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La révolution du Hirak du 22 février 2019 : archéologie et prospective
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 08 - 2019

Les foules sont régies par une «unité mentale» et «une âme collective»,
transitoires, qui fusionnent et orientent tous les individus dans la même direction».
(Gustave Lebon)

Par le professeur Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique, Alger.
25e vendredi de suite : le peuple continue à protester en réclamant toujours la liberté. Nous vivons, depuis le 22 février 2019, une époque exceptionnelle en ce sens que la parole est libérée, le mur de la peur s'est fissuré. Cela rappelle les quelques mois qui ont suivi Octobre 1988, où l'exubérance des idées et l'atmosphère soixante-huitarde donnaient l'illusion à l'Algérienne et à l'Algérien, frondeurs de naissance, que nous étions définitivement libres. Cruelle erreur, s'il en est ! Nous avons alors mis le cap inexorablement sur l'irrationnel et nous en avons pris pour 10 ans. Nous en avons pris, ensuite, pour 20 ans de hogra et de rapine avec le système précédent. Même peuple plus nombreux de 13 millions avec une composante plus jeune, même système, mêmes méthodes, sauf que, cette fois-ci, l'internet et les réseaux sociaux sont d'un apport indéniable pour le meilleur et pour le pire… Vint le miracle du 22 février, le mur de la peur se fissure. Nous allons rendre à César ce qui appartient à César en tentant de montrer comment la «spontanéité» des mouvements se fabrique sur un terreau favorable.
Les études sur la psychologie des foules
On sait que les stratégies des officines occidentales est de faire ou de défaire des Etats en s'appuyant sur tout un tas d'instruments. En fait, nous allons montrer que le 22 février 2019 n'est pas une singularité. Si on devait faire l'archéologie de ce mouvement, en apparence spontané, il faut avoir en tête les études sur la psychologie des foules. L'étude suivante qui nous paraît répondre à beaucoup de questions mérite d'être résumée dans ces grandes lignes, elle relate les travaux du docteur Gustave Lebon qui décrivait déjà en 1895 ce phénomène panurgien. Nous en lisons quelques extraits : «Pour Le Bon, le moteur de l'Histoire, c'est principalement les idées des peuples. (…) Nous sommes, écrit Le Bon en 1895, arrivés à un de ces moments-clés. La destruction des croyances religieuses, combinée avec l'émergence de nouvelles technologies, va entraîner une mutation dans le mental collectif. (…) Les sociétés qui émergeront du chaos, écrit Le Bon, devront compter avec une puissance à son époque nouvelle : les foules. (…) Peu aptes au raisonnement, les foules sont en revanche très capables d'action. Leur pensée simple adhère à des dogmes idéologiques qui prendront très vite le même caractère contraignant que les anciennes croyances religieuses.»(1)
«Le Bon se méfie de ce nouveau pouvoir des foules. (…) Les foules n'ont de pouvoir que pour détruire. (...) Il existe, cependant, une mesure de prévention possible : que le pouvoir connaisse la psychologie des foules, afin de pouvoir les manipuler au lieu de se laisser mener par elles. C'est que les foules sont incapables d'avoir des opinions quelconques, en dehors de celles qui leur sont suggérées. Les foules ne fonctionnent qu'à l'instinct, en fonction de l'émotion. C'est à leur cœur et à leurs tripes qu'il faut parler : alors, si leurs instincts ont été correctement manipulés, elles iront spontanément dans le sens voulu par le système de pensée du prince. D'où l'intérêt d'une psychologie des foules.»(1)
C'est globalement le mode opératoire que nous constatons, l'individu s'efface au profit du collectif avec des idées simples. Le Bon formule la loi de l'unité mentale des foules. Dans certaines conditions, une grande masse d'individus réunis se coalise pour former un bloc, par l'évanouissement de la personnalité consciente des individus constitutifs.
