Plus que jamais déterminé, le peuple refuse de céder. Ni de plier. Au 11e vendredi de mobilisation nationale contre le système politique, les millions d'Algériens étaient au rendez-vous. Le message ne souffre aucune ambiguïté : la révolution ne sera pas abandonnée au milieu du chemin. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Dans la capitale, comme partout ailleurs, les marches étaient imposantes. Comme chaque vendredi. Des marées humaines ont afflué vers le centre d'Alger, alors que la Grande-Poste était noire de monde dès la matinée. Les manifestants ont d'abord voulu passer un message à ceux qui ont tenté de diviser le peuple avec différentes manœuvres mais qui ont échoué, marquant peut-être la fin de la politique de diviser pour régner appliquée par le pouvoir depuis l'indépendance. « Il n'y a pas de racisme, nous sommes tous des frères », « les Algériens, tous des frères », ont-ils scandé à tue-tête. L'unité du peuple est affirmée de plus belle manière, face au système qui manœuvre, planifie, complote et manigance pour assurer son maintien ou du moins son recyclage. Une fois cette unité confirmée, les manifestants ont réitéré les slogans habituels tels que « Vous avez dévoré le pays, espèce de voleurs », « Nous sommes une République et non une monarchie », « On est venu démanteler la bande », etc. Mais une grande partie des slogans et des pancartes s'adressait au chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, qui est devenu l'interlocuteur du peuple alors que le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, et le Premier ministre, Noureddine Bedoui, se sont effacés. Même les slogans qui consistent à leur demander de « dégager » sont de moins en moins entonnés. On préfère donc s'adresser directement à l'armée qui est devenue le seul pouvoir, preuve en est, les discours de Gaïd Salah sont attendus comme si on attendait les discours d'un Président. Et depuis le début jusqu'à la fin de la marche, le chef de l'armée était la cible des manifestants, estimant que ce dernier nourrit un double langage, alternant soutien au peuple et protection de la bande maffieuse au pouvoir. « Le peuple ne veut ni Gaïd Salah ni Saïd Bouteflika », ont lancé d'une seule voie les marrées humaines, demandant au vice-ministre de la Défense nationale de partir lui aussi. En plus des slogans lancés à gorge déployée, le chef de l'armée est également interpellé sur des pancartes et des banderoles. « Où sont les articles 7 et 8, ô protecteur de la bande? On a dit tous, c'est qu'ils partent tous », lit-on sur une banderole. « La ruse est de permettre les ruses. M. Gaïd Salah, ne trompe pas le peuple algérien avec les discours lénifiants, et vous soutenez la bande et la corruption », lit-on sur une autre alors que sur d'autres encore, on pouvait lire : « On veut une République civile et non militaire .» Les manifestants ont exprimé également de vive voix leur rejet de la voie constitutionnelle pour sortir de la crise et l'élection du 4 juillet. Un seul slogan a traduit ce rejet massif : « Y aura pas d'élection, espèce de bandes .» Ce mot d'ordre a été entendu partout à Alger, du début de la manifestation à 9h du matin jusqu'à sa fin. Le peuple a aussi exprimé son rejet du dialogue auquel le chef d'état-major de l'ANP avait appelé la semaine passée, affirmant qu'aucun dialogue ne sera accepté tant que les figures du régime ne sont pas « dégagées ». Les manifestants ont demandé, en outre, l'emprisonnement des membres de la bande, surtout Saïd Bouteflika et Ahmed Ouyahia. « Juges, qu'attendez-vous pour les mettre derrière les barreaux ?», lit-on sur une banderole. Il faut dire que jusqu'à présent, aucun homme politique n'est mis en prison. Seuls quelques hommes d'affaires sont emprisonnés alors que ceux qui leur ont assuré la couverture politique sont toujours libres. Les manifestations d'hier ne sont pas sorties de leur cadre pacifique. Ainsi, les Algériens sont en train d'administrer une leçon magistrale au monde à travers le pacifisme exceptionnel de ces marches. Il est demandé au régime contesté de ne pas donner le contre-exemple et de se comporter de manière civilisée, et non comme les Kadhafi, Assad et Saleh qui ont provoqué la destruction de leurs pays. Quand tout un peuple se soulève pacifiquement et massivement, le minimum de dignité exige que les décideurs décriés quittent la scène sans chercher le pourrissement. K. A.