«L'œuvre de Mohammed Arkoun, une pensée universelle en quête d'un islam des lumières». C'est le thème du colloque organisé avant-hier, à l'initiative de l'APW de Tizi-Ouzou, en présence des autorités de la wilaya, du recteur de l'université Mouloud-Mammeri et des membres de la famille de Mohammed Arkoun dont sa fille Sylvie. Une dizaine de chercheurs, à l'instar de Tassadit Yacine (EHESS-Paris, Collège de France), Zineb Ali Benali (Paris 8), Abdelhafid Hamouche (Université de Lille), Walid Lagoun (ENA, Alger) auront à croiser leurs regards sur la pensée de l'intellectuel et islamologue algérien dont la vie et la pensée ont été magistralement évoquées par l'islamologue et président de la Fondation de l'islam de France, ainsi que par Sylvie Arkoun (la fille de Mohammed Arkoun). «Ce n'est que justice que d'organiser ce colloque en hommage à M. Arkoun tant l'homme a été marginalisé et incompris des siens car les vérités de Arkoun ne plaisent pas aux prêcheurs de la haine et de l'ignorance», dira, d'emblée A. Tessa, recteur de l'université de Tizi-Ouzou, rappelant que Arkoun s'est attelé à un chantier gigantesque longtemps embrigadé par les gardiens du temple et de l'ordre religieux : la relecture rénovée et éclairée du sacré et de l'islam débarrassé du dogme et des lectures étriquées du texte coranique. Il y a tant de leçons à retenir de l'œuvre d'Arkoun, ignorée par calcul ou par mépris, dira le recteur de l'UMMTO qui préconise : «Il est temps d'aller vers lui. Nous n'avons pas pu lui éviter de ne pas être enterré dans la terre de ses ancêtres, essayons, au moins, de lui éviter la mort de son héritage. Reconnaître la pertinence et l'immensité de son œuvre est le premier pas vers cette justice que nous devons lui rendre.» «Poursuivant sa recherche en France, il s'est intéressé à l'humanisme arabe qui fut le sujet de sa thèse de doctorat à la Sorbonne. Il s'est attaché à montrer que l'humanisme n'est pas l'apanage de la seule Europe. Il s'est fait l'investigateur du passé sur lequel il a porté une réflexion philosophique, guidé par son adhésion aux valeurs culturelles et spirituelles de sa religion ancestrale reçue de sa mère et de son oncle, et le désir de tirer avantage des mouvements de la pensée contemporaine de l'Occident. Pour Arkoun, la revivification et la modernisation de la pensée musulmane et de la pensée arabe passent nécessairement par les sciences de l'homme et de la société, très pratiquées en Occident. Il a ouvert un champ d'étude interdisciplinaire qu'il a intitulé «L'islamologie appliquée» et qu'il a développé dans diverses universités occidentales», dira, pour sa part, le wali de Tizi Ouzou. Saluant «l'humaniste (qui) a lutté contre tous les extrémismes (religieux, identitaire et intellectuel» et la porte ouverte «du dialogue permanent et passionné entre les religions», le P/APW rappellera que ce colloque vise «à valoriser l'œuvre de M. Arkoun (dont) la mort est une perte non seulement pour l'Algérie mais pour l'humanité tout entière». Sylvie Arkoun évoquera ce père «érudit et mystérieux» qu'elle a appris à découvrir sur le tard. «Mon père était un homme secret qui n'aimait pas se dévoiler ; il cultive son mystère comme on cultive son jardin», dira-t-elle sur un ton chargé d'émotion. «J'ai découvert la densité du message qu'il a légué (…) et de l'homme complexe qu'était mon père à travers ses œuvres, ses archives et grâce aux autres (les amis de son père, sa mère et ses oncles paternels)», raconte Sylvie Arkoun qui, elle aussi, semble marquée par la mésaventure que son père a vécue lors du colloque sur la pensée islamique et l'ostracisme qu'il a subi de la part d'El Ghazali, l'homme de religion égyptien. Episode suite auquel il quittera l'Algérie. Ghalib Benchikh (islamologue et président de la Fondation de l'islam de France) fera une évocation lyrique de «l'engagement intellectuel, de la pensée subversive de l'homme» qu'il dit avoir connu, mais regrettant «de ne pas avoir suffisamment profité de ses lumières et de ses connaissances», témoignera-t-il dans une conférence inaugurale sur Mohammed Arkoun qui insistera sur le besoin pour l'Algérie «d'honorer ses fils et ses filles qui ont fait sa renommée de par le monde». comme Mohammed Arkoun qui a eu droit à un privilège d'enseigner dans d'illustres universités écossaises auquel n'ont droit que de rares universitaires francophones comme Reymond Aron, Bergson, Gabriel Marcel. Parlant de la dimension humaniste, de l'érudition du professeur Arkoun, G. Benchikh rappellera combien il est utile pour nous autres, contemporains, «de renouer avec l'humanisme dont Mohammed Arkoun était l'incarnation et le parangon, surtout en ces temps d'une morosité scabreuse du monde dans lequel nous vivons qui connaît partout des fractures, des blessures et des césures avec le piétinement du droit et de l'écrasement éthique», insistera le président de la Fondation de l'islam de France qui s'est attelé à montrer la quintessence de la pensée «subversive» qui a pris sur lui de dépoussiérer la pensée religieuse islamique «qui se trouve dans les basses eaux du débat, atteinte de plusieurs maux, sclérosée», dira Ghalib Benchikh qui témoignera de l'engagement, des audaces théologiques du penseur et de l'intellectuel qu'était Arkoun qui «n'hésitait pas à descendre dans la fosse aux lions, à affronter les ignares et les hommes incultes», étant convaincu que «la pensée religieuse islamique doit guérir». S. A. M.