L'intrusion de l'institution militaire dans la vie politique nationale, en violation des dispositions constitutionnelles consacrant la neutralité de l'armée, pose de manière cruciale la problématique de la prise de décision au sein de la hiérarchie militaire. La lettre de soutien du chef d'état-major, le général-major Gaïd Salah, adressée au secrétaire général du FLN, Amar Saadani, engage l'ANP en tant qu'institution de la République. Le contenu de la lettre, notamment la partie où sont rappelées les missions régaliennes de défense nationale de l'ANP, indique clairement que le vice-ministre de la Défense nationale s'est exprimé au nom de l'armée. Gaïd Salah a-t-il été instruit pour agir sur un terrain découvert aussi hostile, tout en sachant le tollé que son initiative allait soulever dans les rangs de l'opposition ? Pour cette dernière, le chef d'état-major est bel et bien en opération de reconnaissance du terrain pour le compte du clan présidentiel en prévision de la succession, qui semble avoir été sérieusement amorcée, si l'on se fie à l'accélération des événements ayant marqué la vie nationale ces dernières semaines. En tout état de cause, en attendant de savoir ce que cache cette nouvelle carte des militaires qui a brouillé un peu plus le jeu politique déjà confus, l'offensive de Gaïd Salah renseigne au moins sur une chose, à savoir que l'Algérie est encore loin de vivre sous un régime civil comme le proclame le discours officiel. L'élection d'un président civil n'est pas forcément gage de démilitarisation du pouvoir. Officiellement et constitutionnellement éloignée de la vie politique, l'armée fournit, en tout cas, avec la caution apportée au FLN, une nouvelle preuve, après son soutien au quatrième mandat, qu'elle demeure toujours le cœur battant, la source et le bouclier du pouvoir. Beaucoup semblent s'étonner et découvrir cette posture de l'armée en costume-cravate civil. Ce genre de dérive et d'instrumentalisation de l'institution militaire par le pouvoir politique s'inscrit dans la nature même du système politique algérien, fortement présidentialiste. Il faut revenir, en effet, à la structuration du pouvoir pour comprendre que le rôle et les missions de l'armée ne sont pas définis que par des règles écrites consignées dans la Loi fondamentale. Les rapports entre le politique et le militaire, en Algérie, sont également régis par des codes secrets qui imprègnent la décision politique. Quand le président de la République cumule les fonctions de chef suprême des forces armées et de ministre de la Défense nationale, faut-il s'étonner que l'état-major de l'armée et son chef lui soient totalement soumis ? Non, pas tant seulement sur les questions spécifiques et légales de défense, mais aussi pour des positions et des «coups tordus» qui sortent du cadre de ses missions constitutionnelles. Cette configuration hybride – civile et militaire – du pouvoir a dévoyé le rôle de l'armée. L'ANP est devenue otage de contingences politiques, malgré elle ou avec le consentement de la hiérarchie militaire, qui se voit impliquée en tant qu'acteur de premier plan dans des luttes de pouvoir.