Les caractères généraux des foules en action
Pour le docteur Gustave Lebon, «une foule psychologique fait toujours muter les esprits individuels qui la composent ; cette mutation est induite par la mise en avant de ce qui est commun aux individus, c'est-à-dire leur inconscient collectif – les hommes d'une même race diffèrent par leur intellect mais pas par le substrat identitaire dont ils sont imprégnés. Une foule psychologique est parcourue de phénomènes de contagion mentale. Une foule psychologique révèle la profonde suggestibilité des individus. Elle fascine ceux qui en font partie, au point que leur esprit cesse de se percevoir lui-même comme autonome à l'égard du collectif».(1)
il ajoute qu'il est en revanche difficile de contrôler les conséquences des manipulations, parce que l'esprit des foules est très mobile. Il est donc à la fois facile et dangereux de manipuler la foule, d'autant qu'elle supporte mal l'existence d'un obstacle entre son désir et l'objet de son désir. C'est un enfant capricieux. Il faut donc manipuler les foules, mais attention, on doit bien connaître leur mode d'emploi ! Ce mode d'emploi, Le Bon le dessine dans ses grandes lignes. «Les foules, nous dit Le Bon, sont crédules. Il suffit de faire percevoir à une partie d'une foule les faits sous un certain angle pour que toute la foule adopte cet angle (…) Dans ces conditions, il est conseillé de manipuler les foules en leur proposant des idées simples, voire simplistes. Il ne faut pas leur demander de soutenir une réflexion approfondie : elles en sont incapables. Ce qu'elles demandent, ce sont des mots d'ordre. C'est pourquoi il est non seulement contre-productif, mais même dangereux d'argumenter rationnellement devant une foule. La foule croit avec passion, elle ne supporte pas la contradiction, et peut se montrer violente envers quiconque déstabilise son socle de croyances naïves.»(1)
Ce que nous appelons l'irrationnel et le magique fait que la psychologie des foules est celle d'un enfant de six ans. Gustave Lebon en parle : «La foule va plus particulièrement se focaliser sur des détails merveilleux. Comme un enfant, elle ne retiendra d'un discours que les deux ou trois images qui auront frappé son imagination immature (...)» Au fond, Le Bon est convaincu que la foule ne peut raisonner qu'en termes religieux. La philosophie lui est inaccessible, la science lui reste hermétique. Ne pouvant critiquer, la foule ne sait qu'adorer. Il lui faut un être supérieur à qui se soumettre. Et par nature, de ce fait, la foule est fanatique : quand on ignore la critique et aime à se soumettre à un discours simple, on est condamné au fanatisme. C'est toujours le sentiment religieux qui permet de mobiliser la foule, de lui impulser une direction donnée. Pour Le Bon, «l'Histoire est faite par les personnalités qui parviennent à modifier le mental des foules dans des dynamiques religieuses.»(1)
Comme écrit Ali Nejmi, détaillant l'étude de Lebon, «Gustave Le Bon soutient que les foules développent ces caractères spéciaux à travers trois états psychologiques : l'irresponsabilité, la contagion et la suggestibilité. Le sentiment d'irresponsabilité domine les foules : l'appartenance à une foule anesthésie les inhibitions et confère à l'individu un sentiment de ‘‘puissance invincible''. La contagion se réfère à la propension des individus dans une foule à suivre, indiscutablement, les idées prédominantes et à être galvanisés par l'émotion commune : l'intérêt collectif se substitue à l'intérêt individuel. La suggestibilité caractérise la tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, la foule étant en état d'‘‘attention expectante'', tel un hypnotisé. Cet état dérive d'une âme archaïque inconsciente et, de surcroît, de nature primitive. La conscience s'évanouit et les facultés intellectuelles s'y retrouvent fortement annihilées».(2)
