Entretien réalisé par Karim Aimeur Dans cet entretien, Hakim Belahcel, premier secrétaire du FFS, évoque la situation politique du pays et le mouvement populaire contre le système. Il déplore la perte de temps pour solutionner la crise, affirmant que ce temps crucial que les décideurs actuels souhaitent exploiter à leur profit pour se ressaisir et reprendre les choses en main est malheureusement un temps perdu pour l'avenir du pays. Il appelle les tenants du pouvoir réel à prendre conscience de l'urgence de l'heure et se décider à s'inscrire dans le vrai sens de la révolution et à accompagner le peuple vers la reconquête de sa dignité et sa liberté. Le Soir d'Algérie : Des partis de la mouvance démocratique se sont réunis pour la première fois autour de la situation exceptionnelle du pays. Ils vont se réunir encore ce mercredi. Comment qualifiez-vous cette initiative exclusivement entre les démocrates? Hakim Belahcel : Au-delà de son caractère inédit et de l'impact positif qu'il a pu imprimer sur la scène médiatique et politique en un temps record, cette initiative se propose d'être un fidèle prolongement des légitimes aspirations du peuple algérien. Son formidable soulèvement pacifique et les grands sacrifices consentis pendant plus de quatre mois, contre vents et marées, ont réussi à briser non seulement la forteresse d'un régime totalitaire mais aussi à faire bouger les lignes longtemps figées au sein de la classe politique nationale et à l'intérieur des organisations représentant la société civile. Evidemment, lorsque nous évoquons ces évolutions positives au sein des formations politiques de l'opposition, il ne s'agit nullement pour ces formations de renoncer à leur diversité idéologique ou à leur sensibilité politique. Au FFS, nous sommes toujours fidèles à la ligne politique et aux principes fondateurs qui furent façonnés magistralement durant des décennies grâce aux sacrifices et aux efforts de plusieurs générations de valeureux militants et à leur tête notre guide éternel, feu Hocine Aït Ahmed. La situation politique très préoccupante de notre pays exige de nous tous d'autres engagements. La grande marche de notre peuple vers son autodétermination et la démocratie méritent naturellement une adhésion active et courageuse des forces démocratiques. C'est le sens profond de notre démarche commune aujourd'hui. Au moment où le système obsolète tente de neutraliser cette insurrection populaire par l'instrumentalisation et la répression sous toutes ses formes, sécuritaire, médiatique et juridique, ou par le recours à des offres de dialogue factices, les forces de l'alternative démocratiques s'organisent sur le terrain et convergent sur le plan politique pour maintenir l'espoir, revigorer ce sursaut populaire et contribuer à renforcer sa dimension nationale, régionale et internationale. Pourquoi, à votre avis, la transition démocratique est devenue une nécessité au moment où le pouvoir tient à l'élection présidentielle ? La crise politique multidimensionnelle qui paralyse notre pays depuis des décennies, résultat de la multiplication de coups de force électoraux, de pratiques économiques mafieuses, et de clientélisme rentier, de reniements identitaires, d'entraves à l'exercice politique et aux libertés d'association et d'expression, d'atteintes récurrentes aux droits de l'Homme ne peut en aucun cas être résorbée par de pseudo-réformes politiciennes. Ni a fortiori, par une offre d'un faux dialogue à travers lequel les tenants du pouvoir espèrent gagner du temps et prolonger ainsi la vie du même système autoritaire qui a généré l'impasse politique actuelle. La situation est grave. La complexité des retombées de plusieurs décennies de mauvaise gestion dans tous les domaines, qui ont détruit l'économie nationale et ses ressorts, fragilisé le tissu social et hypothéqué la souveraineté nationale, nécessite une issue politique concertée et consensuelle. C'est là où intervient la nécessité d'engager un processus effectif de transition démocratique qui jettera les bases d'une nouvelle République, tel que revendiqué par la quasi-majorité du peuple algérien. Le principe de remettre la légitimité citoyenne au cœur de toutes les projections et de toutes les décisions politiques fait peur aux défenseurs de la stagnation politique et aux rentiers de la dictature. Pourquoi redouter l'émergence d'une nouvelle dynamique politique qui garantira la participation du peuple algérien dans une entreprise historique qui édifiera un Etat de droit et œuvrera à son essor économique et social ? Cette transition démocratique a-t-elle des préalables, sachant que lors des manifestations, les Algériens exigent le départ de Bensalah et Bedoui avant d'envisager toute solution à la crise ? Depuis le début du soulèvement pacifique, le peuple algérien a été intransigeant