Exaspérés par le soutien présumé du Pakistan à des groupes extrémistes en Afghanistan, les Etats-Unis ont annoncé dimanche qu'ils voulaient annuler 300 millions de dollars d'assistance sécuritaire. Mais tant Islamabad que les analystes relativisent la portée d'une telle mesure sur le gouvernement d'Imran Khan, en poste depuis à peine deux semaines. Cette mesure avait par ailleurs déjà été pré-annoncée en janvier. Le sujet sera, quoi qu'il en soit, au menu de la visite du secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo prévue cette semaine au Pakistan, au cours de laquelle il rencontrera son nouvel homologue pakistanais Shah Mehmood Qureshi. De quoi s'agit-il ? En dépit des démentis répétés d'Islamabad, Washington est convaincu de la duplicité du Pakistan, accusé de soutenir les talibans à l'origine de sanglants attentats en Afghanistan, tout en empochant des milliards de dollars d'aide américaine. Samedi, le Pentagone a indiqué avoir reprogrammé 300 millions de dollars destinés au Pakistan «en raison de l'absence d'actions décisives» de ce dernier. Le Congrès devra toutefois d'abord valider cette décision. Mais le ministre Qureshi a aussitôt relativisé l'annonce, précisant que ces 300 millions font partie de paiements dont le gel avait déjà été annoncé en janvier. Ils étaient prévus dans le cadre du «fonds de soutien de la coalition» destiné à rembourser au Pakistan ses dépenses liées aux opérations antiterroristes. «Il ne s'agit pas d'une nouvelle réduction de l'aide. C'est juste la mise en œuvre d'une suppression antérieure», estime également Huma Yusuf, analyste du Wilson Center, à Washington. Que demandent les Etats-Unis au Pakistan ? Washington et Kaboul accusent le Pakistan de soutenir des groupes extrémistes armés comme les talibans afghans et leurs alliés du réseau Haqqani, à qui il fournirait des refuges dans ses régions frontalières avec l'Afghanistan. Washington exige que cesse ce soutien, qu'Islamabad nie, arguant d'énormes sacrifices humains et financiers consentis dans sa lutte contre le terrorisme. Alors que les talibans infligent des revers à répétition aux forces afghanes, malgré le soutien de plus de 14 000 soldats américains actifs en Afghanistan, le Pentagone attend aussi du Pakistan qu'il pousse les talibans à engager des pourparlers de paix avec Kaboul. «Il n'y aucun doute que nous avons besoin de l'aide du Pakistan pour encourager, persuader, faire pression sur les talibans pour qu'ils viennent à la table des négociations», a expliqué mercredi Randall G. Schriver, un haut responsable du département de la Défense en charge de l'Asie-Pacifique. «Nous avons pris la décision de réduire notre assistance et d'imposer des contraintes (...) au Pakistan, pour les persuader de suivre ce chemin et d'utiliser leur influence sur les talibans», a-t-il poursuivi lors d'une conférence devant la Fondation Carnegie. Pourquoi avoir tant attendu ? Selon des chiffres américains, le Pakistan a perçu plus de 33 milliards de dollars d'aide depuis 2002. Cette aide avait été suspendue dans le passé, notamment en 2011 après le raid américain sur la ville pakistanaise d'Abbottabad qui avait coûté la vie au chef d'Al-Qaïda Oussama Ben Laden. Mais Washington semble peu désireuse de couper complètement les ponts avec le Pakistan, où le sentiment anti-américain est déjà fort. Les Etats-Unis ont besoin de l'accès à son espace aérien et à ses routes d'approvisionnement vers l'Afghanistan, pays enclavé où ils conservent une présence militaire conséquente.Par ailleurs, le Pakistan est le seul pays musulman à détenir la puissance nucléaire et Washington veut s'assurer qu'elle ne tombera pas aux mains d'extrémistes. Quel résultat en espérer ? L'annonce américaine intervient quelques semaines après l'arrivée au pouvoir d'Imran Khan, un ex-champion de cricket qui s'est prononcé dans le passé pour des négociations avec les insurgés. «Imran Khan appelle depuis longtemps à un processus de paix afghan», observe l'analyste Huma Yusuf, du Wilson Center de Washington. «Entamer une conversation avec lui en lui tordant le bras est contre-productif.» D'autant qu'Imran Khan, alors qu'il était dans l'opposition, avait eu des mots durs face aux Etats-Unis. En janvier, après l'annonce de sanctions, il avait plaidé pour «une réponse forte» à Washington. Il a adopté un ton plus conciliant depuis son élection, plaidant pour des relations «équilibrées». L'annonce américaine est «bien trop faible, et bien trop tardive, pour influencer les décisions du Pakistan», remarque également Maria Sultan, une analyste spécialisée dans les questions de défense. En froid avec les Etats-Unis, le Pakistan s'est depuis quelques années tourné vers la Chine. Un méga-projet sino-pakistanais d'infrastructures, d'une valeur de quelque 60 milliards de dollars, est actuellement en cours au Pakistan. Reste l'arme financière, alors que le pays est au bord de l'insolvabilité et qu'il est appelé à s'endetter, vraisemblablement auprès du Fonds monétaire international, dont Washington est le principal contributeur. Mais pour l'heure, les relations américano-pakistanaises sont «proches du néant», «complètement suspendues», a observé dimanche le chef de la diplomatie pakistanaise Qureshi.