En entrant de plain-pied dans le cours des événements qui secouent le pays depuis six semaines maintenant, le chef d'état-major de l'armée n'a finalement fait qu'alimenter le débat, surtout en allant dans le sens inverse de celui que veulent lui faire prendre les millions de manifestants qui, par ailleurs, le lui ont bien fait entendre ce dernier vendredi en sortant plus nombreux encore dans les rues du pays avec des slogans bien ciblés. La nuance était de taille lors des manifestations de vendredi : les Algériens ont bien pris la précaution de s'adresser à la personne d'Ahmed Gaïd Salah et non pas à l'institution. On voit mal, en effet, comment les millions de citoyens sortis accomplir le désormais rituel du vendredi auraient pu réclamer le départ de l'institution en lieu et place de son chef d'état-major qui, il est vrai, donne l'impression au fil de ces derniers jours d'avoir troqué son treillis pour l'habit du personnage politique. C'est ce que suggèrent clairement ces mêmes millions d'Algériens qui arpentent les rues du pays depuis six semaines pour exiger le départ de tous les personnages qui font le système. Ainsi, pour ces protestataires qui brandissaient leurs pancartes chargées de messages le plus souvent clairement destinés à Gaïd Salah, le général de corps d'armée s'est mué en homme politique, du premier rang qui plus est, d'abord avec sa proposition d'actionner l'article 102 de la Constitution, puis au regard de toute cette attention particulière que lui accordent les médias du secteur public, la télévision nationale notamment et d'autres canaux encore, jusqu'à éclipser, du moins lors de l'acte VI des manifestations, le sujet principal contre lequel le mouvement populaire s'est mis en branle, le président de la République en personne. On ne sait, du coup, si c'est par mégarde ou bien de façon calculée que le vice-ministre de la Défense nationale a pris son nouveau rôle et, en conséquence, se retrouver comme un élément de la crise. Une interrogation née, par ailleurs, dès les premières analyses de spécialistes en droit constitutionnel qui n'ont pas manqué de relever l'incongruité de l'appel de Gaïd Salah à l'application de l'article devant permettre l'empêchement du président de la République. En effet, la montée au créneau de Gaïd Salah, à travers son discours où il évoquait l'application de l'article 102, avait et a toujours de quoi interpeller du fait déjà de sa qualité, lui le chef d'état-major de l'armée dont les missions sont en principe exclusivement orientées sur les questions liées à l'organisation et à assurer «l'Etat prêt», comme on le définit dans le langage de l'ANP, de l'armée nationale dans toutes ses composantes. C'est d'ailleurs à ce titre, et afin de lui dresser un état des lieux sur la question sécuritaire, qu'il a été reçu par le président de la République dès son retour de Suisse. Et puis, cette incursion dans le champ politique de la part du chef d'état-major de l'armée a de quoi troubler par le fait qu'en sa qualité de vice-ministre d'un gouvernement auquel il a été signifié sa fin de mission, il devrait en principe comme les autres ministres du gouvernement Ouyahia s'employer à gérer les affaires courantes. En tous les cas, après avoir observé la situation cinq semaines durant, Ahmed Gaïd Salah a au moins le mérite d'avoir intégré dans le débat national, certes de façon totalement inattendue, le sujet de l'ANP dans la République, encore tabou chez certains. Azedine Maktour