«Les foules veulent les choses avec frénésie, elles ne les veulent pas bien longtemps. ‘‘Elles sont aussi incapables de volonté durable que de pensée''. Dans ses états de frénésie, une foule suggestionnée par des idées de meurtre et de pillage cède à la tentation. Dépourvues de tout esprit critique, les foules ne peuvent que manifester une crédulité extrême. La perception et l'observation des évènements sont elles aussi altérées : rien n'est trop invraisemblable pour une foule. Ce sont les héros légendaires, et pas du tout les héros réels, qui ont impressionné l'âme des foules. La simplicité et l'exagération sont les deux traits de caractère communs à toutes les foules. Intolérance, autoritarisme et conservatisme des foules, les foules possèdent un esprit binaire qui accepte les croyances en bloc comme vérités absolues ou les rejette comme erreurs non moins absolues.»(2)
«Leur respect fétichiste pour les traditions est absolu, leur horreur inconsciente de toutes les nouveautés capables de changer leurs conditions réelles d'existence est tout à fait profonde. Pour être acceptée par la foule, une idée doit être simple, très mal définie, absolue et prendre une forme d'image nette et impressionnant l'imaginaire collectif. Celles-ci sont enclines par nature à n'être influencées que par les images les plus intenses, les plus saisissantes et les plus invraisemblables. Chez une foule, les mots n'ont pas de signification réelle en dehors des vives images qu'ils suscitent et évoquent dans l'imagination collective.»(2)
Les haut-parleurs idéologiques
Qu'en est-il des meneurs des foules qui doivent être bien «choisis» ? «Qui sait les illusionner est aisément leur maître ; qui tente de les désillusionner est toujours leur victime. La constitution mentale rudimentaire des foules les dispense de toute forme de raisonnement logique. L'irritabilité et l'impulsivité caractérisant la dynamique des foules les rendent incapables d'autodiscipline, chaotiques et anarchiques sans un «leader» fédérateur personnifiant les idées et les aspirations du groupe. Pour discréditer un homme politique auprès de l'opinion publique, il n'y a pas mieux que le lynchage médiatique où les mêmes propos diabolisants sont reproduits inlassablement.» (2)
«Une foule adore facilement un maître rude, qui lui propose une vision du monde simple et cruelle. Toujours prête à se révolter contre une autorité faible, même juste, la foule se courbe devant une autorité forte, même injuste. La foule est un géant à l'âme enfantine, qui se cherche un maître pour le conduire. Pour diriger les foules dans la direction voulue, il faut des meneurs de foule qui leur parlent leur langage.» Lebon ajoute que «l'instrument essentiel du conditionnement des foules, c'est l'image. Il faut détecter les idoles que la foule peut adopter, et les utiliser pour la conduire. (…) Tout l'art de conduire la foule est de glisser le contenu-message dans le contenant-image, sans altérer l'image que la foule adore, et donc si possible en faisant du contenant le contenu. Il prône l'usage de l'illusion, comme moyen de parler au cœur de la foule, et dénonce la Raison comme inopérante dans la conduite des masses (…) C'est pourquoi le meneur ne démontre pas, il affirme. Il n'approfondit pas, il répète. Il ne persuade pas, il contamine. Sa capacité d'influence ne résulte pas de son discours lui-même, mais du prestige dont il se pare.» (1) (2)
Pourquoi les révolutions sur commande ?
Si nous acceptons les analyses suivantes sur le comportement psychologique des foules avec certaines fois en cas de dérapage, un comportement de meutes, ce qui nous intéresse est de savoir pourquoi, le 22 février, le déclenchement a pris une nouvelle dimension massive et ordonnée. Plusieurs facteurs peuvent être invoqués. Cette Révolution tranquille que d'aucuns appellent ‘‘Hirak'', un mot qui a jailli du néant pas forcément innocent, a été pensée — la méthode étant connue depuis plus d'un siècle (nazisme, fascisme...). On peut même soupçonner Solidarnosc d'avoir instrumenté les foules aidé notamment en dehors du haut-parleur idéologique que fut Lech Walesa par le pape qui a donné le la, le signe du déclenchement en martelant la fameuse phrase «N'ayez pas peur...» Début de la fin pour l'empire soviétique attaqué de toutes parts par des peuples au nom de la liberté, avec le point d'orgue, la chute télévisée, voire préparée du mur de Berlin. Dans le même ordre récemment, les méthodes de Daech utilisent le même modus operandi.