sur deux revendications essentielles et préalables à toute solution politique de la crise. D'abord, le changement radical du régime qui doit se traduire par le départ de toute la mafia politico-financière qui a gangrené notre pays depuis des décennies et qui a produit l'impasse politique actuelle, le renvoi des symboles de ce régime autoritaire qui continuent à jouer le rôle de façades politiques à l'image de l'actuel chef de l'Etat, du Premier ministre et des présidents des deux Chambres parlementaires et la dissolution de ces béquilles illégitimes d'un pouvoir contesté. Puis l'amorce d'une alternative démocratique qui consacrera la légitimité populaire par le biais d'un processus constituant. Cette démarche consensuelle débouchera inévitablement sur l'avènement de la deuxième République. Aucune transition ou autre issue politique n'est viable en dehors de ces exigences révolutionnaires. On ne peut pas et on ne veut pas reconduire ceux qui ont conduit notre pays à la faillite généralisée. C'est plus qu'une aberration, c'est une provocation. Pourquoi, à votre avis, le pouvoir refuse de répondre à ces revendications ? Ce qui est certain aujourd'hui est que le pouvoir réel dans le pays refuse de donner suite aux incessantes demandes populaires. Contrairement à ses assurances au début de la révolution, à travers lesquelles il s'est engagé ouvertement à soutenir le peuple algérien dans sa révolte et à l'aider à instaurer un véritable changement du système politique, nous constatons malheureusement, à la lumière des derniers évènements, que ce pouvoir joue la montre et travaille à contre-courant de ses promesses. En plus du dispositif répressif qu'il a déployé depuis plusieurs semaines maintenant, dans l'espoir d'éradiquer ce soulèvement populaire et le réduire à sa plus simple expression, il s'obstine, au même moment, à imposer sa propre feuille de route politique qui consiste à organiser, advienne que pourra, une élection présidentielle dans les plus brefs délais. Le FFS a eu à dénoncer à plusieurs reprises ce chantage contre la volonté populaire qui rejette catégoriquement les simulacres électoraux visant à régénérer la matrice de l'ancien régime à travers une alternance clanique. Le FFS a également dévoilé et déjoué les manœuvres des tenants du pouvoir qui parle d'un dialogue sérieux et responsable tout en verrouillant son déroulement, sa composante et ses résultats. Une énième duperie qui n'a pas échappé aux formations politiques, aux organismes sociaux et aux personnalités nationales autonomes. En réalité, ce temps crucial que les décideurs actuels souhaitent exploiter à leur profit pour se ressaisir et reprendre les choses en main est malheureusement un temps perdu pour l'avenir de l'Algérie et de ses enfants. Car, nous sommes confrontés à de nombreux défis, politique, économique et sécuritaire. C'est la souveraineté même du pays qui est aujourd'hui menacée dans un environnement régional et mondial dangereux et incertain. Nous espérons que les tenants du pouvoir réel dans ce pays prendront conscience de l'urgence de l'heure et se décident enfin à s'inscrire dans le vrai sens de la révolution et à accompagner le peuple vers la reconquête de sa dignité et sa liberté. Le maintien de Bensalah au-delà du 9 juillet est-il légal ? Comme nous l'avons signalé à maintes reprises, le pouvoir réel n'est pas disposé à saisir le sens profond de cet évènement sans précédent depuis l'indépendance. Il persévère obstinément dans le déni de la réalité et a fait le choix du pourrissement et la manipulation. C'est d'ailleurs le même constat que nous avions fait lors de la dernière rencontre qui a regroupé sept partis politiques de la mouvance démocratique et la Laddh. Le maintien du chef de l'Etat par intérim au-delà du 9 juillet est illégal et constitue une provocation pour le peuple algérien et un rejet de ses revendications. Ce maintien remet en cause l'exigence populaire primordiale de rompre avec les symboles illégitimes et impopulaires de l'ancien régime et contredit une autre revendication tout aussi importante que légitime, à savoir l'amorce d'une transition démocratique et l'avènement de la deuxième République. Nous considérons cette nouvelle manœuvre comme un coup de force électoral après plus de 18 vendredis de grandes mobilisations à travers le pays et à l'étranger. Le chef d'état-major de l'armée insiste sur le respect de la Constitution en mettant en garde contre le vide constitutionnel. Il appelle au même temps au dialogue pour dépasser la crise… Nous n'avons pas cessé de répéter à ceux qui dirigent l'armée nationale populaire de se consacrer exclusivement aux missions conférées par la loi fondamentale et qui se résument à sauvegarder la cohésion sociale et à assurer la protection du pays et de son peuple. Ce qui est déjà une tâche