Alkarama for Human Rights, Algeria-Watch, 31 décembre 2009 Les familles de disparus de la région de Jijel, particulièrement déçues par l'absence de réponse des autorités algériennes à leur demande de vérité et de justice à la suite de la disparition de leurs proches, continuent, en désespoir de cause, de s'adresser aux instances compétentes de l'ONU. Ainsi, le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires, vient de nouveau d'être saisi aujourd'hui de 104 cas de disparitions forcées recensés dans la région de Jijel (300 Km à l'est d'Alger) datant de la période située entre 1993 et 1997. Ces cas ont été documentés par l'Association Mich'al des enfants de disparus de Jijel (AMEDJ) qui vient soutenir l'Association des familles de disparus de la région de Jijel (AFDJ). Cette association nouvellement créée par un groupe de fils / filles et de frères / sœurs de disparus de la région de Jijel a déposé le 24 mai 2009 une demande d'agrément auprès des services compétents de la wilaya de Jijel. En l'absence de réponse à ce jour, elle peut être considérée comme étant de facto légalement agréée. La jeune association Mich'al (Le flambeau) n'est pas une inconnue ; elle a déjà obtenu le soutien de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH) ainsi que de la plupart des ONG qui se préoccupent de la situation des disparus en Algérie. Les 104 cas soumis aujourd'hui à cette procédure spéciale de l'ONU font suite aux 175 cas recensés dans la wilaya de Jijel et soumis en décembre 2008. Ils révèlent une fois de plus l'implication directe et exclusive des services de sécurité algériens, tous corps confondus (militaires, gendarmes, policiers et membres des milices armées par le gouvernement), dans le drame des disparitions forcées de la région de Jijel. Durant la période 1994-1997, les enlèvements de civils, en particulier des élus, militants et sympathisants du Front islamique du Salut (FIS) étaient très courants, un grand nombre d'entre eux ont été victimes d'exécutions sommaires et extrajudiciaires. Les principaux auteurs de ces crimes sont des militaires de l'Armée nationale populaire (ANP) avec le rôle central des services du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) de la région. Celui-ci contrôle le secteur militaire opérationnel de Jijel commandé entre fin 1994 et début 1997 par le tristement célèbre commandant Salah Lebbah, alias Belbah, lequel relevait directement de la 5ème région militaire de Constantine, placée sous le commandement du général Abdelhamid Djouadi (1992-mai 1994) remplacé par le général Rabah Boughaba (mai 1994-septembre 1997), lui même remplacé par le général Ali Djemai (1997-2000). Ces trois officiers supérieurs de l'armée algérienne, responsables de crimes graves contre l'humanité, sont par la suite promus au grade de général-major par le président Bouteflika et n'ont jamais été inquiétés. Le commandant Salah Lebbah travaillait en étroite collaboration avec un officier du DRS, le capitaine Belkheir, assisté de l'officier Hocine Mehirèche, tous deux en poste dans ce secteur et qui se sont distingués par leurs méthodes de torture. Les services de la Gendarmerie nationale, qui relèvent également du ministère de la défense nationale, étaient très actifs dans la région de Jijel. Ils étaient alors dirigés par les généraux Benabes Ghezaïel (1989-mars 1995) et Brahim Fodhil Cherif, (mars 1995 à juillet 1997) puis par le général-major Tayeb Derradji (juillet 1997-février 2000). Certaines brigades de gendarmerie nationale de la wilaya de Jijel étaient fortement impliquées dans ces crimes de masse. Il s'agit en premier lieu des brigades d'El Aouana (commandée par le capitaine Benaouda), de Chekfa (commandée par l'officier Said), de Emir Abdelkader (commandée par l'adjudant chef Said Gueham, assisté par le sergent Mustapha Bousaid), de Boucherka-Taher, de Kaous, de Texenna, de Djimla, de Sidi Abdelaziz (commandée par l'officier Said) et d'El-Kennar. Il faut évoquer la forte implication, surpassant toutes les autres brigades de gendarmerie, dans ces crimes, des éléments de la 17e unité du Groupe d'intervention rapide (GIR) de gendarmerie basée au village Bouhamdoune- Tassoust- Emir Abdelkader. Cette unité couvrait tout le territoire de la wilaya de Jijel et était commandée par le commandant Ouettar. Et il est aussi nécessaire de souligner que ces enlèvements, exécutions sommaires et disparitions forcées n'ont pu atteindre ce caractère massif et systématique qu'avec l'appui et l'implication directe des milices armées par le wali local, Brahim Boubrit, aujourd'hui reconverti dans la vente en gros de matériel médical. Ces milices, très actives dans la région, appelées officiellement » Groupes de légitime défense » relèvent de la responsabilité de la gendarmerie, donc de l'armée. Les chefs de milice qui ont atteint une certaine renommée de par leur participation directe aux crimes de masse de l'armée algérienne sont notamment Ferhat Bouchair ; Ali Betatache alias Allaoua, tous deux de Jijel centre ; Ahmed Chermat de la cité Boukhertoum-Tassoust-Emirabdelkader ; Mebarek Bousbia alias Aamor de la cité Ouled Aissa ; Ammar Djerfi de Emir Abdelkader ; Berbache de Chekfa ; Liaoursi de Djimla ; Mohamed Belayeb de Texenna ; Mohieddine Boudria de Metlatine-Texenna ; Tibouk de Tassoust ; Belmedrek de Taher, etc. Par cette nouvelle action au niveau de l'ONU, les familles de disparus montrent bien qu'elles ne sont pas prêtes à clore le dossier des disparitions forcées malgré la loi dite de réconciliation nationale promulguée en 2006 dans le but de garantir l'impunité à tous les membres des forces de sécurité, toutes composantes confondues. De même qu'elles refusent toutes indemnisations qui viseraient à les faire oublier leur droit à la justice et à la vérité, ni ne se laissent intimider par des convocations policières ou autres formes de harcèlement. Tant que la vérité sur le sort de leurs parents et les responsabilités pour ces crimes ne seront pas établies, les familles de disparus continueront leur combat pour que les responsables et les commanditaires soient jugés.