En fait, on peut se poser la question : pourquoi tout cela ? Tout est parti des cerveaux des idéologues du Pentagone. Parallèlement, les problèmes énergétiques devenaient stratégiques pour l'indépendance américaine. C'est là qu'intervient le choc des civilisations théorisé par Samuel Huntington. C'était aussi la fin de l'Histoire comme le martelait Francis Fukuyama, l'idéologue du Pentagone. Avec la chute de l'empire soviétique, la fin de la guerre froide, il fallait entretenir la flamme de l'hyper-puissance américaine, selon le bon mot d'Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères. George Bush Sr, dans son discours en 1991, après avoir chassé Saddam Hussein du Koweït, annonçait un nouvel ordre international sous gouverne américain. Les Etats-Unis avec leur doctrine du Pnac (Program for New American Century) pensaient redessiner le monde à leur idée.
Après les attaques du WTC en septembre 2001, il fallait pour l'empire redessiner le monde, il fallait un nouvel adversaire pour l'empire, maintenant que l'URSS était terrassée. Le Satan de rechange de l'empire du mal (l'URSS) tombait du ciel. Ce sera l'Islam pour l'empire avec les révolutions colorées en Europe (Ukraine avec le Maidan, Géorgie..) et ce sera le MEPI au Moyen-Orient. C'est dans ce cadre que l'Algérie a été embarquée, elle a eu son octobre 1988, qui pour les experts de l'ombre, ne fut pas une réussite. Plus sérieux, en termes de moyens de toutes sortes et mobilisant pratiquement l'Europe avec la France aux premières loges, avec son ingérence vaine pendant la décennie noire, ainsi que l'Allemagne qui a hébergé un des leaders du FIS, et l'Italie avec son initiative de Sant'Egidio) il fallait changer la configuration du pouvoir en Algérie. Curieusement, les Etats-Unis, tout en donnant l'asile à un autre leader du FIS, avaient deux fers au feu. L'Algérie en s'en sortant seule de la tragédie étonna le monde occidental qui attendit son heure. Cette heure arriva avec le Printemps arabe — encore une dénomination des officines — Ce fut la théorie des dominos qui eut lieu.
Le terreau était favorable, mis à part les pays du Golfe, intouchables du fait que depuis Quincy, les Etats-Unis sont sous le parapluie américain, le deal est que les Etats-Unis ne manqueront jamais de pétrole, c'est dire si l'Opep faire-valoir, la seule organisation qui reste après la débâcle de toutes les organisations internationales tiers-mondistes et dont la mission est de dociliser les pays de l'Opep sous la gouverne de l'Arabie Saoudite, chef de file, aussi des potentats avec des sabres nains mais avec des comptes en banque bien garnis.
Restent les récalcitrants : ce sera d'abord l'Irak que George Bush a rendu comme il l'a promis à l'âge de pierre. Depuis plus de quinze ans, Saddam Hussein a été pendu, le pétrole coule toujours mais il n'y a toujours pas de Constitution, il en sera de même de la Libye, là c'est la France et le Royaume-Uni qui sont les architectes du chaos. Résultat des courses : Kadhafi a été lynché mais la Libye, depuis huit ans, est ouverte à tous les vents de la partition entretenue par les puissances. La Syrie a suivi le même scénario des révoltes populaires visant un changement voulu par l'Occident. Elle été sauvée d'une tentative d'émiettement. Toutes les forces ont été jetées dans la bataille en vain et ceci grâce à un acteur nouveau, la Russie, qui a grippé la machine de l'Occident et de ses vassaux quant à un nouveau redécoupage. La situation n'est pas stabilisée pour autant mais à partir de la bataille d'Alep, les choses ont changé par la Russie.
