Enfin, mieux vaut tard que jamais, l'évènement, c'est l'appel lancé mardi par les forces démocratiques et progressistes pour une alternative démocratique. Elles ont mis de côté leurs divergences. Elles n'avaient pas le choix. Car au train où ça allait – de nombreux Algériens commençaient à désespérer – on se dirigeait tout droit vers une mainmise réactionnaire sur le mouvement de protestation né le 22 février et, partant, à vider de leur contenu démocratique et moderniste les revendications citoyennes. Les progressistes et les démocrates, en effet, s'en allaient au front en ordre dispersé, peinant à faire entendre une voie unie et forte, alors qu'ils sont bien présents et actifs dans le mouvement populaire. Et certains d'entre eux s'illusionnaient sur une possible conversion des islamistes à la démocratie, à la liberté d'expression et de conscience, tandis que d'autres étaient tentés par un nouveau compagnonnage – un Sant'Egidio revisité et relooké - et, parce qu'en face, les islamo-conservateurs tissaient progressivement leur stratégie d'accaparement du mouvement populaire et s'enhardissaient de plus en plus au point d'imprimer leurs marques sur la feuille de route de la « société civile »(1), les progressistes et démocrates se devaient de réagir. C'est une première étape. Depuis le 7 mai en effet, on a assisté à une irruption soudaine de mots d'ordre d'inspiration religieuse – «badissionne novembriounne», «république baddissia novembria» qui passe mieux que « doula islamiya » alors qu'il s'agit de deux faces d'une même médaille islamiste … - supplantant le slogan « djazaïr hourra démocratia», avec brandis dans les manifestations étudiantes du mardi, puis le vendredi, des portraits de Ben Badis et de Taleb Ibrahimi, ce dernier présenté comme un « sage », un homme consensuel d'une possible transition. C'est quand même incroyable. Ce sont bien les mosquées officielles et salafistes, relayées par les TV privées et leurs imams cathodiques qui avaient fait campagne pour dissuader les Algériens de sortir contre le 5e mandat le 22 février. On l'a oublié ? Avant de poursuivre, un petit rappel sur les «badissioune» s'impose. D'abord Ben Badis et les Oulémas n'ont jamais été pour l'indépendance de l'Algérie. Ben Badis était pour un statut d'autonomie de l'Algérie dans le cadre de l'Union française, autrement dit on n'invente rien, il était pour l'Algérie française. Les Oulémas n'ont rejoint le FLN/ALN qu'en 1956. Une fois le fruit mûr. Pas avant. Enfin, a-t-on oublié que c'est le chantre de l'islamisme algérien et dirigeant des Oulémas, Abdelatif Soltani (mort en 1984), jamais inquiété par le colonialisme ni arrêté – il a vécu tranquillement dans le quartier du Ruisseau durant toute la guerre d'indépendance nationale – qui avait décrété que les combattants de l'ALN ne méritaient pas la qualification de moudjahid parce qu'ils se sont battus pour l'indépendance nationale et non pour l'islam ! Si on en est arrivé à cette situation de mensonges sur le 1er Novembre 1954 et de récupération du mouvement citoyen par les islamistes, c'est parce que les régimes précédents – ceux de Chadli Bendjedid et Bouteflika après l'intermède de Mohamed Boudiaf, fondateur du FLN, qui, lui, avait révélé sur la télé algérienne, avant d'être président du HCE, ce qu'a été le rôle exact des Oulémas, ont laissé faire les islamistes, puis les ex-Fisistes, en leur livrant la société pieds et mains liés. Sous le régime de Bouteflika, culture de l'oubli aidant grâce à la « réconciliation nationale », les ex-FIS et les salafo-wahhabites ont confisqué l'emblème national qu'ils ne reconnaissaient pas en 1989-91. A l'époque, les islamistes brandissaient l'emblème saoudien dans leurs marches. Ils rejetaient l'idée de nation et le nationalisme parce que contraire à la notion d'Oumma islamiya. Jamais Abassi Madani ni Ali Benhadj n'ont eu le mot nation à la bouche. Comme il a laissé faire, à l'instar des régimes précédents, que l'identité algérienne soit enfermée dans une identité exclusivement arabe et religieuse, synonyme d'arabité. Les Algériens continuent d'être perçus sous l'angle du marqueur arabo-religieux. Et comme si cela ne suffisait pas, l'épreuve d'arabe du bac sciences, un texte de Fodhil el Ouarthilani, n'est rien d'autre qu'une remise en cause de l'identité algérienne. Cette histoire-là, ces vérités historiques, n'ont jamais été enseignées à nos enfants. Sinon personne n'aurait évoqué la « république badissia » comme alternative. H. Z. (1) En attestent le retrait de cinq associations féministes, dont Djazaïrouna, Rafd, qui se sont retirées de cette « conférence de la société civile ».