Docteur en littérature arabe moderne, auteur d'une douzaine d'ouvrages consacrés à la littérature, la culture, la diplomatie et l'idéologie, cadre au ministère des Affaires étrangères, actuellement directeur d'études et de recherches au Conseil constitutionnel, Brahim Romani a su concilier formation universitaire académique et fonctions supérieures au sein d'institutions officielles et diplomatiques pour porter haut l'étendard culturel et civilisationnel de l'Algérie à l'étranger. Il a mis sa plume et sa passion de l'écriture au service de la promotion du patrimoine culturel et intellectuel national et des personnalités qui ont contribué à sa grandeur et sa profondeur. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Brahim Romani revient longuement sur les sujets qui ont polarisé son attention tout au long de son parcours universitaire et professionnel et du devoir de mémoire envers ceux qui ont laissé leurs empreintes dans l'histoire de l'Algérie contemporaine. Le Soir d'Algérie : Le Salon international du livre d'Alger ne cesse de prendre de la dimension. Celui de cette année semble, d'ores et déjà, hisser les seuils de qualité à des niveaux jamais atteints. Peut-on connaître votre avis ? Brahim Romani : Le Salon du livre est devenu, au fil des éditions, un événement majeur dans la vie culturelle en Algérie. C'est un vecteur important de la promotion du livre, des écrivains et des éditeurs et aussi une passerelle avec l'actualité livresque internationale. C'est un moment privilégié de communion entre les lecteurs, les écrivains et les éditeurs à travers la multitude d'animations autour du livre, conférences, débats, ventes-dédicaces, contacts… Il a également une mission pédagogique pour l'encouragement et la généralisation, à la fois de l'écriture et de la lecture et contribue incontestablement au rayonnement de l'Algérie culturelle et civilisationnelle dans le monde. C'est un salon qui a beaucoup gagné en maturité. Au-delà du nombre croissant des visiteurs, on constate une évolution qualitative au niveau de l'organisation, de la proximité et l'interactivité entre lecteurs et auteurs et un plus grand engouement de la part du public en dépit des prix souvent rédhibitoires. C'est vous dire l'importance de plus en plus avérée de ce salon du livre et de la nécessité de le développer davantage. Je souhaiterais, pour ma part, que l'Etat puisse encourager l'édition à travers le classement de l'œuvre culturelle et scientifique comme produit spécifique ne devant pas être soumis aux mêmes règles commerciales que les autres. Une manière d'encourager l'achat du livre et la promotion de la lecture, car un peuple qui lit, c'est un peuple qui se développe et qui constitue la pierre angulaire à toute renaissance et civilisation. Vous avez participé à cette dernière édition à travers deux nouveaux ouvrages, pouvez-vous nous en parler brièvement ? J'ai, en effet, eu le plaisir de participer au dernier salon avec deux livres. Le premier, intitulé, Boualem Bessaïh, Dix ans avec le diplomate, le politique et l'intellectuel, en arabe et en français, édité par l'Anep et le second, La Mémoire rayonnante - articles, témoignages, souvenirs en langue arabe publié par l'Enag. L'occasion pour moi de retrouver mes lecteurs, le grand public, mes amis parmi les chercheurs, universitaires, journalistes et étudiants. Ces deux ouvrages viennent s'ajouter aux dix premiers livres que j'ai écrits durant ma carrière universitaire et professionnelle et qui ont touché les domaines de la culture, la littérature et l'idéologie au sens scientifique large. A cela s'ajoute la diplomatie que j'ai l'honneur d'exercer et d'y apporter une modeste contribution à travers mon livre-documentaire référentiel intitulé Citations du Président Abdelaziz Bouteflika 1999 -2003 portant exclusivement sur la politique étrangère de l'Algérie. Il s'agit d'une sélection et présentation d'extraits de discours du président de la République, constitutionnellement premier responsable de la politique étrangère, sur la vision et les positions de l'Algérie concernant les questions d'actualité internationale. Ces deux livres convergent vers un champ d'écriture s'inspirant essentiellement de mon parcours universitaire et diplomatique. A l'Université d'Alger où j'étais docteur d'Etat, chercheur et enseignant de littérature arabe moderne, puis, parallèlement, le métier de journaliste que j'accomplissais avec des publications dans divers quotidiens et magazines algériens et arabes. C'était pour moi une fenêtre ouverte sur le monde et un complément enrichissant ma formation académique. Une expérience particulièrement bénéfique. En fait, la presse m'offrait l'opportunité de transmettre mes idées, ma vision en s'adressant à un plus large public et apporter ma contribution à la promotion de la culture, être sensible et proche des préoccupations de la société et surtout exprimer mes convictions et défendre les causes de la nation. On revient à votre livre, La mémoire rayonnante, quelle a été la thématique générale que vous avez choisi d'aborder ? C'est un livre qui retrace une partie de ma vie professionnelle et culturelle, à travers une première partie constituée d'articles de presse consacrés à la ville dans sa dimension socio-culturelle, son esthétique, sa littérature et l'apport de ses citoyens dans son épanouissement et son rayonnement sur le monde. Dans cette partie, c'est le professeur et le journaliste qui a donné libre cours à sa verve littéraire pour une interaction entre la ville, la presse et l'université. La seconde partie est un ensemble de témoignages sur des personnalités d'envergure universitaire, culturelle, littéraire, historique et diplomatique, qui sont à la fois mes professeurs et amis et qui ont servi brillamment le pays. Je citerai les docteurs Abdallah Rekibi, Aboulkacem