L'Egypte a connu une solution radicale, le pouvoir en place n'a rien à voir avec les espérances de Place Tahrir, mais il convient à l'Occident. Quant à la Tunisie, sa position modeste dans le monde jointe à l'intelligence de ses dirigeants fait que la tempête post-Ben Ali a été maîtrisée et pour l'Occident c'est la vitrine arabe de la démocratie, mais cela ne règle pas pour autant les causes pour lesquelles Bouazizi s'est immolé et qui sont toujours là : un chômage important et des migrants. Quant au Maroc, il y a bien longtemps que sa situation a été stabilisée, il fait partie de la chasse gardée de l'Occident, le peuple ne compte pas, il n'y a pas de citoyens, il y a des sujets qui dépendent du bon vouloir du roi.
La leçon bien apprise par les «architectes» des révolutions
Nous avons alors par homothétie un certain nombre de recettes sur la façon de conduire l'imaginaire des foules tout comme le recommande Gene Sharp, décrit lui-même comme un expert américain de la révolution non violente, dans son ouvrage De la dictature à la démocratie. Depuis un demi-siècle, de nombreuses révolutions pacifiques contre des dictatures ont abouti, comme en Pologne, au Kosovo ou encore en Serbie. Pour lui, l'échec provient souvent d'actions désordonnées, d'une insuffisance de préparation pour rendre la lutte efficace, d'une sous-estimation de l'adversaire. Pour lui, la lutte non violente a permis de résoudre un nombre important de graves conflits. Elle est venue à bout des plus grandes puissances militaires. Une population écrasée par la violence d'une dictature, d'une oppression ou d'une agression, se redresse et se met en marche avec une incroyable détermination. Pourtant, il ne suffit pas de descendre dans la rue par millions : la clé de la réussite, c'est aussi la stratégie, un exercice de haut vol qui ne s'improvise pas.
La Révolution du 22 février était-elle «fabriquée» ou était-elle inévitable ?
A en croire l'archéologie de ces soudaines éruptions des foules, on peut penser que cette révolution qui nous paraît si naturelle est en fait artificielle et qu'elle aurait vu le jour dans les officines ad hoc de l'empire global. Au vu du descriptif de ces méthodes de manipulation, nous pensons à l'idéologie du IIIe Reich. Hitler et Goebbels savaient galvaniser les foules avec des mots simples mais percutants. C'est d'ailleurs le logiciel de toutes les idéologies qu'ils veulent s'imposer par la force. «En analysant le hirak algérien, écrit Ahmed Bensaâda, et en comparant son modus operandi avec celui de cet éventail de cas, on remarque des similitudes frappantes. C'est ce qui nous amène à penser que la lutte non violente qui se déroule actuellement dans les rues de notre pays ne représente qu'un continuum qui a débuté par les ‘‘révolutions colorées'' et qui s'est poursuivi par le ‘‘printemps'' arabe. Il s'agit de ce que j'ai nommé la ‘‘printanisation'' de l'Algérie. Mais à chaque fois qu'une révolte non violente voit le jour quelque part dans le monde, les mêmes réactions apparaissent : ‘‘la révolte est spontanée'', ‘‘la jeunesse nous guide vers un avenir radieux'', ‘‘la main de l'étranger ? C'est du complotisme ! Pourquoi infantiliser le peuple ? Vous protégez les dictateurs !''. Cela est relayé par la puissante machine des médias mainstream qui utilisent le mensonge par omission, invitent toujours les mêmes pseudo-analystes et maintiennent la porte grande ouverte aux activistes».(3)
Le professeur Ahmed Bensaâda, connu pour avoir écrit un ouvrage, Arabesques, sur les non-dits des révolutions arabes et autres fomentées dans les officines occidentales, a, dans cette contribution exhaustive, déconstruit, encore une fois, la mécanique des printemps arabes en expliquant que rien n'arrive par hasard et que tous les printemps, qu'ils soient en Europe centrale (Maidan et autres) où les nombreux printemps arabes ont tous une adresse : les thinks tanks de l'Empire américain et, à un degré moindre, celles de ses vassaux européens. Aucune des révoltes ou révolutions, celle de la place Tahrir comme celle du Jasmin — et peut être celle du 22 février 2019 — n'a, d'une façon ou d'une autre, subi une influence externe.
