On s'attendait à ce que le match de foot ayant opposé l'Algérie à l'Egypte, ce 14 novembre, fût placé à la fois sous le signe de la «fraternité» et du respect mutuel que requiert les règles du jeu qui président à ce type de compétition; les choses ont tourné très vite au contraire à une véritable guerre fratricide. On a pu voir en direct, sur les chaînes satellitaires, l'équipe nationale et ses supporters, à peine les pieds posés sur le sol égyptien, agressés avec d'autant plus de hargne par les supporters égyptiens, que l'on se demande si nos prétendus « frères égyptiens » ne cherchent pas à régler, à apurer des contentieux avec nous, via le foot comme prétexte, et à se venger de l'Algérie pour avoir toujours été aux côtés des peuples palestinien et sahraoui dans la lutte qu'ils mènent contre leurs agresseurs. C'est une hypothèse parmi bien d'autres. Mais il en est une seconde qui trouve son support matériel et son enracinement profond dans la culture politique et l'imaginaire populaire égyptiens: c'est celle que fonde l'idée de la supériorité des Egyptiens sur tous les Arabes. La prétendue supériorité de l'Egypte Comme le Japon impérial avant la Seconde Guerre mondiale, qui se considérait comme le centre du monde et qui s'entichait d'une supériorité raciale absolue sur tous les peuples d'Asie, notamment sur la Chine, l'Egypte, elle, s'est toujours considérée, en dépit de sa pusillanimité flagrante devant l'Etat d'Israël, la couardise de ses soldats, les compromis et les concessions honteuses faites à ce dernier, comme le champion du monde arabe, le peuple le plus « éclairé », le plus « puissant » et le mieux indiqué pour assumer envers et contre tous le leadership des autres peuples arabes envisagés sous le rapport des peuplades « inférieures ». Ce sentiment est si puissant chez ce peuple conditionné et abreuvé jusqu'aux limites extrêmes d'une présomptueuse vanité par l'idéologie de ses dirigeants politiques, qu'il ne peut admettre qu'un autre peuple arabe puisse les surpasser ou les surclasser dans quelque domaine que ce soit. Ainsi en est-il du foot comme de la culture et « du métier des armes ». Ils doivent se montrer supérieurs face aux Arabes auxquels ils doivent ravir la vedette dans tous les domaines de l'art, du savoir, de la science et de la technique, et y compris, dans la technique de la « danse du ventre », du remuement des fesses en tous sens, et aussi dans l'aplatissement, non moins artistique, de l'Egypte devant le minuscule Etat hébreu dont les soldats provoquaient naguère la débandade de leurs pairs égyptiens, lesquels n'hésitaient pas à se déchausser pour courir plus vite sur les sables du Sinaï afin d'échapper à la mort (exemple: Guerre de 1967 et 1973). Des images lamentables qui avaient fait en leur temps le tour du monde, et marqué de honte et de stigmates négatives l'ensemble des «Arabes». Voilà ce que l'Egypte prétentieuse, et vaine, offre comme image peu reluisante aux Arabes dont elle prétend être la «crème», ou le «gratin» culturel et politique. Voire même militaire ! L'Egypte, «centre» du monde arabe, ou la quête d'un «espace vital» ? Mais l'Egypte politique qui détermine et oriente l'imaginaire de l'Egypte populaire, ne se contente pas de s'attribuer ces qualités, et d'en faire des caractéristiques intrinsèques. Comme l'Allemagne nazie, elle ambitionne, depuis Nasser, plus ou moins secrètement, de dominer le monde arabe (envoi du corps expéditionnaire au Yémen, tentative d'occuper le Soudan, visées expansionnistes sur la Libye, velléités d'une présence « culturelle » en Algérie au lendemain de l'indépendance, etc.). Autant de signes qui indiquent assez cet esprit expansionniste dont se nourrit ce pays. Dans son livre écrit en prison (1923 - 1924), celui qui allait devenir le Chancelier allemand, Adolphe Hitler, posait les principes du National-Socialisme en quelques mots: antisémitisme, culte absolue de la force, supériorité de la race germanique, qui a besoin, selon lui, pour s'épanouir d'un « espace vital ». Les traités de Versailles de 1919, lui donneront le prétexte rêvé pour se lancer dans une guerre effroyable contre l'Europe pour agrandir cet espace vital (al-mjâl al-hâiyaoui). Aucun dirigeant, cependant, d'Egypte, n'avaient écrit de semblables idées, mais le discours panarabe de ses leaders successifs, sous-tendait