Plus de cinq mois de mobilisation ont montré ce dont les Algériens ne veulent pas. Ils ne veulent pas voir la reconduction d'un système finissant, qui ne peut être, honnêtement, réduit à la seule gestion de 20 ans de pouvoir de Bouteflika. Ils veulent le changement, un Etat de droit garantissant les libertés, la démocratie et les droits fondamentaux, où chaque individu, groupe social, institution, étatique ou non, est soumis au respect du droit. Face à cette revendication exprimée massivement durant 23 vendredis consécutifs, le pouvoir politique propose un dialogue centré exclusivement sur l'élection présidentielle. Or, c'est justement la question du dialogue devant déterminer l'agenda électoral qui fait justement débat, entre ceux qui préconisent des discussions dans un cadre politique rénové en rupture avec l'ancien, ceux qui jugent jouables des négociations sans rupture à la condition que le pouvoir fasse quelques gestes, et ceux, au sein du pouvoir, pour qui, il n'y a d'autre option que l'élection présidentielle dans le cadre constitutionnel existant. Le 25 juillet, en réponse aux «mesures d'accompagnement et d'apaisement qu'il y a lieu de prendre», demandées par le panel qu'il venait d'officialiser, Abdelkader Bensalah a fait un premier pas. C'est du moins ce qui ressort de la lecture du communiqué de la présidence de la République (voir APS du 25/7) selon lequel il a fait part au panel de sa «sa disponibilité à œuvrer pour : - inviter la justice à examiner la possibilité d'élargissement des personnes dont l'interpellation s'est faite en lien avec le déroulement des marches populaires, - envisager l'allègement du dispositif mis en place par les services de sécurité, pour garantir la liberté de circulation dès lors que cet allègement ne porte pas préjudice à l'impératif de préserver l'ordre public, et la protection des personnes et des biens lors des marches populaires, - faire prendre les mesures de nature à faciliter l'accès aux médias publics à toutes les opinions, à travers l'organisation de débats contradictoires et ouverts à toutes les expressions politiques, sans exclusive». Ce dont a pris acte Karim Younès, qui préside le panel, assurant même dans un entretien à El Watan que «M. Bensalah a promis de prendre en charge ces revendications, mais vous comprendrez qu'il est difficile d'y donner suite en moins de 24 heures» et que lui, Karim Younès, a «carte blanche pour traiter de toutes les questions et tous les dossiers de l'heure…» ! Et ce, avant de prévenir que «si les engagements pris par la Présidence ne connaissent pas un début d'exécution, le panel se réunira et examinera l'éventualité de la suspension de ses travaux et pourrait même aller jusqu'à son autodissolution.» Mais voilà, mardi, avant même que la présidence de la République ne fasse connaître sa réponse aux «préalables» posés par le panel, le général Gaïd Salah a émis une fin de non-recevoir aux «préalables» et conditions posées par le panel, les qualifiant d'«idées empoisonnées que véhicule la bande» et qu'«il n'est plus question de perdre davantage de temps» ! En effet, la rentrée sociale – c'est dans un mois – risque d'être chaude. Cette sortie du général Gaïd Salah qui change la donne, n'arrange évidemment pas les affaires de Karim Younès qui semblait bénéficier de l'appui de M.Bensalah. Elle intervient juste après que le même Karim Younès a essuyé un refus de pas moins de neuf personnalités, et pas des moindres – Djamila Bouhired, Drifa Ben M'hidi, Mouloud Hamrouche, Mustapha Bouchachi, l'ex-général Rachid Benyelles et même Taleb Ibrahimi entre autres - parmi les 23 invitées, à intégrer les rangs de la commission qu'il préside.(1) Questions : sommes-nous face à deux lignes, deux visions de sortie de crise, au sein du pouvoir ? L'une prête à envisager des gestes d'apaisement afin de crédibiliser son offre de dialogue et l'autre estimant qu'il ne faut pas interférer dans le travail de la justice ? Karim Younès, qui campe sur ses positions (il l'a répété hier), et le panel, vont-ils poursuivre leur mission, voire s'autodissoudre en tant qu'instance de médiation ? Le dialogue est-il mort-né et, partant, la présidentielle dont la date n'a pas été fixée aura-t-elle lieu ? Et si c'est le cas, que va faire le pouvoir politique, lui qui comptait sur un essoufflement du Hirak durant l'été qui, pour l'heure, se poursuit ? En tout cas, on vit bien un été politique incertain. H. Z.
(1) Parmi les 23 invités et au sein du panel figurent des gens ayant appelé pour le 5e mandat et d'autres ayant appelé les Algériens à ne pas manifester le 22 février.