Il écrit : justement, à propos de la spontanéité des manifestations du 22 février «(…) Dès le début des manifestations, les noms de personnes susceptibles de ‘‘guider le destin du pays'' ont inondé le cyberespace. Les uns avançaient un pion, les autres un autre, comme s'il s'agissait de voter pour un candidat de téléréalité. Aucun programme présenté, aucune vision expliquée, ni aucun embryon d'agenda politique.
Les messages, les photos et les vidéos partagés à satiété (probablement par des trolls cyberactivistes), propulsent certaines personnes au statut suprême de sauveur de la Nation. Et pourquoi ne pas proposer un gouvernement clés en main pendant qu'on y est ? (…) Les manifestations pacifiques qui ont secoué notre pays et qui ont ébranlé le ‘'système'' délétère qui le gouvernait ont montré un visage très positif de notre jeunesse. Réussir à ‘'dégager'' un pouvoir politique moribond dans la joie et la bonne humeur, sans aucun incident notable, est non seulement exemplaire, mais aussi salutaire pour l'avenir de l'Algérie. Cependant, le modus operandi de ces manifestations conforme aux principes fondamentaux de la lutte non violente de Canvas montre que 19 ans après la Serbie et 8 ans après le début du ‘'printemps'' arabe, l'Algérie connaît à son tour une révolution colorée. Ce mode opératoire témoigne ainsi de l'existence d'un groupe de cyberactivistes formé par des officines d'‘‘exportation de la démocratie'' et actif aussi bien dans l'espace que dans le cyberespace.»(3)
Et l'Algérie dans tout cela ?
Reste l'Algérie, voilà une double décennie du mépris de la honte et de la rapine. Le peuple, scandalisé, subissait la myopie des dirigeants qui croyaient – et nous aussi — qu'ils étaient là pour mille ans, d'une façon dynastique, que la justice c'était pour le peuple et pas pour eux. Sûrs de l'inertie du peuple, ils ont fait l'erreur de trop, le cinquième mandat. Le peuple s'est soulevé. S'il est indéniable que le détonateur, c'est l'annonce du 5e mandat, le terreau était favorable pour le sursaut. L'intelligence des stratèges des
officines étrangères est qu'ils ont surfé sur la vague du mécontentement en mettant en œuvre les commandements de Gene Sharp eux-mêmes tirés de cette étude sur la psychologie des foules notamment celle du docteur Gustave Lebon.
La mise en musique et l'alimentation en moyens, notamment d'une façon magique, diverses banderoles difficiles à concevoir dans un temps aussi court apparaissent chaque semaine, certaines coûtant cher. Il y a lieu de s'interroger sur ces sources de financement occultes et sur la dynamique des mots d'ordre, certains bien faits et relayés par les médias internationaux.
Les manipulateurs ont même utilisé des mots d'ordre d'Algériennes et d'Algériens sincères en les diluant dans un vaste ensemble dont l'objectif est d'occuper constamment la rue. Viendront après, du fait que le clash programmé n'est pas venu car il y eut des slogans rassembleurs, comme «sylmia», «pacifique», «non à la division», «nous sommes des Algériens», les stratèges sont aussi démunis que les citoyens lambda, ils ont utilisé tous les slogans possibles — notamment la diversion du drapeau amazigh.
Le peuple s'est accaparé de la révolution malgré toutes les manipulations, il a dit et redit 25 fois son ras-le-bol du système «Yatnahaou ga3e». Le pouvoir actuel, procédant à dose homéopathique, entretient par des mises en prison des responsables de cette double décennie du peuple.
C'est un fait : le fond rocheux de ces manifestations nous montre une Algérie ouverte, tolérante, apte à la modernité et il serait injuste de dire que tout est faux.
