Les commentaires qui ont suivi la nouvelle de l'incarcération de Tayeb Louh allaient bon train ce jeudi dans le milieu de la justice : «Son dossier était trop lourd pour qu'il puisse y échapper.» Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Jusqu'aux derniers moments, même ses opposants farouches se gardaient pourtant de dévoiler leurs pensées à voix haute ou de critiquer celui qui régna durant de longues années en maître absolu sur une institution vers laquelle tous les regards se portent aujourd'hui. Même après son limogeage, au cœur même de cette révolte profonde qui secoue le pays en quête d'une rupture radicale avec les méthodes passées, l'ancien garde des Sceaux «continuait à agir dans l'ombre, à tirer les ficelles», affirment des sources bien au fait du dossier. Des enquêtes menées avec discrétion dans le milieu judiciaire ont dévoilé qu'il avait, dernièrement encore, tenté de déclencher un mouvement au sein du corps des magistrats en collaboration avec l'ex-ministre de la Justice et son secrétaire général, ce qui a abouti au limogeage précipité des deux concernés. Plusieurs autres limogeages de juges, procureurs, présidents de cour ou magistrats de chambres basses ont été également opérés par Bensalah pour les mêmes raisons. Par la force de son influence passée, Tayeb Louh gardait encore une main certaine sur un groupe d'hommes de la justice. Le magistrat, qui a décidé sa mise en détention provisoire ce jeudi, est loin d'en faire partie. Dans les milieux des avocats, on affirme que c'est le même juge qui a conduit Ouyahia, Sellal, Amar Ghoul et Amara Benyounès en prison qui a envoyé Tayeb Louh à El-Harrach. Louh est arrivé vers 9 h du matin à la Cour suprême et en est ressorti dans un fourgon cellulaire après plus de six heures d'audition. En fin de journée, un communiqué de la même instance informe l'opinion que l'ancien ministre de la Justice est poursuivi pour : abus de fonction, entrave à la justice, incitation à faux en écriture officielle et incitation à la partialité. Des chefs d'accusation très lourds, incroyablement révélateurs du pourrissement qui sévissait alors. L'une des affaires qui a coûté sa liberté à Louh en révèle l'ampleur. Les faits remontent à 2017, lorsque ce dernier décide de dicter des ordres au président de la cour de Ghardaïa afin d'agir et de contribuer à une grosse manipulation dans le cadre des élections législatives. Louh demande au magistrat d'établir un faux document «officiel» pour favoriser une candidate aux législatives. Le président de cour s'y oppose et refuse de marcher dans la combine. L'ex-ministre de la Justice décide alors de se venger, ôte le poste de président de cour au magistrat et le suspend de fait durant dix-sept mois. Au terme de cette période, il l'affecte dans une petite structure, annexe d'un tribunal, chargée des archivages et située à des milliers de kilomètres de Ghardaïa. Le dossier est entre les mains des enquêteurs qui ont ainsi prouvé la manière avec laquelle Louh avait agi pour trafiquer les élections législatives. D'autres affaires du même genre foisonnent dans les résultats de l'enquête menée par l'Office de répression de la corruption. A. C.