Saâdallah, Mohamed Nacer, Boualem Bessaïh, Mohamed Massaïf, Hassan Fathelbab, Bakhti Benaouda, le martyr de la pensée et la littérature algérienne assassiné par les hordes terroristes à l'âge de 34 ans et aussi Hafnaoui Zaghez, un grand romancier et nouvelliste, considéré comme l'exception dans ce domaine, puisqu'il était en même temps cadre supérieur de la DGSN et homme de lettres. Tous ces témoignages visent à faire connaître ces personnalités importantes du large public. Un devoir de mémoire à l'égard d'amis et d'aînés qui ont contribué grandement à l'enrichissement du patrimoine national, culturel, littéraire, historique, diplomatique et même constitutionnel du pays. D'autant que Bessaïh, qui était président du Conseil constitutionnel, a œuvré brillamment à la promotion de la culture constitutionnelle et à l'insertion de l'Algérie dans l'évolution croissante de la justice constitutionnelle dans le monde. Une troisième partie dans ce livre, intitulé Souvenirs, résume mon passage dans la capitale égyptienne, Le Caire, de 1993 à 1998, en tant que responsable du Centre culturel algérien et attaché auprès de l'ambassade. J'ai essayé de lancer cette structure et d'assurer une activité d'animations diverses (conférences, expositions, soirées artistiques et projections cinématographiques, débats médiatiques etc.). Et permettez-moi de vous dire qu'avec peu de moyens, nous avons pu initier des actions de coopération entre des institutions culturelles, des centres de recherches et des universités algériennes et égyptiennes et faire connaître la production intellectuelle algérienne à un large public aussi bien égyptien qu'arabe, grâce notamment au statut incontestable de plate-forme politique, diplomatique, culturelle et médiatique dynamique de la capitale égyptienne. Et on a pu effectivement, à partir de cette ville cosmopolite, présenter et mettre en valeur plusieurs facettes de notre culture et promouvoir l'image de l'Algérie triomphante et prometteuse, créatrice et humaniste pendant la décennie noire. En bref, mon passage au Centre culturel algérien du Caire a consolidé ma conviction de l'importance d'une telle structure dans le rayonnement de la culture et l'image du pays à l'étranger. A ce propos, ne pensez-vous pas que l'Algérie accorde peu d'intérêt justement à la création de ce type de structures à l'étranger et à leur impact sur le rayonnement de l'image et de la culture du pays ? Il est juste de dire que l'Algérie ne dispose hélas que d'un seul centre culturel à l'étranger, à Paris en France. Celui du Caire, et faute de moyens, est actuellement mis en veilleuse et n'active plus. En revanche, nous constatons que beaucoup de pays, d'Europe, d'Afrique et d'Asie disposent de centres culturels actifs et efficaces dans leur mission et certains ont même des centres d'information. Ces établissements sont absolument nécessaires pour la promotion de la culture du pays et une meilleure diffusion de son image. Je reste convaincu que la culture et la diplomatie se complètent pour bien servir les intérêts de la nation. Le second livre que vous avez présenté au Salon d'Alger est la version en langue française du témoignage sur Boualem Bessaïh. C'est un ouvrage qui emprunte la même démarche d'écriture que le premier, à savoir le témoignage. Il retrace la période où nos chemins se sont croisés dans une relation professionnelle et amicale étroite durant dix ans consécutives. A Rabat, d'abord, où Boualem Bessaïh était ambassadeur d'Algérie au Maroc et moi conseiller aux affaires politiques et culturelles, ensuite directeur d'études et de recherches au cabinet du Conseil constitutionnel présidé par Bessaïh (2005-2012). Cette relation d'amitié profonde ininterrompue s'est poursuivie durant les quatre dernières années de sa vie, en sa qualité de ministre d'Etat, conseiller spécial et représentant personnel de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Un livre-témoignage sur une personnalité de marque, un grand militant, éminent diplomate et ministre à la tête de plusieurs secteurs, notamment l'information, la culture et les Affaires étrangères. Un livre éclairage sur une personnalité remarquable qui a servi son pays pendant plus d'un demi-siècle en tant que diplomate et homme politique mais surtout comme intellectuel et homme de culture. J'ai tenté modestement de mettre en valeur cette dimension de l'homme qui a écrit sur l'histoire et la littérature populaire. Il a immortalisé l'histoire de l'Algérie en poésie dans son livre l'Algérie belle et rebelle, de Jugurtha à Novembre. Tout comme il l'a glorifiée dans le cinéma en écrivant les scénarios des films sur l'épopée de Cheikh Bouamama, L'émir Abdelkader et cheikh El Mokrani. Vous semblez privilégier, ces dernier temps, le témoignage comme style d'écriture et comme une marque de reconnaissance et de fidélité et un devoir de mémoire. Oui, je considère que le témoignage est une forme d'expression de la reconnaissance envers ceux qui nous ont marqués et qui ont apporté leur pierre à l'édifice du pays dans sa grande diversité. A travers leur œuvre culturelle, intellectuelle, scientifique, artistique, littéraire… C'est une manière pour moi de contribuer à l'écriture de l'histoire de l'Algérie dès lors que ces hommes et ces personnalités font désormais partie de la mémoire collective nationale. Ces témoignages ont une double portée, faire connaître du grand public ces hommes et ces femmes qui se sont distingués chacun dans son domaine et constituent autant de références historiques et culturelles pour les étudiants et les chercheurs universitaires. Si l'écriture est un acte de civilisation par excellence, le témoignage peut être, à la fois, un devoir personnel de fidélité et aussi un devoir scientifique objectif d'écriture et d'histoire. Entretien réalisé par Belkacem Bellil