Un homme qui n'a ni volé, ni frappé autrui, ni tué, ni commis un quelconque acte répréhensible, se retrouve en prison pour ses idées, pour des paroles prononcées en tant que citoyen libre d'un pays qu'il pensait libre. Nous ne sommes ni en Corée du Nord, ni en Arabie Saoudite, mais bel et bien en Algérie, dans cette contrée qui se révolte massivement contre l'injustice et l'oppression d'un pouvoir totalement déphasé par rapport aux exigences du siècle ! Face à l'injustice criante, cet homme n'avait qu'un moyen de se défendre et d'attirer l'attention du monde extérieur : la grève de la faim. Il en sortit très affaibli. C'est un prisonnier sans ressources physiques et brisé qui fut évacué de la prison vers l'hôpital de Ghardaïa. Et pour tout homme souffrant, le droit le plus élémentaire est d'être soigné convenablement. N'étant pas libre de ses mouvements, la responsabilité de lui prodiguer ces soins incombait à l'administration pénitentiaire et hospitalière de Ghardaïa. Jeté dans une salle de soins «sale» selon maître Salah Dabouz, son avocat, son état de santé continua à dépérir. A plusieurs reprises, ce dernier nous lançait des appels pour le secourir, parler de son épreuve, écrire sur son calvaire. Il nous suppliait presque d'évoquer les souffrances de cet homme dont les enfants attendaient la libération pour l'Aïd. Nous n'avons rien fait. Nous avons été, encore une fois, d'une lâcheté exemplaire, et cela me rappelle notre silence coupable dans un autre drame, lui aussi survenu dans une prison algérienne, lui aussi consécutif à une grève de la faim, celui de feu Mohamed Talmat, rentré au pays malgré les avertissements de tous ses proches et amis. Non, se disait-il, ça n'arrivera pas, nous sommes en 2016, dans un pays se trouvant à une heure de vol de l'Europe. Il fut incarcéré pour ses écrits et rendit l'âme loin de Londres où il respirait la liberté, loin de sa maman qui habitait à quelques kilomètres de la prison et qui n'avait que ses larmes et ses prières pour se rappeler son fils chéri. La veille encore de la mort de Fekhar, très exactement le 27 mai 2019, maître Salah Dabouz tirait la sonnette d'alarme dans un entretien au HuffPostMaghreb. Il était particulièrement inquiet quant à la détérioration de son état de santé. Il s'est dit «choqué par le traitement réservé par l'administration carcérale». Il reproche aux médecins «de ne pas communiquer avec Fekhar et Aouf Hadj Brahim» et au paramédical de «ne pas être régulier lors de leur prise en charge.» Mais, il est une attitude des gardiens chargés de la surveillance des prisonniers qui choque encore plus. Réécoutons Maître Dabouz : «L'autre point est l'attitude des gardiens quand ils veulent faire appel à un médecin ou un infirmier pour une urgence. On leur répond qu'ils ne sont pas là pour les servir mais pour les garder. Et quand ils acceptent de le faire, le médecin ne vient que 2 ou 3 heures plus tard» (interview du 27 mai 2019 à consulter dans : https://www.huffpostmaghreb.com). Après tous ces déboires, l'irréparable est arrivé ! Fekhar a été évacué en retard vers l'hôpital Frantz-Fanon de Blida. Une meilleure et plus rapide prise en charge lui aurait certainement permis de survivre à cette épreuve mais, hélas, l'inhumanité de nos prisons et hôpitaux en a décidé autrement. Nous sommes abasourdis par cette nouvelle. Et nous le disons, non pas en tant que militants de la cause défendue par Fekhar et qui aura causé sa mort, mais simplement en tant qu'êtres humains. Même quand on a tout perdu, il reste cette part d'humanité en nous qui refuse de se soumettre à la barbarie d'une injustice élevée au rang de système de gouvernance. L'incarcération de Kamel-Eddine date des dernières heures du pouvoir de Bouteflika, plus exactement du 31 mars 2019, deux jours avant sa démission, et c'est sa bande et son ministre de la Justice qui en portent la responsabilité mais le nouveau pouvoir aurait dû le libérer pour qu'on mette fin, enfin et pour de bon, à ces ridicules arrestations de blogueurs et de voix libres sur internet! Nous sommes brisés par cette nouvelle parce qu'elle met un terme à une belle vie de lutte pour des idées nobles et une longue mobilisation au service des droits élémentaires de l'être humain. Cette vie et cette mobilisation sont le propre des grands hommes qui n'hésitent pas à se sacrifier pour un idéal, loin de la foule des coureurs de milliards, cette meute de laudateurs invétérés