Kamel-Eddine Fekhar est mort à l'hôpital de Blida. Mourir dans un hôpital est une banalité mais le militant des droits de l'Homme de Ghardaïa est mort en prison. C'est de sa geôle qu'il a été évacué dans un état désespéré. Manifestement, il n'a été évacué justement que parce que son état était… désespéré. Parce que ça fait des mois que l'alerte a été donnée sur sa situation. Si on avait un quelconque souci pour sa santé, puis carrément pour sa vie, on l'aurait donc fait depuis un moment déjà. Nous ne sommes pas au pays des droits de l'Homme et Monsieur Fekhar est un militant des droits de l'Homme. Si on avait ce genre de préoccupations, on aurait peut-être commencé par ne pas le… mettre en prison. On ne va pas nous sortir encore d'autres délits infamants comme l'incitation à la violence ou quelque joyeuseté du genre. Ils l'ont tué une fois, vont-ils oser le faire une seconde fois, plus douloureuse et plus périlleuse pour son pays assis sur un brasier et sa région en persistante convalescence ? Kamel-Eddine Fekhar était un détenu d'opinion. En 2019, il ne devrait pas y avoir de prisonniers d'opinion. Il y en a encore. Un jeune de Mascara est toujours en prison. Pour avoir protesté, pour avoir fait preuve d'une courageuse irrévérence envers Bouteflika. Triple délit : Hadj Ghermoul est militant des droits de l'Homme, il défend les chômeurs et il est lui-même… chômeur ! Mais ce qui l'a « coulé », c'est son refus public d'un… cinquième mandat pour Bouteflika. Il aurait pu attendre le 22 février, il a été coffré en janvier. Six mois de prison ferme et 30 000 dinars d'amende en première instance. La peine est confirmée en appel au… troisième vendredi du sursaut populaire pour la dignité. Révolution ou pas, l'Algérie n'est pas un pays des droits de l'Homme. Ni celle des chômeurs, d'ailleurs. Il n'y a ni délit d'opinion ni chômeurs au pays de Fekhar et de Ghermoul. Il n'y a que des enflammés qui appellent à la violence et des voyous qui se soulent avant de s'attaquer aux policiers (les chefs d'inculpation retenus contre Ghermoul sont ivresse publique et atteinte à corps constitué). Le pays entier est dans la rue depuis trois mois. La libération de Fekhar et Ghermoul devenaient la moindre des choses. Mieux, un geste fort. Désillusion. Non seulement on les a gardés en prison mais on a poussé plus loin. En confirmant une peine en plein tsunami et, plus grave, en laissant mourir un homme qui pouvait être sauvé. C'est peut-être le moment de remettre les pieds sur terre : qu'est-ce qui a bien pu changer depuis le 22 février pour qu'on se surprenne ainsi à attendre des gestes auxquels le pouvoir n'a jamais pensé ? Kamel-Eddine Fekhar est mort en prison et Hadj Ghermoul est toujours en prison. Pour un état des lieux, on n'a peut-être pas besoin d'aller plus loin. S. L.