Le nouveau président du Syndicat national des magistrats (SNM) Issaâd Mabrouk a affirmé dans un entretien publié dans les colonnes du journal arabophone Al Khabar dans son édition du lundi 27 mai que les juges n'ont pas subi de pressions pour ouvrir les dossiers de corruption répondant, ainsi, aux nombreuses rumeurs faisant part de l'ingérence dans les affaires de la justice par l'institution militaire. Quant à la déclaration du SNM du 11 mai 2019 où le magistrat dénonce « l'image stéréotypée » des juges considérés « comme un appareil fonctionnant sur ordre quelquefois, et convocations en d'autres fois », le nouveau président du Syndicat des magistrat a précisé que « ce message était adressé à tous les Algériens, pas forcément au vice-ministre de la Défense et chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, même s'il n'en est pas exclu, car nous refusons toute utilisation de la justice par quelque partie que ce soit ». « Les juges chargés des dossiers de corruption n'ont reçu aucune instruction» « Il n'y a aucune instruction là-dessus malgré l'existence de beaucoup de rumeurs. Le syndicat a contacté les collègues chargés des dossiers qui n'ont pas confirmé l'existence d'intervention ou d'instruction », a-t-il soutenu. Malgré ce fait, le juge précisera que son syndicat suit de près l'évolution de la situation et « si nous découvrons quoi que ce soit, nous le dénoncerons quoi qu'il nous en coûte», tenait-il à rassurer. Evoquant la fameuse question de la justice par téléphone, une pratique qui a entaché durant plusieurs années le traitement de certaines affaires, le nouveau président du SNM a reconnu l'existence des ordres par téléphone en indiquant «cette histoire de téléphone n'est pas le monopole de la justice. C'est une méthode usée dans la gestion des affaires publiques dans tous les domaines. Mais, la valeur de la justice fait que toutes les formes d'instruction soient refusées. Le mode de travail du parquet permet, et par la force de la loi, l'usage du téléphone pour donner des directives et des orientations du haut en bas, selon le principe de la dépendance et de la hiérarchie (…) le procureur général est tenu d'appliquer la politique pénale préparée par le ministre de la Justice et lui présenter des rapports périodiques », a-t-il expliqué en citant les articles 30 et 33 du code de procédure pénale. Pour se défendre, M. Mabrouk jette la balle dans le camp de la législation puisque la faille y est et que le juge doit appliquer et souligne qu'il faut redéfinir les droits et les devoirs des juges afin de leur garantir une indépendance réelle. Il ajoutera «Cela n'empêche pas l'existence d'interventions qui influent sur le cours du dossier judiciaire venant de parties officielles ou non officielles. Les juges tentent de s'y opposer dans les limites, ce qui leur est permis faute de protection véritable ». Il notera que des magistrats ont payé le prix fort à cause de leur attachement à leur indépendance lorsqu'ils avaient refusé des instructions. L'absence du rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a été particulièrement critiquée face à l'imposant règne de l'Inspection générale (du ministère de la Justice). A propos du silence de l'actuel ministre de la Justice, M. Mabrouk avance « que c'est un juge qui s'est trouvé par la force des choses au poste de ministre dans une conjoncture difficile. Il a opté pour le silence par sagesse surtout que son prédécesseur a trop parlé sans rien faire ». Le retour de Belkacem Zeghmati L'exemple du retour de Belkacem Zeghmati comme nouveau procureur général d'Alger, après avoir été écarté en 2015 en raison du dossier de Chakib Khelil, constitue selon le juge une autre preuve de la fragilité des magistrats dans notre pays. Le nouveau président du Syndicat des magistrats qui incarne ainsi un nouveau souffle et une nouvelle image au sein d'un syndicat, désormais, fort et garant d'une protection « de tous les tyrans officiels ou populistes », appelle ainsi ses collègues à exercer leurs fonctions en s'attachant à leurs prérogatives sans tenir compte des « influences extérieures ». Les juges qui ont soutenu le Hirak à travers plusieurs sorties sur le terrain, se sont retirés ces derniers temps et pour le président du syndicat, ils doivent rester également neutres. Issaâd Mabrouk n'a pas manqué de dénoncer la mise à l'écart du procureur de la République du tribunal de Sidi M'hamed, El Bey Khaled et le procureur général près la Cour d'Alger, Khatir Benaïssa, remplacés respectivement par Fayçal Bendassa et Belkacem Zeghmati. « Il est illogique et immoral que le procureur de la République et le procureur général apprennent la nouvelle de leur fin de fonction par téléphone alors qu'ils étaient occupés à auditionner et à interroger deux anciens Premiers ministres et cinq ex-ministres. Cela incite à beaucoup d'interrogations sur la raison, la méthode, le moment et la partie qui est derrière cela et ajoute aux doutes sur la croyance en la justice indépendante », a-t-il expliqué. Abordant la question de la prise des photos des accusés à leur entrée au tribunal militaire à leur insu, Issaâd Mabrouk avoue que cette procédure est illégale en citant l'article 303 bis du code de procédure pénale. « La Haute Cour de l'Etat n'est qu'un décor » Le président du SNM a estimé que la Haute Cour de l'Etat, instituée par l'article 177 de la Constitution, n'est qu'un simple décor pour « le prestige et pour leurrer les naïfs ». Il a rappelé que cette juridiction, chargée de juger le président de la République pour des actes de « haute trahison » et le Premier ministre pour « crimes et délits », « commis dans l'exercice de leurs fonctions », n'a jamais été installée depuis son institution en 2016. Synthèse Ilhem Tir