noble et cruciale. Nous avons en même temps souhaité que ces dirigeants se portent garants d'un principe inaliénable et inviolable qui consacre légalement la souveraineté populaire et le respect de ses aspirations légitimes, et ne s'impliquent pas dans les affaires politiques du pays tout en protégeant le déroulement d'un véritable processus de transition démocratique qui sortira notre Nation de ces impasses pour lui ouvrir des lendemains plus cléments et rassurants. Le FFS n'est pas contre le dialogue. Au contraire ! Mais nous refusons de légitimer ou de donner du crédit aux faux semblants et aux faux dialogues à travers lesquels les tenants du pouvoir réel tentent de plomber le destin politique de la Nation. Nous voulons un dialogue sérieux, responsable, inclusif, sans préalables qui placera les revendications populaires au centre de toutes les préoccupations. C'est la vocation même de notre dernier appel destiné à organiser une conférence nationale de concertation et de dialogue afin d'élaborer un pacte politique consensuel pour trouver une issue viable, raisonnable et durable. La balle est désormais dans le camp des tenants du pouvoir. Pour notre part, nous allons tout mettre en œuvre pour l'aboutissement de notre initiative politique de dialogue. Nous devons être tous à la hauteur de ce moment historique et à la mesure de la grandeur du valeureux peuple algérien. La mobilisation populaire a été hautement pacifique. Mais ce dernier vendredi, les forces de l'ordre ont réprimé les porteurs de drapeau amazigh et plusieurs d'entre eux sont en prison. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle donne ? Si vous faites référence aux propos tenus mercredi 19 juin par le chef d'état-major de l'ANP, pour nous au FFS, l'emblème de Tamazgha n'est pas symbole de division, bien au contraire. Autant que le drapeau national, il symbolise plus que jamais l'unité du peuple algérien, mais aussi l'unité des peuples de l'Afrique du Nord pour la paix. Il est également la sentinelle qui appelle les gouvernements à mettre fin à leurs politiques impopulaires et antidémocratiques et leur rappelle l'urgence d'en finir avec le déni culturel et identitaire. L'instrumentalisation de l'appareil judiciaire dans cette opération montre une fois de plus que la justice est toujours sous l'emprise des injonctions et qu'elle échappe toujours à la seule motivation des lois. On exige la libération immédiate et sans conditions de ces détenus et l'annulation des poursuites judiciaires orientées contre eux. Le FFS invite les Algériennes et les Algériens à la vigilance pour déjouer les manœuvres du régime pour torpiller toute convergence et tout consensus entre les forces démocratiques et sociales. Au moment où aucune solution politique ne se profile à l'horizon, une campagne de lutte contre la corruption est lancée. Hommes d'affaires et hommes politiques sont emportés par cette opération. Qu'en pensez-vous ? La mafia politique et financière qui a dilapidé et bradé les richesses du pays et qui a hypothéqué l'avenir de plusieurs générations n'est pas née au lendemain du soulèvement populaire du 22 février dernier. Elle a toujours gravité dans les hautes sphères de l'Etat et a été servie et protégée par des lois scélérates et liberticides faites et élaborées sur mesure. Pis encore, elle a souvent été à l'abri des poursuites judiciaires et sécuritaires. Aujourd'hui, plusieurs personnalités qui ont occupé des responsabilités très importantes au sein de l'Etat et plusieurs hommes d'affaires sont poursuivis en justice selon une procédure expéditive et opaque. Des barons de l'économie qui ont longtemps profité des largesses des gouvernements successifs, que ce soit dans l'attribution de marchés publics sans appels d'offres, dans l'octroi de crédits bancaires sans garanties de remboursements ou à travers l'attribution de grande superficie de terrains à vocation agricole sur tout le territoire national cédés à des prix dérisoires, sont aujourd'hui emprisonnés pour malversation et gestion douteuse et mafieuse . Cette opération juridique de grande envergure qui a certes ciblé des personnages honnis et détestés par la majorité du peuple algérien, pour leur abus de pouvoir et pour leur voracité lucrative, ne manque pas cependant d'entretenir des doutes légitimes sur la sincérité de ses instigateurs. Car, personne n'est prêt à oublier que les bourreaux et les victimes d'aujourd'hui ont tellement cohabité et ont souvent collaboré sous la protection du sommet de l'Etat. Ainsi donc, les soupçons sur des possibles règlements de comptes entre clans rivaux au sein du sérail ne sont pas à écarter. Seuls un Etat de droit et une justice indépendante sont les véritables garants d'un processus juridique à l'abri de pressions, de règlements de comptes et de luttes de pouvoir. K. A.