bel et bien ce principe d'expansion déguisé. Sans aller jusqu'à réduire l'Egypte en un Etat nazi ou fasciste à la Hitler et à la Mussolini, il n'en reste pas moins qu'elle partage avec ces deux grands idéologues de l'histoire deux traits au moins: la supériorité et le désir de domination réelle ou symbolique. L'échec sciemment programmé de l'équipe nationale au Caire ? Le match de foot qui vient de se conclure dans le sang au grand dam de l'Algérie témoigne de sa volonté de puissance sur laquelle se greffe une détestation particulière de l'Algérie. On pourrait mettre cet accueil haineux réservé aux Algériens en Egypte même, et cela au mépris de toutes les règles élémentaires de l'hospitalité due aux hôtes, sur le compte de « la psychologie des foules ». Mais alors comment expliquer que les autorités égyptiennes qui sont promptes à mater des manifestations pacifiques en Egypte et à contenir d'énormes foules en furie contre le régime, ne puissent assurer la protection et la sécurité de notre équipe et nos supporters ? Au vu de l'avalanche des projectiles lancés sur le bus transportant les membres de notre équipe et de nos supporters, la gravité des blessés, et de la fréquence des agressions le lendemain du match, ainsi que la passivité des forces de l'ordre chargées d'assurer la sécurité de nos concitoyens, on peut déduire que les Egyptiens avaient minutieusement planifié à l'avance l'échec de l'équipe nationale en usant par anticipation de violence et d'intimidation. Il y a donc coïncidence, voire un accord tacite, entre la stratégie du régime égyptien visant à faire échouer notre équipe pour engranger déloyalement la victoire et la « psychologie des foules » qui voulait regorger sa haine contre l'Algérie, via notre équipe et ses supporters. Cela ne fait point de doute. L'Etat égyptien en phase avec sa foule irrationnelle et indisciplinée Par ailleurs, et malgré ce qui vient d'être dit avec certitude, on ne saurait nier la part qui revient à l'inconscient, à l'impulsivité et à l'irritabilité des foules. Comme l'écrit à juste titre Gustave Le Bon, «la foule (...) est conduite presque exclusivement par l'inconscient. Ses actes sont beaucoup plus sous l'influence de la moelle épinière que sous celle du cerveau.» (1) En l'occurrence, le régime égyptien avait joué sur l'inconscient des foules en lui suggérant plus qu'on lui ordonnant explicitement de s'attaquer à des innocents aux mains nues, et de surcroît, des «hôtes», pour ne pas dire des «Frères». En effet, ajoute Gustave «Un des caractères généraux des foules est une suggestibilité excessive... Et parmi toute agglomération humaine, une suggestion est contagieuse; ce qui explique l'orientation rapide des sentiments vers un sens déterminé». Si réfléchie qu'on la suppose, la foule se trouve souvent le siège d'une attention «expectante» favorable à la suggestion. Ainsi, «La première suggestion formulée s'impose immédiatement par contagion à tous les cerveaux, et établit aussitôt l'orientation. Chez les êtres suggestionnés, l'idée fixe tend à se transformer en acte. S'agit-il d'un palais à incendier ou d'une oeuvre de dévouement à accomplir, la foule s'y prête avec la même facilité. Tout dépendra de la nature de l'excitant, et non plus, comme chez l'individu isolé, des rapports existant entre l'acte suggéré et la somme de raison qui peut être opposée à sa réalisation». (2) L'apaisement incompréhensible de nos dirigeants Sans nier la gravité des faits rapportés par nos médias, mais aussi par les témoins oculaires ou les victimes de violence, il semble que la suggestion dont il est question a joué dans le sens de l'amplification du drame vécu par nos concitoyens en Egypte. Ici, comme dans ce pays, la foule est aveugle et n'entend que ses instincts et ce sentiment fort d'appartenir à une nation dont il faut défendre bec et ongles les intérêts, le drapeau national, l'honneur et le prestige. Les régimes politiques, et même les Etats les plus démocratiques qui puissent exister, pourraient jouer sur les sentiments de la foule, et de ce qu'elle a d'irrationnel et d'impulsif, tout en essayant de les canaliser. Alors que pour une fois, l'Algérie officielle s'est montrée moins chauvine et moins agressive, l'Egypte politique semble avoir poussé son chauvinisme si loin qu'elle a dû encourager et cautionner les instincts agressifs