qui n'ont pas hésité à adorer un cadre en bois dans leur culte de la personnalité maladif et leur désir malsain de s'enrichir rapidement sur le dos d'une activité politique pervertie. Dans ce monde laid et sale où les hommes oublient d'être dignes et se courbent devant les puissants, récoltant quelques miettes des fortunes dont on découvre aujourd'hui qu'elles furent mal acquises, il est malheureux que ce soient les plus sincères, les plus courageux, les plus engagés qui partent alors que la mauvaise graine reste. Et cette mauvaise graine est devant nous : écoutez ces politiques qui n'hésitaient pas à comparer Bouteflika à un prophète et à lui lécher presque les pieds, lisez ces journalistes qui nous insultaient presque quand nous disions quelques vérités sur le catastrophique règne de leur maître et ses voyous oligarchiques : les voilà qui reprennent nos phrases et notre style d'hier pour brocarder leur ancien maître ! Ils sont toujours aux premières loges, ils n'ont aucun regret, rien ! Ils offrent déjà leurs services aux puissants du moment. Fekhar a été incarcéré le 31 mars, c'est-à-dire après une semaine du début du Hirak. De sa prison, il devait entendre les clameurs de la foule mozabite qui, à l'instar des 48 wilayas, sillonnait les artères de la ville pour joindre ses voix à celles de tout le peuple, dans un même élan vers la liberté et la dignité. Il devait penser que les choses ne seraient plus comme avant, que la folie des juges qui envoient en prison les activistes sera stoppée, que plus jamais la police ne viendra l'arracher aux siens mais, quand aucun messager n'est venu apporter la bonne nouvelle et que les portes de la prison se sont encore refermées sur la sinistre geôle, il a dû se rendre compte que la révolution oubliait parfois ses hommes les plus fidèles, les plus obstinés à la faire avancer, ces éclaireurs qui, dans la nuit noire, agitaient leurs flambeaux pour montrer le chemin de la survie ; ces phares étincelants qui, dans les mers agitées et les houles désespérantes, indiquaient la bonne route ! Si Fekhar a été «oublié» dans sa cellule, comme beaucoup d'autres, cela ne veut-il pas dire quelque part que rien n'a changé en réalité? Alors, dites-moi, chers amis, est-on sorti du règne de l'arbitraire et de l'iniquité ou est-ce que nous faisons du bruit pour rien ? On ne peut rester comme ça à user les souliers chaque vendredi pour une liberté et une dignité qui, dans les faits, sont inexistantes. Le sens de la bataille est là et pas ailleurs : si l'essentiel ne change pas, nous aurions couru pour des chimères. Et que dire alors de ces «interdictions» en série qui renforcent notre conviction que, contrairement à ce qui se dit, les espaces de liberté sont en train de se rétrécir ? Et je ne parle pas seulement des bouts de rues «autorisées» aux manifestations à Alger mais de faits très graves qui concernent des décisions prises par certains walis. Au lieu de s'estimer heureux d'avoir échappé au sort de leurs maîtres qui les humiliaient quotidiennement par des comportements d'empereurs mégalomanes, les voilà qui reviennent à leurs mauvaises habitudes ! On attendait d'eux qu'ils agissent dans le sens de l'Histoire en accompagnent la révolution citoyenne, et on les aurait félicités pour cet acte de courage, mais les voilà qui interdisent des... conférences et des iftars ! A M'sila, où s'était déplacé M. Benbitour pour tenir une conférence à l'université de la ville, l'événement fut tout simplement annulé par les autorités. Mais de quel changement parlons-nous ? En agissant ainsi, ce wali nous rappelle les pires moments de la répression des idées ! A Annaba, un iftar collectif a été annulé pour la simple raison que M. Bouchachi, invité de la société civile locale, y assistait. Certes, ce dernier a pu prendre le micro dans la soirée, mais le mal a été fait. Qui a peur de MM. Benbitour et Bouchachi ? Ces messieurs qui signent des arrêts d'interdiction savent-ils qu'aux Etats-Unis, une université californienne a organisé un débat sur le Hirak algérien ? Savent-ils qu'un engin spatial de la NASA va voler durant de longs mois vers la lointaine planète Mars, sous le nom de «Hirak Algeria», à l'initiative d'un savant de chez nous que l'irresponsabilité et l'incurie de la bande ont fait fuir de son pays ? Un débat dans un milieu universitaire c'est d'abord un débat académique ! Le savaient-ils, eux que le mot politique fait frissonner ? M. F.