Sur la route de la côte-ouest, il y a d'alléchants petits étals qui vous font arrêter sur le bas-côté. A des intervalles réguliers, vous y trouverez un peu de tout : à tout seigneur tout honneur, de beaux fruits et de beaux légumes, vous êtes sur les terres de la Mitidja, la fertile, la généreuse, la légendaire nourricière. Il n'en reste plus rien ? Eh, bien, il reste la... légende. Et l'idée, incroyablement tenace d'une résurrection. On ne va pas s'attaquer au béton en place mais on peut sauver ce qu'il a épargné, disent les rêveurs impénitents. Tout est irrémédiablement foutu, ceux qui rêvent moins. Ils ont, hélas, plus d'arguments, les choses étant au point où elles sont, la tendance étant dans la trajectoire que l'on sait. Nous sommes déjà dans une autre histoire. Sur la route de la côte-ouest, «l'ancienne route» rebaptisée ainsi parce qu'elle est désertée par les voyageurs au long cours, il y a encore beaucoup de véhicules mais la circulation est fluide, c'est déjà ça de gagné sur l'enfer des bouchons. Des deux côtés de la route, on vend des fruits et légumes, on ne sait pas vraiment s'ils viennent des vergers et des champs environnants mais on a envie d'y croire, on peut même faire semblant, histoire de se convaincre qu'on a mis la main sur des «produits du terroir», frais et savoureux. On y trouve même des volailles, du gibier d'élevage des lapins et quelques curiosités maraîchères dont on découvre les formes et les couleurs. Ici, il n'y a pas grand monde à demander les prix. On s'y arrête pour la qualité, une petite dose d'évasion et le sentiment flatteur de ramener un couffin différent dans la caisse de son véhicule. Oui, ici, il n'y a que des automobilistes de passage ou spécialement venus pour les emplettes. A des endroits, on force un peu le trait exotique. En présentant ses maraîchers dans une brouette, en couvrant ses fruits des feuilles de l'arbre-mère ou en s'installant à l'orée d'un sentier donnant sur un champ, histoire de suggérer que la provenance est à portée de vue. Alors, on s'arrête et on achète. Tant pis si le rêve n'est qu'illusion d'optique. Après tout, toutes les oranges viennent des orangers, toutes les pommes de terre sortent de la terre et tous les poulets de ferme viennent d'une ferme. Sinon, le petit vendeur à l'accent local vous jurera par Dieu et tous les saints de la région et d'ailleurs que sa marchandise est un pur produit du cru. Ils n'ont rien de roublard, ces petits et ces vieux si attachants et si proches de la terre. Alors, on s'arrête, on achète et tant pis si la coquille immaculée des œufs est un leurre mijoté en laboratoire. Sur cette route qui a gardé un brin d'humanité du pays profond, il y a certainement quelques roublards pour qui l'occasion fait le larron. Aussi certainement que de braves paysans proposent les produits de leurs petits lopins arrachés à la furie du parpaing. Entre Fouka et Douaouda-Marine, on peut ne rien acheter parce qu'on est convaincu que personne ne peut nous la faire à nous. D'autres, beaucoup d'autres le font qu'ils rêvent, qu'ils fassent semblant de rêver ou font simplement le marché à l'air libre. S. L.