de ses foules contre les nôtres. De telles cautions sont diplomatiquement inadmissibles, et « fraternellement » condamnables. Alors que l'homme de la rue algérienne est révolté et indigné contre le sort qui a été réservé à ses compatriotes en Egypte, nos dirigeants politiques, comme le ministre de la Jeunesse et des Sports, temporisent, s'ils ne minimisent pas ces « incidents » comme s'ils étaient anodins. De leur côté, nos diplomates, tel notre inamovible ambassadeur en Egypte, Abdelkader Hadjar, s'est efforcé de dédramatiser en atténuant les agressions infligées à nos concitoyens. Comme pour tranquilliser nos compatriotes métropolitains inquiets du sort des leurs assiégés par une foule d'Egyptiens enragés, il s'est empressé de dire qu'« à cet instant, aucun décès n'a été signalé du côté des supporters algériens» après le match, et que les informations des médias faisant état des corps de six victimes sont arrivés à l'aéroport International Haouari Boumediene» n'étaient que rumeurs, puisque «Le gouvernement égyptien nous a informés que 11 Algériens ont été blessés», et qu'ils ont «quitté l'hôpital après avoir reçu des soins ». Comme si les onze blessés n'étaient pas une affaire grave, et qu'il aurait fallu peut-être autant de cadavres pour élever une énergique protestation auprès du gouvernement égyptien qui a tendance à prendre les Algériens pour des sots. Les politiques algériens en déphasage avec l'opinion publique Ce que ce diplomate, et ces politiques qui prêchent l'apaisement au nom de je ne sais quelle « fraternité arabo-arabe », n'ont pas compris, c'est que la foule algérienne n'entend pas les choses de cette oreille. Elle exige la vérité sur ce qui s'est passé exactement; elle veut, à sa manière, venger son honneur blessé. La colère qui se mêle à la fête bon enfant, fête relancée par l'espoir d'une victoire de notre équipe le 18 Novembre au Soudan, s'annonce explosive, et il est fort à redouter que les choses ne tournent à un véritable pugilat entre les supporters algériens et égyptiens qui se sont donné rendez-vous dans ce pays. Pugilat qui pourrait tourner en des affrontements sanglants. Le rendez-vous soudanais du 18 novembre, gros de tous les dangers Les logiques qui président aux structures psychologiques des foules, structures faites d'impulsions, d'irascibilités, de frustrations refoulées et d'instincts agressifs privés de mécanismes d'autocontrôle, pourraient à tout moment déraper vers des pentes dangereuses. Car, «errant constamment sur les limites de l'inconscience, subissant toutes les suggestions, animée de la violence de sentiments propres aux êtres qui ne peuvent faire appel à des influences rationnelles, dépourvue d'esprit critique, la foule ne peut que se montrer d'une crédulité excessive. L'invraisemblable n'existe pas pour elle, il faut bien se le rappeler pour comprendre la facilité avec laquelle se créent et se propagent les légendes et les récits les plus extravagants...» Ainsi une simple rumeur courant sur un compatriote ou deux blessés ou tués au Soudan, pourrait provoquer, ici même en Algérie, des violences en chaînes quasiment incontrôlables. Le foot censé divertir et canaliser le potentiel agressif de la foule inorganisée et indisciplinée, pourrait se transformer sous l'effet de la suggestion, la passion et l'irrationalité, en détonateur d'explosions dont il faudrait prévoir les mécanismes d'endiguement, ici et là-bas. Telle devrait être, désormais, la tâche anticipatrice de nos experts politiques accrédités en matière de sécurité publique... En effet, l'une des rumeurs des plus suggestives qui court la rue algérienne ces derniers jours, et qui pourrait passablement compliquer les choses, est qu'Israël serait derrière les agressions et les humiliations infligées à nos compatriotes en Egypte, et que l'Egypte serait le suppôt essentiel du sionisme dans le monde arabe. Cette association de plans et d'images suffit à jeter de l'huile sur le feu, et le match prévu au Soudan, pourrait donner à cette rumeur un caractère d'authenticité aux yeux de la foule algérienne excédée par l'arrogance égyptienne, mais aussi par l'attitude conciliante, voire timorée de nos dirigeants politiques, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez... (1) Voir, Psychologie des Foules, Paris, Quadrige / PUF, 1998,p.17 (2) Op. Cit., p.19