Lorsque cette phrase en vient à être prononcée par Belkacem Zeghmati, elle prend nécessairement un sens beaucoup plus lourd qu'à l'ordinaire. «L'indépendance de la justice n'est pas un privilège offert au magistrat, c'est un devoir qui s'impose à lui.» Ainsi dits, les propos du plus célèbre magistrat du pays semblent sonner la reprise d'un combat interrompu un certain septembre 2015 par Abdelaziz Bouteflika. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Zeghmati s'en est allé alors en laissant derrière lui une corporation soumise aux plus rudes critiques car contrainte à se plier à la volonté des puissants du moment. C'est ainsi que seul ce magistrat avait osé se dressercontre Chakib Khelil, le poursuivre pour corruption, et ordonner le lancement d'un mandat international, le premier, contre un ancien ministre de surcroît ami avec le président de la République. La suite est connue, le magistrat est mis au placard par un décret signé par Bouteflika, mettant fin à la plus noble mission que s'était assignée un représentant de la justice algérienne. Quatre longues années passent. A la surprise générale, Zeghmati revient, réhabilité, et reprend son poste de procureur général près la cour d'Alger. Les évènements en cours dans le pays ont précipité son retour dans une corporation en quête, elle aussi, d'indépendance. On interprète son arrivée comme un signal fort destiné à redonner espoir à un citoyen qui a retiré sa confiance à une institution censée garantir justice et équité. Très vite, d'autres évènements inattendus le propulsent bien plus loin au-devant de la scène. Le 31 juillet dernier, sa nomination au poste de ministre de la Justice en arrive même à éclipser le limogeage surprise de Slimane Brahmi. Jusqu'à l'heure, aucune autorité n'a démenti les plus folles rumeurs qui ont fait suite à la décision de Abdelkader Bensalah. Certaines d'entre elles constituent pourtant des accusations lourdes, graves. Des sources, bien au fait de la situation, ont alors fait savoir que l'ancien ministre de la Justice avait agi pour éviter l'emprisonnement à Abdelghani Zaâlane. Les mêmes sources ne fournissent pas de détails sur la manière dont il aurait usé pour épargner la prison à l'ancien ministre des Transports et des Travaux publics, mais la suite des évènements à venir ont paru accréditer les informations habilement distillées. Cinq jours après la nomination de Zeghmati, Abdelghani Zaâlane rejoint la cohorte d'anciens ministres à El-Harrach. Auparavant, le concerné avait été placé à trois reprises sous contrôle judiciaire pour des affaires de corruption. L'œuvre de Zeghmati ? Le magistrat, devenu ministre, semble préférer l'action aux belles paroles. En aparté, il fait savoir à ses plus proches collaborateurs que la lutte anticorruption, dont il est en charge, ne doit absolument pas épargner le corps qu'il conduit. «Au contraire, nous devons donner l'exemple.» Il y a quelques jours, le ministère de la Justice annonçait le limogeage de deux magistrats et un procureur pour des faits graves : les deux premiers sont accusés de non-respect de devoir de réserve, usurpation d'identité, abus de fonction et comportements inappropriés portant atteinte à la réputation de la justice. Le procureur de Tlemcen est, quant à lui, accusé d'abus de fonction et violation volontaire des procédures réglementaires. On annonce également que des enquêtes ont été ouvertes à l'encontre des mis en cause. Beaucoup d'encre a coulé sur le sujet. Le ministre de la Justice a défoncé des portes encore jamais ouvertes. Celle, entre autres, abritant la terrible affaire de la magistrate d'El-Harrach qui pratiquait sa fonction sous un nom d'emprunt pour cacher ses liens très étroits avec une personnalité politique bien en vue et encore au-devant de la scène aujourd'hui. Fascinés par ces révélations, les Algériens ont tôt fait d'inonder les réseaux sociaux de commentaires. Même les plus hostiles n'ont rien trouvé à redire au sujet de cette démarche. Les réprimandes sont, par contre, venues de la corporation des magistrats. Le SNM a réagi en début de semaine en publiant un communiqué dans lequel il s'insurge contre la publicité faite autour des magistrats limogés et considère les mesures, dont ces derniers ont fait l'objet, d'illégales en se basant sur des articles du code interne qui stipule que le syndicat doit être informé de l'enquête déclenchée autour d'un magistrat et des décisions qui le frappent. La réponse à cette réaction est venue hier lundi, d'Oran, où le ministre de la Justice se trouvait en déplacement. A sa manière, il a répondu aux magistrats : «L'indépendance de la justice ne signifie absolument pas son isolement de la société (…) si le devoir impose au magistrat d'être indépendant des pressions extérieures, le même devoir l'oblige à ne pas se détacher de la société, et à ne pas se retirer complètement de la vie publique», a-t-il déclaré. Les propos sonnent comme une invitation à écouter la voix des Algériens qui réclament une justice indépendante. Un rappel à l'ordre qui paraît s'inscrire tout droit dans le prolongement du combat inachevé de Zeghmati. Y parviendra-t-il cette fois ? A. C.