste des lois, sans zèle ni exagération, afin de préserver le principe de la présomption d'innocence et faire de la détention préventive une mesure exceptionnelle. En abordant le premier point, le garde des Sceaux a rappelé l'article 46 de la Constitution qui stipule que toute personne est présumée innocente jusqu'à l'établissement de sa culpabilité par une juridiction compétente. Il a également insisté sur la Déclaration universelle des droits de l'Homme qui sacralise ce principe. D'ailleurs, il s'est longuement fait l'écho de ce texte important dont on célébrait, hier, l'anniversaire de sa proclamation pour forcer au respect strict de la présomption d'innocence. Car là est le problème. En effet, bien que les lois internes et le droit international constituent des garants pour le justiciable, souvent, dans les faits, ils ne suffisent pas à le prémunir des abus. Mohamed Charfi l'admet. Il a, à ce sujet, parlé de dérapages et autres dérives de magistrats, des juges d'instruction et des procureurs qui ne s'accommodent guère du bénéfice du doute et “culpabilisent” immédiatement l'accusé. C'est notamment le cas lors des gardes à vue, a précisé le ministre. Celui-ci a, dans ce conteste précis, mis en évidence la manière quelquefois bâclée avec laquelle sont expédiées les enquêtes judiciaires, avec le seul objectif d'acculer les suspects. “La commission de réforme a révélé dans son rapport ce grave préjudice”, a encore insisté le garde des Sceaux. Pour autant, ce dernier dit ne pas avoir de solutions miracles. C'est aux premiers concernés, aux magistrats et à leur conscience professionnelle qu'il fait appel afin de corriger les torts et prévenir de nouveaux abus dans l'exercice de la justice. Hôte de ce séminaire, le président de la Commission consultative de la protection et de la promotion des droits de l'Homme, Farouk Ksentini, stigmatise, de son côté, les textes. Selon lui, les lois algériennes portent des contradictions qui favorisent toutes sortes de distorsions. Il a, à cet égard, opposé des articles de la Constitution qui garantissent le principe de la présomption d'innocence à d'autres qui la dérangent. L'orateur a, par exemple, cité l'article 60 qui stipule que quiconque n'est censé ignorer la loi. Il a, en outre, évoqué l'article 123 du code de procédures pénales qui octroie au juge d'instruction un pouvoir exorbitant en matière de détention. “À elles seules, les conditions matérielles de maintien en garde à vue, les locaux, la qualité de la nourriture, les violences physiques supposent que l'accusé est coupable”, a confié M. Ksentini. Sur un autre volet, il a dénoncé la violation du secret de l'instruction, le recours systématique au casier judiciaire ainsi que la liberté d'expression qui, souvent, porte préjudice aux personnes impliquées dans des enquêtes judiciaires. Sur le second point relatif à la détention provisoire, le président de la commission des droits de l'Homme s'est dit outré par la prorogation infinie de la durée de cette forme d'emprisonnement. “L'article 125 du code de procédure pénale la fixe à 16 mois alors que l'article 166 alinéa 2 la laisse à l'appréciation du juge”, a-t-il expliqué. Abondant dans le même sens, le ministre de la Justice a révélé, là aussi, l'usage systématique de la détention provisoire. “C'est pourtant une mesure exceptionnelle”, n'a-t-il cessé de marteler. À ce sujet, le garde de Sceaux a fait allusion à l'Etat d'exception qui régit le pays depuis une année. Une situation qui a d'après lui donné lieu à des dérapages au nom de la lutte antiterroriste. “Dans tous les cas, il faut mettre en adéquation les droits de l'individu et la préservation de l'ordre public”, a-t-il préconisé. Quelle forme prendra ce sursis ? Selon M. Ksentini, la question dépasse de simples réajustements techniques. Pour le ministre, ce ne sont pas les lois qu'il faut changer mais les mentalités. En attendant, l'injustice est devenue une règle. Toujours d'après le ministre de la Justice, les prisonniers en détention provisoire constituent 11% de la population carcérale. S. L. Erreurs judiciaires Mise en place d'une structure de réparation • Le ministre de la Justice a annoncé l'installation, il y a quelques jours, d'une commission de réparation des erreurs judiciaires. Siégeant à la Cour suprême et présidée par le premier responsable de cette institution, la structure en question doit se pencher sur les nombreux dossiers encore en suspens. Statut des magistrats Un nouveau texte sur le bureau de l'APN • Mohamed Charfi a révélé qu'un nouveau texte relatif au statut des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature sera déposé sur le bureau de l'Assemblée populaire nationale dans les prochaines semaines. Ce projet, a-t-il expliqué, est alternatif à l'avant-projet de loi tout dernièrement rejeté par le Conseil constitutionnel pour non-conformité avec la constitution. Il est à noter qu'une rencontre sur cette question a réuni, lundi dernier, le ministre au syndicat national des magistrats. Rapport Issad Installation d'un comité de suivi et d'application • Outre un changement qu'il vient de faire au niveau des directions centrales de son département, le garde des Sceaux a annoncé la mise en place de deux comités, l'un chargé du classement des détenus et l'autre du suivi et de l'application des recommandations du rapport de la commission Issad de la reforme de la justice. Interrogé pour savoir quel sort a-t-il réservé à la reforme des codes des procédures civiles et pénales entamées l'année dernière par son prédécesseur Ahmed Ouyahia, M. Charfi a affirmé que cette tâche a été confiée à des groupes de travail qui sont appelés à intégrer le comité. Déclarant ne pas vouloir faire de procès à son prédécesseur, il a, néanmoins, souligné que la remise en cause de toute chose est impérative. “Il faut être vigilant”, a insisté le ministre. S. L.