De bon cœur, les Algériennes et Algériens ont manifesté leur refus de l'ordre établi et je ne pense pas que si les Algériennes et Algériens étaient retors à tout dialogue, à toute civilité, ces belles expressions du meilleur de nous-mêmes aient réussi. Disons seulement que les éventuels manipulateurs ont surfé sur un corps social mûr pour le changement.
Nécessité d'élections rapides et contrôlées
Ces manifestations pour la dignité et l'espérance, depuis plus de 25 semaines, viennent d'enrichir la base de données de Facebook en distribuant généreusement, sans le savoir, des données personnelles qu'elles croient protégées. Cependant, même si on peut s'interroger sur cette spontanéité soudaine et l'apparition de haut-parleurs idéologiques jaillis de nulle part que Facebook plébiscite, il n'en demeure pas moins qu'il y a une attente. Elle est inquiète pour son avenir. Elle attend et donne rendez-vous au pouvoir tous les vendredis en donnant chaque fois des preuves de son génie «constructeur» parce qu'il carbure à l'espoir.
La situation actuelle que nous vivons est exceptionnelle en ce sens qu'elle voit la convergence de plusieurs tendances qui peuvent nous permettre, soit d'aller vers une alternance sereine soit ouvrir la boîte de Pandore d'une situation incontrôlée et incontrôlable donnant la possibilité réelle d'une ingérence étrangère qui nous mettra sur la pente définitive du déclin. Mais le terreau était favorable. Après une double décennie de mépris et de rapine, les Algériennes et les Algériens étaient exaspérés et mûrs pour la révolte. Même si on sait que la psychologie des foules explique les actions faites. Ce qui est nouveau, c'est le slogan de la non-violence «Silmya». Cela est prévu dans le manuel des déclenchements des révolutions. D'une certaine façon, le scandale du 5e mandat a été le déclencheur du ras-le-bol qui a permis l'ouverture de la boîte de Pandore. En espérant pouvoir la fermer si rapidement un consensus se dégage pour aller rapidement vers des élections visant à élire d'une façon transparente un Président. Malgré toute la bonne volonté des individus, la dynamique de groupe s'essouffle, le nombre de manifestants diminue. Je suis convaincu qu'il ne faut pas perdre de temps. Si des garanties sérieuses sont données avec un contrôle des délégués pour les élections, nous pouvons organiser les élections d'ici la fin de l'année.
C'est au prochain Président élu qu'échoie le devoir de prendre en considération dans son programme les invariants de la liberté, de l'alternance, de la démocratie et de la justice qui doit être indépendante et au-dessus des gouvernants. Cependant, si nous tardons trop longtemps à résoudre nos problèmes, dans cet entre-deux comme l'écrit si bien Antonio Gramsci, apparaissent les monstres car nous ne sommes pas une exception qu'il faut ménager et on ne peut exclure une manipulation de grande ampleur pour créer le chaos.
Toute l'intelligence à faire comme au judo, utiliser cette formidable force dans le sens que nous, nous voulons et non celle peut-être programmée pour nous. Nous devons rester en éveil et déjouer les complots, faire de cette révolution un réel nouveau départ d'une République démocratique où les libertés sont gravées dans le marbre et où compte la seule valeur ajoutée de chacun à l'édification de l'Etat, en dehors de tout népotisme, régionalisme.
La Révolution du 22 février 2019, sans être une singularité, s'inscrit globalement dans la démarche mondiale de reshapage du monde par l'Empire mais qui n'a pu réussir que grâce à deux facteurs, le ras-le-bol de 20 ans de hogra et le détonateur constitué par le 5e mandat. C'est à nous d'en faire un avantage et de militer pour une Algérie du futur qui n'abdique rien de ses identités cultuelles et culturelles mais qui est fascinée par l'avenir
C. E. C.
1.https://www.leretourauxsources.com/blog/psychologie-des-foules-gustave-le-bon-n163 10/01/2009
2.Ali Nejmi. https://des-livres-pour-changer-de-vie.com/la-psychologie-des-foules/
3.https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=492:2019-05-10-21-55-26&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119.


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