Le théâtre régional de Sidi-Bel-Abbès est entré jeudi dans la compétition officielle de cette 13e édition du Festival national du théâtre professionnel qui se déroule à Alger jusqu'au 31 décembre. «Fel hayt» (Sur le mur) est une satire politique cinglante où se rencontrent humour, spectacle et audace. Ecrite par Ahmed Benkhal et mise en scène par Abdelkader Djeriou, la pièce réunit donc deux talents débridés qui ont su, dans une osmose créatrice rare, produire un spectacle aussi politiquement incorrect que formellement passionnant. C'est l'histoire de Dayem (campé par l'inaltérable Abdallah Djellab), monarque despotique qui cherche désespérément un remède à sa stérilité. Entouré de flatteurs, coupé des populations et obnubilé par le pouvoir, il finit par virer son médecin traitant et convoquer un charlatan dénommé Moul Nya (le truculent Ahmed Benkhal). Ce dernier finit par lui recommander d'interdire le mariage dans le pays pour que les forces surnaturelles s'occupent exclusivement de son cas. Parallèlement, deux personnages hauts en couleurs représentent les classes populaires : un blogueur avide de célébrité se prenant pour un militant politique (Aboubakr Benaïssa) et, un ouvrier amoureux préparant son mariage (Ahmed Sahli). Ponctuée par des morceaux musicaux joués à la gasba sur scène, la pièce mêle habilement les codes du théâtre populaire et de la satire politique tout en se jouant de l'actualité immédiate. Le texte empruntant aussi à l'absurde qu'aux classiques algériens, convainc d'abord par sa fluidité, son humour brut et ses allusions subtiles même si l'auteur n'a pas résisté par moments à la tentation du discours direct à l'instar de la scène mélodramatique renvoyant à l'assassinat de Boudiaf. La densité et le dosage alternant le rire et la réflexion demeurent, néanmoins, les principales qualités d'une dramaturgie bien menée, haletante et où l'on s'ennuie très rarement. Abdelkader Djeriou choisit, comme dans son précédent spectacle «Dellali» (2015), une mise en scène protéiforme et aérée où chaque situation provoque une inspiration nouvelle et une sémantique visuelle aussi débridée qu'élégante. A la différence d'une certaine tendance observée cette année au FNTP, et qui conjugue l'humour et le divertissement au recyclage de formes moult fois exploitées et de lieux communs sans véritable consistance, Djeriou et son équipe misent sur un imaginaire en folie, métaphorisant de façon cinglante la situation actuelle du pays et proposant un dispositif scénique exalté et efficace qui mêle, là encore, les esthétiques traditionnelles aux formes les plus élaborées. Côté comédiens, le spectateur en prend plein les yeux avec une dream-team dont la générosité, l'énergie et la justesse ont permis au spectacle de réellement s'ancrer dans l'esprit du public : Abdallah Djellab (un des piliers du théâtre de Sidi-Bel-Abbès) est au sommet de sa forme dans le rôle de ce petit dictateur sociopathe et attendrissant ; Aboubakr Benaïssa (autre atout de ce théâtre régional) s'éclate littéralement en campant cet opposant de pacotille dont le prétendu courage fond comme neige au soleil une fois sorti de sa bulle virtuelle ; Abdallah Merbouh qui se surpasse dans la peau du serviteur zélé du roi mais surtout dans cette interprétation nuancée qui déjoue la caricature, etc. «Sur le mur» incarne ainsi une rencontre heureuse entre théâtre populaire et création artistique et confirme le talent de Abdelkader Djeriou dans l'élaboration d'atmosphères aussi raffinées qu'accessibles. Sarah H.