Le Président sud-africain Cyril Ramaphosa prononce jeudi son discours annuel sur l'état de la Nation dans un climat rendu électrique par l'approche des élections de mai et les scandales de corruption qui continuent à éclabousser son parti. Il y a un an, M. Ramaphosa avait profité de sa première grande allocution devant le Parlement pour annoncer un «nouveau départ» à son pays, quelques jours après la démission de son encombrant prédécesseur Jacob Zuma. Les promesses du nouveau chef de l'Etat sur la relance de l'économie et la fin de la corruption avaient alors été saluées sur tous les bancs, une première depuis des années alors que les allocutions de M. Zuma donnaient souvent lieu à des scènes de chaos dans l'hémicycle. Mais faute de résultats tangibles, la deuxième prestation de M. Ramaphosa devant les députés s'annonce moins consensuelle. Malgré d'ambitieux plans de mobilisation, l'économie sud-africaine continue à patiner — 1,8% de croissance anticipé pour 2018 — et le chômage reste endémique — taux officiel de 27,5% (6,2 millions de personnes) mais près de 10 millions de sans-emploi selon les syndicats. Le bilan de M. Ramaphosa s'annonce tout aussi mitigé dans la guerre engagée contre la «capture de l'Etat». Si le chef de l'Etat a remercié quelques-uns des ministres et des patrons d'entreprises publiques les plus sulfureux de l'ère Zuma, son parti, le Congrès national africain (ANC), ne parvient pas à se défaire des scandales de corruption. Ces dernières semaines, des dirigeants repentis de l'entreprise privée de sécurité Bosasa ont livré à une commission d'enquête des témoignages accablants sur les pots-de-vin versés à une ribambelle de ministres, élus et hauts fonctionnaires, tous proches de l'ANC et encore aux manettes. Embarrassant. Dernier développement cinq personnes, dont d'anciens responsables de Bosasa et des services pénitentiaires, ont été arrêtées mercredi pour détournement de 105 millions d'euros. Pire, M. Ramaphosa a été lui-même contraint de reconnaître qu'il avait reçu une contribution électorale de Bosasa. Le président a fait mine de s'accommoder de toute cette boue. «La vérité qui éclate va nous libérer et nous rendre plus forts», a-t-il déclaré samedi en campagne, «nous devons faire en sorte que tout ça ne se reproduise plus jamais». A trois mois des élections générales, l'opposition a profité de ces révélations pour essayer d'engranger des voix. «La corruption est dans les gènes de l'ANC», a souligné le chef de l'Alliance démocratique (DA), Mmusi Maimane, «le président doit agir, et agir vite». Son collègue de la gauche radicale Julius Malema a accusé le chef de l'Etat de mentir sur ses liens avec Bosasa. Si le président ne s'explique pas, lui et ses députés perturberont le discours de M. Ramaphosa au Parlement, comme ils l'ont fait avec son prédécesseur. «Si Cyril croit pouvoir faire ce que Zuma faisait au Parlement, on le traitera de la même façon», a-t-il menacé. Dans le collimateur de ses adversaires, le président se fait aussi observé de près à l'étranger. La presse vient de publier une note signée de cinq pays, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, lui recommandant un engagement «sans faille» contre la corruption, faute de quoi «aucun investisseur ne s'aventurera en Afrique du Sud». Ils s'inquiètent notamment de son projet controversé de réforme foncière. Ce texte autorise les expropriations sans indemnisation de terres agricoles — détenues aux trois-quarts par la minorité blanche — au profit de la majorité noire pour «réparer les injustices de l'apartheid». Sur le front économique, M. Ramaphosa est attendu sur la remise en état des entreprises publiques, percluses de dettes pour cause de mauvaise gestion et de malversations. «Ces entreprises d'Etat sont cruciales pour l'économie», a jugé l'analyste Judith February, «Ramaphosa doit expliquer comment il va les laver de la corruption et les remettre sur les rails». Le chef de l'Etat pourrait ainsi détailler devant les députés son plan de sauvetage d'Eskom, le géant public de l'électricité, qui affiche une dette abyssale de 419 milliards de rands (plus de 27 milliards d'euros). En matière d'emplois aussi, l'impatience gronde. Allié historique de l'ANC, la principale centrale syndicale du pays (Cosatu) a annoncé une grève nationale le 13 février avec un mot d'ordre simple: «pas de licenciements, des emplois pour tous». Dans un éditorial au vitriol dans le journal Business Week, l'analyste Duma Gqubule a renvoyé les initiatives de M. Ramaphosa au rang de «sparadraps et de gadgets». Malgré toutes ces difficultés, l'ANC, au pouvoir depuis la fin du régime de l'apartheid en 1994, et son chef Ramaphosa restent largement favoris du scrutin à venir.